TRIBUNE. Essayiste, cofondateur de l’Orchestre symphonique d’Europe, Laurent Kupferman s’est éteint brutalement à 59 ans. Stéphane Nivet, Historien, ancien délégué général de la Licra, lui rend hommage dans « Le Point ».

Laurent Kupferman nous a quittés, brutalement. C’était un « honnête homme » au sens où Montaigne l’entendait, c’est-à-dire « un homme mêlé ». Touche-à-tout infatigable animé par une curiosité sans bornes, il était toujours tourmenté du désir d’être utile : de l’Orchestre symphonique d’Europe, qu’il cofonda en 1988 avec Eric Walter et Olivier Holt, à la panthéonisation de Joséphine Baker, dont nous lui devons la paternité, tout dans l’âme de Laurent Kupferman était engagement et valeurs.
Cette force, il la tenait d’une histoire dense et ancrée. Celle de son grand-père, Israël Kupferman, ingénieur polonais arrivé en France en 1930, engagé dans les Brigades internationales, arrêté le 14 mai 1941 lors de la rafle dite « du billet vert » et envoyé vers la mort, à Auschwitz. Celle de sa grand-mère, Frania Rothblum-Propper, résistante, qui fonda après la guerre la maison du Renouveau à Montmorency pour accueillir les enfants ayant perdu leurs parents en déportation. Celle de son père, Fred, enfant caché dans l’école catholique de cette même ville à l’abri des persécutions antisémites grâce à l’aide apportée par Mlle Massard, et qui sera un historien de talent auquel nous devons une œuvre reconnue sur la Première et la Seconde Guerre mondiale. Celle de sa mère, Sigrid, autrice allemande avec laquelle, notamment, son père travailla à la publication d’ouvrages historiques originaux à destination de la jeunesse.
République joyeuse
À partir de cet héritage, Laurent Kupferman avait su construire un républicanisme fécond et un universalisme affermi, qu’il portait partout avec lui, au Grand Orient de France comme dans ses livres, au cabinet du ministre de la Culture, à l’Unesco, ou à la faveur de ses multiples combats. Défenseur des arts et de la culture, militant contre le racisme et l’antisémitisme, pour le droit de mourir dans la dignité et pour le mariage pour tous : il était partout où la devise de la République avait besoin d’être défendue, étonnant toujours par son érudition, convoquant à l’envi Ferdinand Buisson ou Léon Bourgeois à l’appui de ses arguments.
Surtout, Laurent Kupferman avait la République joyeuse, loin des discours parfois pontifiants et des incantations stériles. Sa République était belle et vivante, comme celle de Béranger chantée par Jean-Louis Murat : « À jamais proscrivons l’ennui […] Chez nous l’ennui ne pourra naître : le plaisir suit la liberté. » C’est sans doute là qu’il faut chercher l’héritage principal qu’il nous lègue : une certaine idée de la République où l’idéal est soutenu par une fraternité d’airain, un amour opératif de la vie et de la culture, un humour désarmant tous les fâcheux, une véritable morale laïque en action, une attention permanente à solidifier ce qui nous rassemble pour écarter ce qui nous divise.
Dans le catalogue que nous avions réalisé ensemble pour illustrer l’exposition du musée de la Résistance et de la Déportation de Haute-Garonne consacrée à Joséphine Baker, il avait terminé son propos ainsi : « Elle était la France que nous aimons ». Je crois pouvoir dire, parmi la multitude de ses amis aujourd’hui terriblement orphelins, que Laurent Kupferman était, lui aussi, la France que nous aimons.
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