David Castel. Instant suspendu

Instant suspendu

Le Moyen-Orient négocie, comme on parle à voix basse dans une chambre d’hôpital. On espère que le malade survivra, mais on prépare déjà l’enterrement.

Et pourtant, la table penche.

Le débat bute sur un chiffre. Trente-cinq pour cent. Pas trente-quatre, pas trente-six. Trente-cinq. Un tiers plus un soupir de la bande de Gaza. Le plan de retrait, un arrachement. Une carte-plaie. L’enjeu est posé comme un morceau de pain brisé : Israël devrait-il garder ce tiers-là, après la guerre, après les larmes, après les promesses ? Non pour le plaisir de construire des lotissements, mais pour éviter que les enfants des tunnels ne reprennent la Kalachnikov comme d’autres reprennent le vélo.

Côté palestinien, on hurle au vol. On fulmine, on parle de souveraineté. Côté israélien, on relit le carnet des deuils. Ces 35 %, c’est ce qu’on appelle en finance une garantie de survie. On y tient, non par caprice, mais par cicatrice. Vous aviez tout. Jusqu’en 1967, tout était à vous. Gaza, Jéricho, Hébron, Naplouse, tout. On vous l’a redonné en 2005, sans condition. Et vous en avez fait un temple de la mort, une école de la haine, une fabrique d’orphelins.

Deux langues. Deux temporalités. Deux tragédies.

Alors oui, ces 35 %, on y tient. Parce que c’est la marge entre le possible et l’impardonnable. Ce n’est pas un territoire, c’est une assurance vie. On vous les rendra. Un jour. Quand vous aurez passé le bac de gouvernement. Quand vous ne serez plus gouvernés par des slogans, mais par une Constitution. Quand vous serez adultes. Matures. Responsables.

Un Égyptien parle de momentum positif. Cela ne coûte rien de l’espérer. L’illusion que la paix, comme un vieux train, pourrait encore repartir, même en grinçant. Israël discute donc avec l’Égypte. Pas avec le Hamas — on ne discute pas avec un cancer, on le traite. Pas avec le Qatar, qui finance le Hamas avec l’élégance d’un mécène d’orchestre. Mais avec l’Égypte, cette voisine patiente et intéressée, qui sait que chaque guerre de Gaza finit, tôt ou tard, au Caire.

Benjamin Netanyahou fait la navette entre Washington et les salons dorés du pouvoir. Il promet aux familles des otages : Hamas ne sera plus là. Il ne sacrifiera ni la vie ni la sécurité. Seul fil qui le relie encore à un semblant de légitimité. Il sait que l’histoire ne pardonne pas ceux qui enterrent des enfants vivants. Que si les otages rentrent, il pourra respirer. Sinon, il devra fuir. Comme Ehud Olmert. Comme tous ceux que la guerre n’a pas sauvés.

À la Knesset, Smotrich grince des dents. Ben Gvir regarde les chars, pas les cartes. Les ministres d’extrême droite rêvent d’un autre feu. Celui qui purifie. Celui qui consume.

Autre front. Les Houthis du Yémen lancent chaque jour leurs missiles comme on jette des bouteilles à la mer. On répond. Pas assez fort, disent certains. Il faudrait frapper plus, plus vite, ensemble. Comme si l’on pouvait piloter la guerre comme une salle de marché. Comme si l’on pouvait rationaliser l’apocalypse.

L’Iran, lui, réclame des compensations. Les centrifugeuses ont été endommagées, les plans ralentis, l’ambition fissurée. Le ministre parle de justice. C’est nouveau. Téhéran préférait le secret. Aujourd’hui, il quémande.

On voudrait croire au retour de la parole. À une paix cousue de compromis. Mais quand le sang appelle le sang, que faire ? On peut cesser le feu. Mais si l’autre, en face, ne cesse pas la haine, alors quoi ? On se protège. On garde ces 35 %. Comme une mère garde la chambre vide d’un fils parti au front. Par précaution. Par espoir. Par amour.

Et puis, il y a cette dernière image, qui prouve que pour l’heure, on a de quoi s’inquiéter.

Ce matin encore, au Gush Etzion. Deux hommes, bien rasés, bien formés, membres des forces de sécurité palestiniennes. Pas des marginaux. Pas des illuminés. Des soldats du système. Ils ont pris leurs armes, ont tué, puis ont été abattus. Le terrorisme institutionnel n’est plus une rumeur. C’est une doctrine.

Un garçon de vingt ans a été arraché à la vie. Pas par erreur. Pas par bavure. Volontairement. Délibérément. Il marchait dans la rue, il vivait, et cela suffisait à signer sa condamnation. Pourquoi ? On aimerait un prétexte. Même mauvais. Même ridicule. Mais non. Aucune raison. Si ce n’est : Allah le veut. Si ce n’est : mourir pour tuer.

Alors que vaut un cessez-le-feu dans une langue où le mot *feu* n’a pas de contraire ? En hébreu, « hashket » n’est pas silence. C’est apaisement. Pas l’arrêt du bruit : la promesse d’une reprise normale du monde. En arabe, on signe une « hudna », une trêve. Mais entre la trêve et la paix, il y a parfois trois cents tunnels.

Entre toutes ces lignes, un peuple tient. Un pays saigne, code, invente, négocie. Un Premier ministre s’accroche. Une armée calcule. Une mère pleure.

Et pourtant, malgré tout cela, une phrase continue de flotter, comme une prière sèche et entêtée : Hamas ne sera plus là.

Pas demain. Pas tout de suite. Mais un jour.

Et ce jour-là, peut-être, les enfants pourront faire du cerf-volant sur les plages de Gaza. Et les tracteurs, au lieu des chars, traceront des sillons.

D’ici là, il faut tenir. Résister. Et raconter.

© David Castel
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