David Duquesne. De la guerre d’Algérie au conflit israélo-palestinien : généalogie d’un chantage au génocide

Il est un fil rouge idéologique, tissé dès les années 1950, qui relie les mots d’ordre du FLN, les slogans de SOS Racisme dans les années 1980, et les accusations contemporaines de « génocide » portées contre Israël dans les manifestations pro-palestiniennes. Ce fil rouge, c’est le glissement sémantique et stratégique d’un récit victimaire forgé dans la guerre d’Algérie, puis réinjecté dans le débat français sur l’immigration, avant d’être exporté vers la cause palestinienne.

La guerre d’Algérie : la matrice victimaire

Contrairement à ce que l’on croit souvent, le FLN dans les années 1950 ne parle pas encore de “génocide” au sens juridique du terme. Le vocabulaire est encore celui de la dénonciation coloniale classique : répression, massacres, crimes, exactions. Le mot « génocide », forgé après Nuremberg, reste rare et mal maîtrisé. Mais le fond du discours est déjà posé : la France ne domine pas seulement l’Algérie, elle cherche à l’exterminer moralement, culturellement, et démographiquement.

Dans les tracts, les journaux clandestins (El Moudjahid), les discours de Ben Bella ou Boumediene, on parle d’un peuple algérien qu’on veut « écraser », « effacer », « transformer en colonisé perpétuel ». Une rhétorique de l’anéantissement symbolique, encore floue, mais puissante.

C’est après l’indépendance, dans les années 1980, que ce discours se radicalise : l’État algérien désormais dirigé par les héritiers du FLN, institutionnalise l’idée d’un “génocide colonial” dans ses manuels scolaires, ses commémorations officielles et ses relations diplomatiques. La colonisation française devient un crime absolu, imprescriptible, et surtout — transmissible.

 Les années 80 : la culpabilisation comme stratégie politique en France

À partir des années 70-80, alors que l’immigration algérienne devient majoritaire dans les quartiers populaires français, la rhétorique victimaire de la colonisation se recompose dans l’espace postcolonial.

Mais cette fois, ce n’est plus la France coloniale qui est visée, c’est la France contemporaine, accusée de perpétuer, sous d’autres formes, le même “racisme”, le même “mépris”, la même “domination” que jadis.

C’est dans ce contexte que surgissent :

• SOS Racisme (1984), avec son fameux slogan : Touche pas à mon pote,

• La montée d’un antiracisme d’État, soutenu par le Parti Socialiste,

• L’idée que toute critique de l’immigration nord-africaine serait une réactivation du fascisme ou du pétainisme.

Et voici le grand renversement : ce n’est plus l’individu qui répond de ses actes, mais le natif français, sommé d’endosser la faute de ses ancêtres coloniaux. Pendant que l’irresponsabilité éducative est excusée dans les quartiers, le Français enraciné est rendu coupable de crimes qu’il n’a jamais commis.

On observe alors un phénomène nouveau : la critique de l’immigration devient un tabou équivalent à une tentative de “génocide culturel” ou de “nettoyage ethnique”. Les mots deviennent fous. Les réalités, invisibles.

L’arme sémantique de la Deuxième Guerre mondiale : un abus rhétorique paralysant

Un autre levier de cette culpabilisation systémique repose sur l’instrumentalisation de la mémoire de la Shoah à des fins politiques et militantes. Depuis les années 90, et de manière croissante avec la montée des débats sur l’immigration et l’islamisme, toute volonté d’expulsion – même ciblée, même judiciaire – est immédiatement assimilée à une « rafle », au Vel’ d’Hiv, ou aux convois vers Auschwitz. Cette analogie est à la fois historiquement absurde et moralement obscène : expulser une personne vers son pays d’origine, souvent en paix, parfois même avec le concours de l’ambassade concernée, n’a rien à voir avec la déportation industrielle de familles juives vers des camps d’extermination.

Le plus ironique – ou cynique – est que ceux qui manient cette rhétorique avec le plus d’aisance sont souvent ceux-là mêmes qui passent leurs vacances au Maroc, en Tunisie ou qui vantent la beauté de l’Algérie, qui chantent les louanges de ces pays d’accueil —  ou d’autres font la promotion du pays dont ils sont originaires par nostalgie. Comment peut-on à la fois glorifier un pays et crier au crime contre l’humanité lorsqu’un de ses ressortissants y est renvoyé ? Ce double langage relève d’un chantage émotionnel qui vise à disqualifier toute politique migratoire, même fondée sur le droit et la sécurité nationale.

La Palestine comme transposition de l’Algérie

À partir des années 1990, et plus encore dans les années 2000, ce récit postcolonial se mondialise, et le conflit israélo-palestinien devient le nouveau terrain de jeu symbolique d’une génération radicalisée dans les banlieues françaises.

Il ne faut pas se tromper : pour beaucoup de jeunes d’origine nord-africaine, le conflit entre Israël et le Hamas n’est pas perçu comme un drame géopolitique lointain, mais comme le miroir fantasmé de leur propre relation avec la France.

• Israël devient la “nouvelle France coloniale”,

• Les Palestiniens sont les nouveaux “Algériens martyrisés”,

• Et la police française est perçue comme une force d’occupation, un substitut local de Tsahal.

Cette grille de lecture, totalement anachronique, mais puissamment émotionnelle, justifie toutes les formes de haine — contre la France, contre les juifs, contre les institutions républicaines.

Le chantage au génocide comme paralysie du débat

Dès lors, toute réponse sécuritaire, tout rappel à l’ordre, toute critique du communautarisme ou de l’islamisme est lue comme une “tentative de génocide” en gestation.

Il suffit de dire que certains quartiers échappent à la loi commune pour être traité de “nazi”.

Il suffit qu’Israël se défende contre des attaques meurtrières pour être accusé d’extermination.

C’est le chantage permanent à la Shoah, retourné contre ceux qui la combattirent.

Un renversement moral qui permet à l’extrême gauche, à l’islam politique, et à certains réseaux postcoloniaux de s’allier sous le même cri : nous sommes les victimes éternelles, vous êtes les bourreaux innés.

Conclusion : quand la mémoire devient une arme

Ce qui était à l’origine un discours d’émancipation face au colonialisme est devenu une arme de domination idéologique, utilisée pour interdire la critique, disqualifier le débat, et rendre toute réaction nationale illégitime par principe.

En recyclant les griefs algériens contre la France dans les mots d’ordre palestiniens contre Israël, les héritiers du FLN ont offert au monde postcolonial une matrice victimaire inépuisable, où l’assignation à la souffrance justifie la violence et où la culpabilité de l’autre est toujours génétique.

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Sources et Citations

1.  Le FLN et l’accusation de « génocide » colonial (1950-1980)

• Frantz Fanon, psychiatre engagé dans la lutte du FLN, évoque dans « Les Damnés de la Terre » (1961) un processus de « déshumanisation coloniale » :

« Le colonialisme n’est pas une machine à penser, ni un corps doté de raison. C’est la violence à l’état de nature ».

(« Les Damnés de la Terre », La Découverte, 2002, p. 48)

• Ahmed Ben Bella, dans une interview à « L’Humanité » (1962), déclare :

« La France n’a pas voulu nous civiliser, elle a voulu nous faire disparaître. Nous avons résisté à un ethnocide ».

• En 2005, l’historien Mohamed Harbi, ancien cadre du FLN, déclare à « El Watan » :

« Le FLN a tardé à parler de génocide. C’est une notion qui s’est imposée plus tard, par stratégie diplomatique ».

2.  Années 80 : Antiracisme d’État et culpabilisation postcoloniale

• Harlem Désir, président de SOS Racisme, déclarait en 1985 :

« Le racisme d’aujourd’hui est la suite logique du colonialisme d’hier. Le passé ne passe pas ».

(« Libération », 3 mai 1985)

• François Mitterrand, dans son discours d’inauguration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (1984, non publié mais cité dans « Le Monde », 2007) :

« L’immigration est une chance pour la France, à condition qu’elle ne soit pas insultée par l’oubli du passé colonial ».

• L’historienne Nelly Quemener note dans « Le pouvoir de l’humour » (INA, 2014) :

« La dénonciation du racisme prend dès les années 80 la forme d’un chantage moral, disqualifiant tout discours critique ».

3.  La transposition du discours algérien au conflit israélo-palestinien

• Tariq Ramadan, dans « La Palestine, enjeux de mémoire » (Albouraq, 2005) :

« La cause palestinienne est une continuation symbolique des luttes de libération anticoloniales, comme celle de l’Algérie ».

• Le rappeur Akhenaton, dans « La Cosca » (album, 1995) :

« On est tous des Palestiniens, comme on était des fellaghas ».

• L’écrivain Kamel Daoud, dans « Le Point » (2014) :

« Le conflit israélo-palestinien est devenu dans nos banlieues une sorte de guerre intérieure, une manière de se battre contre la France à travers Israël ».

4.  Le « génocide symbolique » dans les banlieues françaises

• Le politologue Gilles Kepel, dans « La fracture » (Gallimard, 2004) :

« Une partie de la jeunesse des cités s’identifie aux Palestiniens, et voit en la police française une armée d’occupation ».

• L’imam Abdelali Mamoun, sur « France 2 » (émission « Islam », 2016) :

« Certains jeunes vivent la présence policière comme une forme de colonisation postale. »

5.  Extension du « génocide » au champ politique français

• L’universitaire Jean-François Bayart dénonce dans « Le Monde » (2008) une instrumentalisation des concepts :

« La notion de génocide est brandie hors de son cadre juridique, à des fins de paralysie du débat public ».

• L’historien Georges Bensoussan, dans « Une France soumise » (Albin Michel, 2017) :

« La mémoire de la colonisation algérienne, revancharde et sacralisée, s’est greffée à celle de la Palestine dans un mélange explosif ».

© David Duquesne

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