« Et toi, c’est quoi ta ligne rouge ? » Par L’Etoile de David

Et toi, c’est quoi ta ligne rouge ?

Ma définition de la ligne rouge/

« Comprenez bien : une ligne rouge, ce n’est pas une question de confort ou d’opportunité. Ce n’est pas se demander si l’on vivrait mieux ailleurs. Une ligne rouge, c’est ce moment brutal où l’on comprend qu’on ne peut plus rester

Maintenant que les choses sont posées on avance ?

Aussi loin que je me souvienne, on s’est toujours fixé des lignes rouges. Pour tout. Pour rien. Pour se rassurer.

À une époque, c’était : « Si la clope passe à 10 euros, j’arrête. » Puis l’essence. Et puis, il y a eu autre chose. L’antisémitisme. Silencieux d’abord. Puis frontal. Violent. Assumé.

Je me souviens qu’on disait aussi : « Si Marine Le Pen fait 10 %, je pars. » Elle a fait 30. On est toujours là. Le FN a changé de visage, mais ce n’est pas le débat. Je laisse à chacun le soin d’interpréter la sincérité de cette démarche.

Puis est venu LFI. Et son obsession de l’ennemi juif masqué. Le 7 octobre a éclaté, et avec lui, plus qu’une guerre : une onde sismique. Et là, tout a changé. Ou plutôt : tout est devenu visible.

On a été rattrapés par nos propres lignes rouges. Celles qu’on pensait poser un jour, plus tard, en espérant ne jamais avoir à les utiliser. Elles nous ont dépassés. On a changé de nom pour prendre un Uber. On a enlevé nos mezzouzot. On a caché nos sacs de traiteur cacher comme d’autres cachaient autrefois leurs livres interdits.

Et toujours cette ligne rouge, qui revient. Qui hante. Qui obsède. Mais surtout, à laquelle on s’accommode.

On entend beaucoup dire : « Moi, ma ligne rouge, c’est si ça touche ma famille. » J’ai presque envie de demander : laquelle ? Le cousin germain ou celui par alliance ? L’oncle qu’on voit à Kippour ou celui qu’on voit tous les shabbat ?

C’est vrai, se fixer une ligne rouge, c’est difficile. Ça n’a rien de rationnel. Et puis, on a cette tendance humaine à vouloir croire que ce n’est pas encore le moment. Que ce n’est pas si grave. Pas encore.

Mais alors, c’est quoi ? Une insulte antisémite envers son enfant ? Une claque, parce qu’il porte une kippa ? Oui, mais une grosse, alors. Un coup de poing parce qu’il sort d’un centre communautaire ? D’accord, mais à condition qu’il saigne. Un coup de boule à la sortie de la synagogue ? Peut-être… s’il y a commotion. Bref, on apprend à négocier l’inacceptable, pour ne pas affronter le miroir. Pour ne pas poser la question interdite : et si c’était déjà trop tard ?

Il y a dans cette logique quelque chose que je veux exprimer avec délicatesse — et que personne n’y voie une concurrence de douleur ou une comparaison déplacée.

Mais c’est un peu comme une femme battue. Qui, chaque fois, pardonne. Qui attend. Qui se dit que l’autre va changer. Que ce n’est pas encore « trop ». Jusqu’au jour où l’irréparable arrive.

La ligne rouge, c’est ce qui protège de cette pente. C’est une garantie contre soi-même. Contre ce réflexe si humain de croire, d’espérer, d’attendre.

C’est bien d’être optimiste. Mais en ces temps, je crois que lucide est la qualité dont nous avons le plus besoin.

Il y a aussi cette injustice de la géographie. Un juif d’Aubervilliers ne vit pas la même chose qu’un juif du 16e arrondissement. Pour les premiers, les lignes rouges sont déjà traversées. Des insultes sur les murs, des menaces dans les halls, des regards fuyants. Ils ne vivent pas, ils survivent. 80 % des étudiants juifs se disent en insécurité. Le chiffre est effrayant. Mais le plus effrayant, c’est qu’il devient normal.

C’est fini les heures à la cafette, les débats en BDE, les rencontres à la sortie des cours. Aujourd’hui, nos jeunes rasent les murs. Vraiment. Ils vont en cours. Ils baissent les yeux. Et ils rentrent chez eux.

Cette ligne rouge, on devrait tous en avoir une. Pas la même. Pas au même endroit. Mais une. Parce que sans elle, on devient les passagers d’un train dont on ne connaît plus la destination.

Nos grands-parents venus du Maroc, d’Algérie, de Tunisie ont connu ça. Ils sont partis quand ils ont compris. Certains ont attendu. Trop. Certains n’ont plus eu le choix. L’histoire ne prévient pas toujours. Elle frappe.

Je comprends ceux qui hésitent. Il y a le confort. Le travail. Les enfants. Et puis, pour aller où ? Israël, bien sûr. Mais l’Alia est rude. Et les alternatives sont maigres : l’Azerbaïdjan, pas très glamour. Le Honduras, un peu perdu. Le Panama ? On parle de 10 000 juifs là-bas, dans un ghetto doré et surveillé. Comme disait Aznavour : la misère est moins pénible au soleil. Peut-être. Mais ça ne résout pas tout.

Alors oui, c’est un choix difficile. Mais il faut le faire. En famille. En couple. Avec ses enfants. Il faut se demander : qu’est-ce qui ferait qu’on dirait stop ? Qu’est-ce qui serait, pour nous, cette ligne rouge ?

Parce que si on ne la fixe pas maintenant, elle se déplacera toujours un peu plus loin. Jusqu’à disparaître. Et un jour, ce sera trop tard. Et ce ne sera plus un choix. Ce sera un constat.

Bien sûr qu’il faut se battre. Écrire. Témoigner. Protester. Mais il faut aussi regarder ce qui se passe dans notre propre maison. Dans notre propre communauté. Il y a ceux qui franchissent la ligne non pas par peur, mais par goût de lumière. Ceux qui veulent être entendus ailleurs, même si cela implique de trahir les leurs.

À vous qui, pour quelques applaudissements de plus, avez choisi de prendre vos distances. À vous qui préférez aujourd’hui renier les vôtres pour mieux exister ailleurs, n’oubliez pas : chez nous, il existe un jour unique. Un jour que peu d’autres peuples comprennent. Le jour du pardon. Quels que soient les mots que vous avez lancés contre votre propre communauté, quelles que soient les trahisons, les compromis, les renoncements… nous saurons, le moment venu, vous tendre la main. Parce que chez nous, la lumière ne s’arrache pas. Elle se partage.

Et je n’écris pas ici “aux autres”. J’écris à tous. Parce que dans l’adversité qui nous traverse, dans les regards qui nous condamnent, dans les cris qui nous visent, un juif reste un juif. Et ce n’est pas parce que demain il trahira les siens, qu’il sera mieux protégé. Ni plus accepté. Ni plus épargné.

L’histoire ne nous a jamais permis ce luxe-là.

Mais il reste une chose. Une espérance, fragile, têtue. Parce que tout ne dépend pas de nous. On ne décide pas toujours. Comme une étincelle déclenche une guerre, une étoile peut, elle aussi, briller. Et bouleverser l’obscurité.

En hébreu, on dit : Tamid yihyé kokhav shé yaïr lekha — il y aura toujours une étoile qui brillera pour toi. Elle est peut-être cachée, en ce moment. Mais qui sait ? Elle peut revenir.

Monsieur le Président, cessez de nous consoler chaque fois que l’indicible s’abat sur nous. Vos fleurs, vos bougies, vos chants, vos discours — aussi solennels soient-ils — ne suffisent plus. Ils n’effacent rien. Ils ne protègent personne. Ils ne réparent aucune blessure. Ils ne font que rappeler, à chaque fois, que vous n’agissez pas. Aidez-nous, non pas à panser nos plaies avec de belles fleurs qui fannent , mais à ne plus jamais avoir à tracer, dans nos têtes et dans nos cœurs, cette ligne rouge que tout Juif de France est contraint aujourd’hui de définir. Aidez-nous à l’effacer. Définitivement.

Et vous , où se situe votre ligne rouge ?

© L’Etoile de David

A propos de l’auteur:

« Je ne savais pas encore …
J’ai choisi une photo de moi, enfant.
Parce qu’à cet âge-là, on ne sait pas encore.
On vit porté par la douceur, les rêves, les bras aimants.
On ne se pose pas de questions.
On est juif comme on est vivant : libre, sans le savoir.

Aujourd’hui, j’ai 50 ans.
Je vis en France.
Et je sais.
Je sais ce que l’on nous dit, ce que l’on nous refuse, ce que l’on attend que l’on taise.
Mais je ne me tairai pas.

Je vais me battre, avec vous, pour que cette liberté — celle de l’enfance, celle de vivre sans se cacher —
revienne.
Et qu’elle n’ait plus d’âge

© l’étoile de David

Contact:  heysibonnesidees@gmail.com

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4 Comments

  1. si je peux me permettre de répondre à une question qui ne m’était pas destinée: je ne voudrais pas vivre dans un pays (France, Allemagne, Belgique…) ou il n’y aurait plus de place pour les Juifs. Ma ligne rouge personnelle.

  2. « Il y aura toujours une étoile qui brillera pour toi. »
    J’ai retrouvé sur le net un poème que ces mots m’ont rappelé, je me souvenais de son début. Je l’avais lu il y a bien longtemps.
    « Quand la nuit noire t’environne
    Quand bat ton cœur
    Pour toi quelque part il rayonne
    Suis le sans peur
    Dans la peine et dans la tristesse
    Tends lui la main
    Il connait parmi la détresse
    Le vrai chemin »
    C’est un poème d’inspiration religieuse, adressée à un croyant. Je n’en connais ni l’auteur ni l’origine.
    Le « il », c’est D ieu. Le pronom « Il » l’a remplacé.

  3. La ligne rouge, c’est quelque chose qu’il ne faut pas franchir, l’étoile, la magen David, elle est dans mon coeur, autour de mon cou, j’en suis fière, j’ai franchi la ligne.

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