Les masques de la haine de soi juive. Par Charles Rojzman

On ne peut rien comprendre aux réactions d’une partie du monde juif contemporain sans regarder en face le traumatisme collectif hérité de siècles de persécutions, d’humiliations, de massacres et d’exils. Cette mémoire, marquée au fer rouge par l’inquisition, les pogroms, les ghettos, la Shoah, a laissé dans bien des esprits une peur atavique d’être juif au grand jour. Et cette peur, souvent refoulée, prend aujourd’hui la forme la plus insidieuse qui soit : la haine de soi.

Ce poison psychique pousse certains à tourner le dos à leur peuple, à sa mémoire, à sa survie même, sous prétexte de morale. Mais derrière cette prétendue exigence éthique se cache bien souvent une capitulation intérieure : pour éviter les attaques, on devance les accusations ; pour échapper à l’opprobre, on rejoint le chœur des accusateurs. En pleine guerre, alors que des civils israéliens sont massacrés, que des enfants sont enlevés, certains Juifs occidentaux n’ont qu’un réflexe : dénoncer Israël. Pas pour défendre la justice. Mais pour sauver leur image. Pour ne pas être confondus avec ceux qu’ils considèrent comme trop « communautaires », trop « sionistes », trop «d’extrême-droite ». 

Ce phénomène n’est pas nouveau. C’est le vieux réflexe de la victime qui, pour apaiser le bourreau, offre son frère en sacrifice. Et aujourd’hui, pour certains, Israël est ce frère devenu trop encombrant. Ils répètent, à l’unisson des propagandes les plus hostiles, que Tsahal bombarde sans discernement, que le gouvernement israélien est d’extrême droite, que l’indignation internationale est forcément légitime. Peu importe la réalité. Peu importe que le Hamas instrumentalise sa population, que l’ennemi se cache derrière des écoles et des hôpitaux. Seule compte la mise en scène d’une indignation qui, croit-on, blanchit de toute accusation de complicité.

Mais cette auto-flagellation ne tombe pas du ciel. Elle s’ancre dans une histoire où, depuis des générations, on apprend aux Juifs à se méfier d’eux-mêmes. On les a si longtemps rendus responsables de leur propre sort que certains ont fini par y croire. Et aujourd’hui, dans un climat où l’antisémitisme se travestit en antisionisme, où la haine du Juif se déguise en « anticolonialisme », ils se sentent obligés de prouver qu’ils ne sont pas comme les autres. Qu’ils savent se désolidariser. Qu’ils ont « le courage » de critiquer les leurs.

Mais ce « courage » est une lâcheté travestie. Et cette morale pervertie, qui exige d’un peuple qu’il soit éthiquement pur pour avoir le droit de se défendre, est une imposture. Car aucun autre peuple, aucune autre nation, n’est sommé d’être parfaite pour justifier son existence. On pardonne tout à ceux qui tuent au nom de la révolution, de la lutte anti-impérialiste, ou de Dieu. Mais les Juifs, eux, n’ont pas le droit à l’erreur. Pas le droit d’être forts. Pas le droit, même, de survivre autrement qu’en s’excusant.

C’est là le cœur du piège. Ce que le judaïsme a offert au monde — une morale exigeante, une éthique de la justice et de la dignité humaine — lui est retourné comme une arme. Ce que ses textes sacrés ont inspiré au christianisme puis aux droits de l’homme est désormais utilisé pour le juger, le culpabiliser, le condamner. Israël, héritier d’un peuple brisé mais debout, est sommé d’être un modèle moral absolu dans un monde où l’on excuse le pire dès lors qu’il vient des bons « opprimés ».

Le résultat est tragique : à l’extérieur, une exigence impossible sert à délégitimer la défense la plus élémentaire ; à l’intérieur, des voix juives, pétries de complexes et de culpabilité, reprennent ces exigences comme si elles étaient le sommet de la vertu. Mais elles ne sont que le reflet d’une soumission intériorisée.

Le combat, dès lors, dépasse la politique. Il est moral. Il est identitaire. Il est existentiel. Il faut avoir le courage de dire que se défendre n’est pas trahir des valeurs, mais les incarner. Que rester debout ne signifie pas renoncer à une éthique, mais l’assumer pleinement, y compris dans la guerre. Et que, parfois, la fidélité à soi passe par le refus catégorique de s’excuser d’exister.

© Charles Rojzman

A paraître:

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

2 Comments

  1. Ces immémoriaux délateurs, ne sont pas qu’un symptome ou un mal être c’est pour certains un véritable sacerdoce. Sont ils encore juifs ?

  2. Merci Charles Rojzman,
    Votre article est admirable et très clair.
    J’étais vraiment agacé par ces propos de Delphine Horvilleur, et votre réponse me comble.
    Bien à vous,
    Marc Marciszewer

1 Trackback / Pingback

  1. L’inversion de la réalité | Boker Tov Yerushalayim

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*