
Le tragique ne se choisit pas. Il s’éprouve, s’incarne, se répète dans l’histoire comme une ritournelle de sang. Et c’est au cœur de cette incantation funèbre, dans ce lieu qu’on nomme Moyen-Orient — avec cette prétention cartographique propre aux empires fatigués —, que s’entrelacent les illusions perdues de la gauche occidentale, l’agonie d’un monde arabe enfermé dans sa propre impuissance, et l’obscénité d’un conflit qui n’en finit plus d’exposer la faillite morale de l’époque.
La gauche, toujours prompte à s’agenouiller devant les idoles qui la crucifieront — Mao, Pol Pot, Khomeini, Arafat, et les autres icônes décomposées de son panthéon funeste —, n’a rien appris. L’obsession palestinienne, elle la recycle à l’infini comme une forme de romantisme indigent, à travers cette vieille rengaine du dominé, du martyr, du résistant de pierre face au Léviathan cuirassé. Ce n’est pas une analyse, encore moins une vérité : c’est une religion. Une liturgie laïque, mais à genoux devant ses propres fables.
Il y a dans cette fixation arabe et musulmane sur « la Palestine » quelque chose qui relève de l’ordre mystique. Non pas l’amour d’un peuple, mais une pathologie sacrée : la haine devenue théologie. Elle repose moins sur une injustice à réparer que sur une impossible acceptation : celle d’un peuple juif ayant surgi de l’Histoire comme une anomalie vivante, une souveraineté arrachée au néant, une victoire arrachée à l’humiliation. Une insulte, en somme, à l’ordre symbolique des vaincus éternels.
Le rejet d’Israël ne naît pas d’une critique politique, mais d’un désordre ontologique. Qu’un dhimmi se redresse, qu’il prenne les armes, la terre, la parole : voilà l’inacceptable. La terre promise heurte les décombres de l’empire ottoman. Israël n’est pas un pays : c’est un miroir brisé dans lequel le monde arabe ne veut pas se contempler.
Et alors on rêve de destruction. Non pas de paix. Le mot même est impie, suspect, étranger. On rêve d’un effacement, d’un retour à l’avant, d’un déluge purificateur. Non pas un compromis, mais une fin.
Ce que ne veut pas voir la bonne conscience occidentale, ce sont les avenues de Ramallah, les villas, les BMW noires aux vitres fumées des apparatchiks palestiniens. Ce sont les coffres pleins de l’Autorité, les comptes secrets à Genève, l’argent de l’aide détournée et redistribuée sous forme de kalachnikovs, de tunnels, de versets martiaux. Gaza n’est pas seulement une prison à ciel ouvert : c’est une scène. Un théâtre sacrificiel où l’enfant devient offrande, le missile confession, et la mort, économie.
Le Hamas ne cache rien : sa charte suinte la promesse d’un carnage. Il faut lire, non pas entre les lignes, mais dans la ligne elle-même : le Juif comme figure éternelle de la trahison, du complot, du mal. Le bouclier humain n’est pas une conséquence : il est un dogme. On ne défend pas la vie. On la jette. On la donne, comme un cri vers un Dieu qui tarde à répondre.
Les salons européens, eux, s’enivrent de compassion. Ils regardent ce conflit comme on regarde une tragédie grecque : avec l’assurance de n’être ni acteur ni coupable. Le Palestinien y est devenu un totem, une relique d’un tiers-monde idéalisé, un dernier pauvre qu’on chérit parce qu’il nous absout. L’Israélien, lui, n’est plus qu’un soldat, un mur, une puissance — et donc, nécessairement, une faute.
La réalité, elle, continue de s’effondrer. Car pendant que l’Europe pleure à la tribune, la haine se grave dans les manuels, se chante dans les mosquées, se vend dans les souks : Mein Kampf, Les Protocoles des Sages de Sion, en édition populaire. L’antisémitisme n’est pas une opinion : c’est une infrastructure. Une économie. Une pédagogie.
On ose parler de génocide à Gaza. Les mots sont devenus des projectiles. Des armes rhétoriques qui ne disent plus rien, sinon la perte du sens. Un génocide ne se mesure pas au bruit des bombes, mais au silence après. Or Gaza crie, hurle, croît, se multiplie. Le vrai génocide est ailleurs, dans ces pays arabes où la dissidence est tuée en silence, dans ces villes syriennes pulvérisées sans que nul ne s’en indigne, dans les fosses communes d’Irak, d’Iran, de Libye.
Les Palestiniens sont devenus les écrans de fumée des régimes en ruine. L’antisionisme est l’opium des masses musulmanes. Un exutoire. Une distraction. Une anesthésie face à l’échec total : échec politique, culturel, économique, spirituel. Israël est haï parce qu’il réussit. Parce qu’il enseigne, soigne, invente, cultive. Parce qu’il est un affront vivant à la déchéance du monde arabe.
Et pourtant, il faudra un jour parler. Non pas dans l’extase pacifiste des ONG subventionnées, mais dans la rigueur tragique de ceux qui savent que la paix est une douleur, un renoncement, une lucidité. Israël devra s’interroger, sans illusion, sur ce qui dans ses politiques nourrit la colère. Mais l’essentiel du fardeau repose ailleurs : sur ces dirigeants arabes et palestiniens qui préfèrent entretenir la haine plutôt que construire l’avenir.
La paix, si elle vient, ne viendra pas d’un traité. Elle viendra d’une rupture morale. D’un effondrement intérieur, d’une révolte contre le mensonge. Il faudra désapprendre l’antisémitisme comme on désapprend une langue morte. Il faudra enseigner l’autre non pas comme un ennemi, mais comme une altérité irréductible et pourtant légitime.
Le conflit israélo-palestinien n’est pas un simple différend territorial. Il est une fracture métaphysique. Il oppose deux récits du monde : celui qui accepte la complexité, la cohabitation, la mémoire partagée — et celui qui rêve d’effacer, de purifier, de recommencer l’Histoire. Il faudra choisir. Non entre deux peuples, mais entre deux visions du réel.
Et dans ce choix, l’Europe devra enfin renoncer à sa lâcheté, à son tropisme victimaire, à sa nostalgie révolutionnaire. Il ne s’agit plus de pleurer les morts, mais d’empêcher les vivants de devenir à leur tour des instruments de mort. La guerre est peut-être éternelle. Mais il est des guerres que l’on peut désarmer — par la par la force, mais surtout par la vérité.
Et cette vérité, dans l’âpreté de ses contours, dans la nudité de ses faits, demeure l’ultime forme de courage dans un monde qui préfère le mensonge doux à la lucidité brutale.
© Charles Rojzman
Dernier ouvrage paru: « Les Masques tombent »

Encore un article on ne peut plus brillant.