Vivre l’antisémitisme par procuration

L’antisémitisme me touche au plus profond de moi. Il ravive en moi des douleurs d’enfance, de celles qui ne s’effacent pas. Je n’ai pourtant pas grandi dans une famille juive, et j’ignorais même ce que cela signifiait, être juif. Mais j’ai appris — par les regards, les mots, les méfiances — que mon prénom, à lui seul, suffisait à me désigner comme tel. Et que cela pouvait suffire à me faire haïr.
Je m’appelle David, et dès l’âge de cinq ans, on m’a fait comprendre que ce prénom serait un fardeau. Ma tante Haïra, ce jour-là, me vit arriver chez ma grand-mère. Elle se pencha vers moi et me supplia : « Change de prénom, David ! C’est juif, David, tu ne peux pas t’appeler comme ça. Appelle-toi Malik. Sinon les Arabes vont te faire des ennuis… Malik, c’est beau. » J’étais un petit garçon, innocent. Choqué, je me suis enfermé dans les toilettes. J’y suis resté jusqu’à ce qu’elle parte. Je ne comprenais pas tout, mais une chose était claire : quelqu’un voulait m’arracher mon prénom. Et donc, mon identité. Je suis David. Je le resterai.
Cette scène familiale est ma première confrontation avec un antisémitisme diffus, banal, maquillé en conseil bienveillant. J’étais un enfant, et cette tante n’était ni fanatique ni ignorante. Mais elle baignait dans une culture où « David » était un danger. Et ce n’était pas un hasard : son mari était une vitrine du FLN et de la cause palestinienne. C’était le décor idéologique.
À cette époque, un nouveau compagnon entrait dans la vie de ma mère. On l’appelait « Mimile ». Il passait ses soirées devant la télévision. C’est avec lui que j’ai découvert un film en noir et blanc, sur la Seconde Guerre mondiale. Des enfants juifs en fuite. Des soldats les attrapent. On leur fait baisser le pantalon pour vérifier s’ils sont… juifs. Je ne comprenais pas. Que cherchaient-ils ? J’ignorais jusqu’à la notion de circoncision. Ce que j’ai compris, en revanche, c’est qu’on pouvait traquer un enfant à cause de ce qu’il est. Et ça, je ne l’ai jamais oublié.
Plus tard, à l’école, lors des visites médicales, cette scène me revient. Je me demande : vont-ils essayer de deviner si je suis juif, moi aussi ? Le doute, l’angoisse, sont entrés en moi comme un poison.
Dans les années qui suivent, un schéma se répète. Je suis perçu comme juif dans certains quartiers. Méfiance, regards en biais, saluts ironiques. Certains me sourient d’un air mielleux pour mieux cracher par terre dans mon dos. On me prend d’abord pour un « juif », et quand on apprend que ma mère est une ex-musulmane mariée à un Français « de souche », je descends encore plus bas dans l’échelle du mépris : je deviens un traître, un sous-homme.
Au lycée, un élève musulman, Rachid, me salue avec un « shalom » moqueur, tandis qu’il traîne avec un petit nazillon. Deux identitaires qui se trouvent. Nous sommes en 1988. L’un remet en cause la théorie de l’évolution, l’autre rêve de race blanche. Ils se parlent. Moi, je suis seul, sur la ligne de front.
Vers trente ans, marié, je joue au foot avec mon beau-frère et des jeunes du quartier. Des années plus tard, il me confie que, dans leur dos, ils m’appelaient « le juif ». Mon prénom, mon visage méditerranéen. Encore une fois, je fais illusion. Encore une fois, le soupçon.
Et puis vint Internet. Les réseaux sociaux. J’y débat sur l’islam, sur la laïcité, sur la France. Et voilà que mon prénom suffit à me faire traiter d’agent du Mossad, de sioniste fanatique, d’ennemi de l’islam. On m’envoie des extraits douteux du faux Talmud de Pranaitis. L’antisémitisme prend deux visages : d’un côté, une haine brute, violente, décomplexée ; de l’autre, un discours plus feutré, porté par des intellectuels musulmans qui se disent modérés, mais servent en réalité de paravent aux premiers. Une division du travail bien rôdée.
Un jour, peu avant sa mort, ma grand-mère me confie un secret. Son nom de jeune fille était d’origine juive. Petite fille en Algérie, elle subissait déjà moqueries et violences : on lui tirait les cheveux en criant son nom. Elle rentrait en larmes. Ce n’est qu’à l’adolescence qu’une tante lui expliqua : « Nous ne sommes pas Arabes, nous sommes Kabyles. Et ton grand-père, il était d’origine juive. » Depuis ce jour, elle a caché son nom. Par peur. Par survie. « Toute ma vie, me dit-elle, j’ai évité de dire mon nom à mes amies musulmanes. Sinon elles m’auraient fait la misère. » Et pourtant, dans le même souffle, elle me dit : « J’ai eu une amie juive à Paris. Elle était gentille. »
Quand ma grand-mère meurt, la communauté musulmane du quartier vient rendre hommage. Repas, condoléances, solidarité apparente. Et au détour d’une phrase, fusent les propos antisémites, les remarques obscurantistes, les jugements sur certaines femmes de ma famille « trop occidentalisées ». Le vernis craque.
Je comprends alors pleinement ce que ma tante voulait dire, jadis, en me demandant de changer de prénom. Mais je ne l’accepte toujours pas.
En 2017, un livre collectif paraît : Le nouvel antisémitisme. Il est suivi d’un manifeste. Cet antisémitisme n’a rien de nouveau en réalité.
Mais au lieu de provoquer un débat, ce texte heurte. Car il pointe là où ça fait mal : l’antisémitisme dans les milieux musulmans n’est pas un épiphénomène islamiste. Il est culturel, structurel, ancien, enraciné dans l’histoire du monde arabo-musulman. La figure du juif libéré, affranchi du statut de dhimmi, est vécue comme un affront. La colonisation française a contribué à l’émancipation des juifs dans les pays arabes, et beaucoup ne l’ont jamais digéré. L’islamisme n’est que le révélateur, le catalyseur d’un ressentiment déjà là.
Entendons-nous bien : tous les musulmans ne sont pas antisémites, loin de là. Mais l’antisémitisme est largement toléré, minimisé, excusé dans de nombreux cercles, y compris en France. Et ceux qui le combattent dans ces milieux sont bien souvent seuls, ou mis à l’index.
Mon prénom est devenu un combat. Car au fond, il dit tout : ce que nous avons abandonné, et ce que nous aurions pu être. Si l’assimilation avait été maintenue comme norme, nous n’en serions pas là. Les vagues d’immigration précédentes — italienne, polonaise, espagnole — n’ont pas produit ce type de rejet ou de communautarisme. Ce sont les élites françaises qui, par idéologie ou par cynisme, ont préféré encourager la création de biotopes culturels dans les banlieues. Et maintenant, ces mêmes élites m’accusent d’être un « identitaire », un « complexé », un « harki de la République » — tout cela parce que je m’appelle David et que j’aime la France.
Mon prénom, pour moi, est une déclaration d’amour à ce pays. À sa langue, à sa culture, à son histoire. Il n’a rien d’innocent. Il est un choix. Et je suis fier de l’avoir porté envers et contre tout.
Essayez, un instant, de donner un prénom français à un enfant au Maroc ou en Algérie. Impossible. On vous rirait au nez. En France, en revanche, tout est permis. Mais dès qu’un enfant né d’un couple mixte reçoit un prénom français et non arabe, on parle de trahison, d’aliénation, de « harki culturel ». C’est ce que ma mère, Houria, a vécu en épousant Serge. C’est ce que je vis chaque jour en m’appelant David.
Pendant ce temps, on répète à l’envi que « les prénoms n’ont pas d’importance ». Que l’universalisme républicain doit tout avaler. Que le combat contre les déterminismes est réservé aux seuls « Français de souche », ces gueux méprisables. Mais à force de ne pas nommer les choses, à force de vouloir dissoudre la France dans la diversité, on a abandonné des enfants comme moi. Des enfants en décalage, trop Français pour les uns, pas assez pour les autres.
Alors non, je ne changerai pas de prénom. Je suis David. Et c’est déjà beaucoup.
© David Duquesne
Infirmier, David Duquesne est l’auteur de « Ne fais pas ton Français! Itinéraire d’un bâtard de la République », paru chez Grasset en 2024, récit de sa douloureuse assimilation en tant que fils d’une musulmane d’origine algérienne et d’un français.

« Je suis né dans le Nord, à Lens, au coeur d’un quartier populaire. Ma mère Houria, d’origine kabyle, dut se battre pour s’arracher au traditionalisme familial. Elle rencontra mon père à l’usine, à la fin des années 1960. Je suis le fils d’une musulmane d’origine algérienne et d’un Français.
J’ai grandi avec ce double héritage, voyant mon quartier changer, les positions identitaires se crisper, le désir d’intégration se désintégrer, le communautarisme s’emparer des familles, la défiance et la violence s’installer, l’islamisme gagner du terrain…
Éduqué par la République, je partageais et défendais farouchement ses valeurs universalistes. Aux yeux de la communauté d’origine de ma mère, j’étais un traître ; aux yeux de certains Français, soit un métèque à jamais incarcéré dans ses origines, soit un provocateur « islamophobe ».
Pour sortir de cet étau, j’ai décidé de raconter l’histoire de ma douloureuse assimilation, qui témoigne du déchirement vécu par tant de « transfuges identitaires » dans une France en mutation ». David Duquesne

Le plus grand fléau des Temps modernes est le racisme et l’antisémitisme se nommant « antiracisme ». La France est devenue un État raciste et antisémite sous Mitterrand avec la création de l’infamie SOS racisme, qui était le prélude aux Frères Musulmans, aux décoloniaux et aux mélenchonistes. Et si seulement cela ne concernait que la France ! Mais les Français et les Occidentaux ont été éduqués dans cette haine de soi qui est sans précédent dans l’histoire du monde. Le soi-disant « vivre ensemble » prôné par nos dirigeants signifie collaboration avec l’envahisseur _ pas forcément musulman _ éduqué dans la haine des occidentaux, des Chrétiens et des Juifs. Je pense que dans le siècle a venir l’avenir d’une majorité de Français se résumera à un mot : l’exode. Pour survivre, tout simplement et ne plus vivre dans la peur, le mensonge et la stigmatisation.