
C’est le paradoxe de la lettre adressée le 24 juillet 2025 par Emmanuel Macron à Mahmoud Abbas, président d’une Autorité palestinienne exsangue, et que la France promet désormais de soutenir jusqu’à la reconnaissance officielle de l’État de Palestine à l’ONU, dès septembre prochain. Une initiative solennelle, ancrée dans les principes de la solution à deux États — mais qui, à la lecture attentive, souffre d’une série d’incohérences, de paris irréalistes et de raccourcis politiques dangereux.
La lettre présidentielle se veut historique. Elle salue les déclarations d’Abbas : condamnation (tardive) des attaques terroristes du 7 octobre 2023, promesse de désarmement du Hamas, engagement à réformer l’Autorité palestinienne et à organiser des élections générales en 2026, dans la perspective d’un État « pacifique, démocratique et démilitarisé ». En retour, Macron promet un soutien politique fort, culminant dans la reconnaissance officielle de l’État de Palestine par la France à l’Assemblée générale des Nations unies.
Mais derrière beaucoup de présupposés, cette lettre est rédigée dans une langue diplomatique qui élude les questions décisives.
Un des points les plus problématiques du courrier : la célébration d’un futur scrutin présidentiel et législatif, censé restaurer la légitimité des institutions palestiniennes. Or, tous les sondages sérieux réalisés dans les Territoires palestiniens démentent l’idée que ces élections stabiliseraient la région ou renforceraient l’Autorité palestinienne.
D’après les enquêtes du Palestinian Center for Policy and Survey Research (PCPSR) de Ramallah (mai 2025), 81 % des Palestiniens souhaitent la démission d’Abbas. En cas de duel avec un candidat du Hamas, Abbas serait balayé (25 % contre 68 % pour Khaled Mechaal). Dans les intentions de vote pour les législatives, le Hamas arrive en tête (43 %) parmi les électeurs certains de voter, contre 28 % pour le Fatah.
Si l’on introduit le populaire Marwan Barghouti, qui est loin du pacifisme espéré, dans l’équation, l’équilibre se renverse : Barghouti obtiendrait 50 % au premier tour, très loin devant Mechaal (35 %) et Abbas (11 %). Mais Barghouti est toujours emprisonné en Israël, et sa participation reste hypothétique.
Résultat : une élection en 2026 renforcerait probablement soit l’islamisme politique, soit une figure rivale du président actuel — mais certainement pas une Autorité palestinienne « institutionnelle ». Promettre la paix par les urnes sans désarmement préalable ni unité nationale revient donc à confondre démocratie avec automatisme stabilisateur, ce que personne ne peut sérieusement considérer dans le contexte actuel.
La lettre affirme par ailleurs que l’Autorité palestinienne est prête à « assumer la plénitude de ses fonctions régaliennes » sur l’ensemble des territoires, y compris Gaza. Pourtant, cette affirmation repose sur une pure abstraction : depuis 2007, Gaza est totalement contrôlée par le Hamas, qui y exerce un pouvoir complet — police, justice, éducation, fiscalité — sans partage. L’Autorité palestinienne n’y dispose d’aucune présence, ni politique, ni administrative, ni militaire.
Rien, dans la lettre de Macron, ne précise comment cette « reprise en main » serait concrètement mise en œuvre. Pas de force d’interposition évoquée, pas de transition sécurisée, pas même une feuille de route institutionnelle. Ce vide fragilise l’ensemble du dispositif imaginé, car aucune élection ne peut avoir lieu à Gaza sans cadre sécuritaire commun. Et franchement, une élection dès 2026 auprès de 2 millions de personnes dans un territoire dévasté, et sans savoir où en sera l’affreuse guerre actuelle, cela ressemble à un exploit impossible.
Le projet repose aussi sur la condition — chère à Israël — d’un État palestinien « démilitarisé ». Mais ici encore, la lettre pose un principe sans en définir les moyens. Qui désarmera le Hamas ? Quant à l’Autorité palestinienne, elle en est incapable, on le voit dans la zone dont elle a la responsabilité et qui voit proliférer des groupes armés extrémistes. Une force extérieure ? Inenvisageable sans mandat international fort, et qui sera prêt à envoyer des soldats pour se retrouver pris entre plusieurs feux islamistes ? Un accord négocié ? Impossible sans effondrement militaire préalable du Hamas, que la guerre actuelle n’a pas encore permis et au sujet duquel on peut sérieusement s’interroger, tant la tâche semble difficile.
Dans ce vide opérationnel, la promesse d’un État démilitarisé devient une formule d’ambassade, non une proposition stratégique. Elle pose une condition sine qua non à Israël sans fournir le moindre outil pour l’atteindre.
C’est sans doute le point le plus politiquement risqué : la France s’engage à reconnaître l’État palestinien sur la base d’engagements verbaux non vérifiables, avant toute mise en œuvre réelle. Or, la reconnaissance d’un État — surtout dans un contexte aussi conflictuel — constitue un acte diplomatique de premier ordre. La conditionner à des déclarations d’intention, sans garanties, revient à dilapider un levier stratégique majeur sans contrepartie concrète. C’est un fusil à un seul coup, et Macron est en train de gaspiller la seule munition dont la France bénéficiait alors que plus grand monde ne considère la parole présidentielle sur le plan international.
La lettre s’inscrit, en réalité, dans une tradition macronienne de discours puissants à faible niveau d’exécution. En 2017, Emmanuel Macron annonçait qu’il n’y aurait « plus un seul SDF dans les rues d’ici la fin de l’année ». Bonne blague. En 2018, il proclamait vouloir « rendre la France plus forte tout en réduisant les inégalités ». En 2019, il promettait une « transition écologique accélérée ». En 2023, il affirmait que la réforme des retraites garantirait « la justice et la pérennité du système », alors que tout montre son insuffisance. En 2024, il saluait la revalorisation des enseignants, qui est restée totalement symbolique.
Dans chaque cas, le langage performatif est utilisé comme instrument politique : le dire vaut acte. Mais dans les faits, la réalité dément souvent l’ambition affichée. Ce modèle discursif — central dans la communication présidentielle — trouve ici son prolongement dans le champ diplomatique.
En somme, la lettre d’Emmanuel Macron à Mahmoud Abbas confond communication et diplomatie, et espoir politique avec stratégie de terrain. Elle promet une reconnaissance d’État sans mécanisme de mise en œuvre, des élections sans sécurité, un désarmement sans désarmement, une reprise de Gaza sans troupes, et une paix sans processus crédible. Elle repose sur l’idée que la volonté suffit, et que la parole engage la réalité.
Mais dans les territoires palestiniens comme dans les rues de Paris, les promesses non tenues finissent toujours par engendrer du cynisme, et parfois de la colère. En matière de paix, c’est un risque qu’aucun dirigeant ne devrait prendre à la légère.
© Jean Mizrahi

Jean Mizrahi est Chef d’entreprises

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