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Bande annonce
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Questions à Haïm Bouzaglo

Bonjour Haïm Bouzaglo. Nous vous avions quitté à la sortie de Bab El Ward. 2022. Un nouveau film deux ans plus tard, Quoi de plus naturel. Sauf que, marquant à vif ce laps de temps, est venu s’insérer le 7 octobre. Le 7 octobre 2023. Haïm Bouzaglo, où étiez-vous ce matin-là ?
C’était l’anniversaire de mon fils aîné, Ynon. Il est Habbad, jeune marié avec Hen ; je lui prêté mon appartement à Tel Aviv et moi j’étais chez Lisa avec Nathanel, pas loin. Les sirènes nous réveillent ? On ne comprend rien. J’allume la télé : on ne comprend rien. La télé ne comprend rien. Nathanel essaye de comprendre devant l’écran et va à sa chambre jouer à la Play avec ses copains. Ynon est chez moi, met son Talit et s’apprête à aller à la synagogue : ils ne savent rien.
Je vois ce qui se passe et je vais chez moi pour alerter Hen et Ynon : ils dansent déjà. Voilà : l’un est à sa Play, l’autre avec son dieu. J’allume la télé, tout s’arrête… Un grand silence devant les événements. Lisa appelle de Paris. Toute la famille s’appelle. Le groupe familial explose. Ynon insiste pour aller à la synagogue : c’est Simhat Tora et c’est son anniversaire. Je ne le laisse pas sortir. Il restera avec son talit et dansera à la maison : la télé à fond et lui qui danse, c’est surréaliste…
On imagine que pour le réalisateur que vous êtes, partir, partir filmer, s’est imposé immédiatement. Mais Où. Comment. Par quel biais. Haïm, Red Flower se distancie tellement des autres productions réalisées sur la tragédie. Racontez-nous. On en a vu tant partir dans l’urgence, seuls, trouvant un directeur de la photo sur place. Changer de lieu. Be’eri. Reim. Vous, c’est Sderot.
Je suis resté scotché devant la télé jours et nuits. C’est mon cameraman qui m’a réveillé. Je croyais impossible de réagir comme réalisateur devant l’horreur et il m’a dit : C’est la station de police devant la maison de la famille Vaknin ou on a tourné L’allée des fleurs… Oui mais c’est impossible de raconter ça ? Les documents La réalité, et là, comment faire une fiction ?
Ça m’a pris quelques jours pour comprendre le point de vue possible, peut-être un couple témoin en huis clos devant sa fenêtre ? Annette et Albert et la station de police qui va être démolie en 25 heures… Une mouche sur leur mur… Les comédiens qu’ils sont, mon cameraman si doué, c’est jouable peut-être ? Et la nouvelle horrible de la mort de Ravit, pas loin de Sderot… Ravit, la nièce d’Annette, cette héroïne qui est morte le samedi de Simhat Torah, et Idan, le copain d’Itai mon fils, rescapé de la Nova. Itai qui était resté à Tel Aviv et n’était pas allé au Festival Nova pour assister à l’anniversaire de son frère Ynon. Voilà, tout ça pour raconter ces 25 heures au cinéma et à l’écran et vous faire vivre le quotidien d’une famille israélienne le 7 octobre…


Sderot, les Vaknin, Albert et Annette. Le shabbat. Le cédrat choisi, sublime, pour Simhat Torah. S’égrènent les gestes du quotidien juif. Le tamis pour la graine. Les enfants qui passent. Le Haïm : Dites-nous comment se construit un tel montage, vous qui faites pénétrer le spectateur dans ce huis-clos 25 heures durant. Jusqu’aux dernières images. Elia. Idan. Ravit … Vous qui montrez tout mais via les flashs spéciaux et déboussolés d’un écran télé qui peu à peu disent l’étendue du désastre. Les images du carnage de Nova. Ces témoignages poignants. Ces appels à l’aide. Puis le regard d’Albert par la fenêtre. La crise de panique qui saisit Annette. L’écran noir. La musique en juste dose. Qui colle au corps. Ces visages en gros plan qui disent la terrible inquiétude, l’incompréhension : « Qu’est-ce qui se passe dans ce pays ? » Jusqu’au leitmotiv juif : « De la souffrance Toujours de la souffrance. Les larmes d’Albert«
On a tourné une semaine dans la maison à Sderot avec une petite équipe. Bénévolement. Sans argent. On a tous dormi dans la maison. Annette et mon neveu ont cuisiné pour nous. Ma nièce Danielle a maquillé les acteurs et est devenu mon assistante. Un ingénieur du son, Roy, nous a rejoints. Mon fils Itai est devenu exécutif producteur, Yoram s’est mis à la caméra, et voilà un film familial. Une vraie mère marocaine et son petit mari, si sensibles et si touchants, leur talent de comédiens : je me sentais apte à me lancer, en pleine horreur…
Tout le samedi, ponctué de tirs, alertes stridentes et images terrifiantes, Annette prie avec frénésie, alternant larmes, crise de panique, moments glamour, disputes banales se faisant au fur et à mesure métaphysiques. Malédictions sur ce voisin : Qu’ils crèvent. Qu’est-ce qui leur prend ? Albert suit. Il y a de la beauté dans ces rituels devenus presque automatismes. Dans ce réalisme qui est votre marque. Haïm, les Israéliens de Be’eri, Kfar Aza, Reim, Rishon le Zion, sont-ils plus religieux que l’Israélien lambda. Ressemblent-ils aux Vadkin ?
On se ressemble tous, surtout en temps de guerre. La guerre, malheureusement, est comme une lune de miel, pendant quelques semaines, peut-être quelques mois, et après la vie revient car on est vivant, on existe comme étant un peuple vibrant, déchiré malheureusement, coupé, divisé bien avant le 7 octobre … mais Je préfère ne pas entrer dans le sujet politique : j’ai trop à dire ; mais rappelons-nous : on est comme dans la lune de miel, dans la guerre la plus horrible qui soit… (Même si sur le plateau on n’a pas les mêmes idées… Mais ça, c’est le sujet d’un autre film…)
Bab El Ward se voulait réparation à l’endroit de ces familles systématiquement envoyées dans la grande périphérie où les inégalités perduraient. Les Vadkin se sont intégrés. N’imaginent pas vivre à Paris où porter une kippa est problématique. La tragédie n’a épargné personne. Qui sont-ils, ces Vaknin de Sderot si proches de vous ?
La famille Vaknin est une famille typiquement marocaine traditionnelle, un peu religieuse, les jeunes ne sont plus là, et peut-on quitter Sderot pour devenir des vrais … J’adore la périphérie. Je suis prof à Sapir et c’est un magnifique mélange d’Israéliens du kibboutz et des villes comme Sderot et Ofakim : les étudiants de Sapir, plus proches de la frontière et la périphérie, me paraissent plus authentiques et aussi plus proches de la famille marocaine peut-être hélas en voie de disparition…
Oui beaucoup de familles marocaines ont de la famille en France et de temps en temps rêvent de la France, surtout quand ça va mal… Mais où est-ce que ça ne va pas mal ? La réponse d’Annette fuse, instantanée… Elle dit aussi une fierté d’être israélienne quoi qu’il en soit…
Les réalisateurs partis sur le terrain sont revenus tous dans le même état. Certains en réelle dépression. Ébranlés à raison. Celui-là a fait depuis son alya. Comment allez-vous, le film terminé ?
Je suis un citoyen inquiet… qui rêve d’être normal dans un pays normal. Pour mes enfants et petit-enfants… Si on mettait un Israélien de mon âge sur le divan d’un psy, le psy deviendrait dingue… Mais on est là et il faut qu’on arrive un jour à être un pays comme les autres, avec un quotidien loin, très loin du samedi 7 octobre.
En France, une réelle omerta et un refus net de distribuer les films sur le 7 octobre. Vous voilà projeté au Festival du Film israélien. Avez-vous eu des retombées de l’étranger, notamment de non-juifs, ou bien comme Joann Sfar ce matin, faites-vous le constat que seuls les Juifs -et quelques Justes- verront Red Flower ?
Quand on réalise un film, normalement on espère que tout le monde le verra. Je sais que les Juifs vont s’intéresser sûrement par identification, les Israéliens par curiosité : comment raconter la guerre qu’ils voient tous les soirs à la télé dans une fiction. Pour moi c’était une nécessité, celle d’un cinéaste, de capter le moment et de l’immortaliser à jamais, et aussi d’un point de vue insolite et qui m’est cher.
Haïm, Votre œuvre s’achève sur cette image d’une fleur des champs. Survivante. Rouge. Vous qui dites avoir réalisé un « docu-drame », niez-vous tout sens politique dans Red Flower ?
Au départ je pensais mettre des phrases politiques dans la bouche des comédiens mais ça m’a paru faux. Bien sûr j’ai plein de choses à dire, mais j’ai choisi de laisser les images parler à ma place. Raconter le 7 et faire les comptes politiques, ce sera après… Les événements sont toujours politiques, la vérité est horrible : comment en est-on arrivés là ?
Haïm Bouzaglo, il est difficile de ne pas voir dans Red Flower un clin d’œil, une parenté avec l’approche artistique de Cassavetes. Ces choix du huis clos, alors que lui allait jusqu’à utiliser son domicile privé et qu’on trouve très peu de scènes d’extérieur dans son cinéma. Mais encore cette autre parenté : comme lui, vous travaillez avec une tribu inséparable d’amis, d’acteurs, de techniciens, qui s’est formée peu à peu et vous accompagne. Cassavetes aussi aimait le bruit, le monde, les disputes, les épreuves de force. Les fêtes. Il explorait les relations de couple. Comme lui, vous ne jugez pas.
C’est vrai et bien vu : j’adore Cassavetes, c’est un très grand compliment pour moi, merci, mais je suis bien loin de son talent…
J’ai toujours aimé le travail avec les comédiens, le travail intime avec leurs personnages et la vérité de la personne qu’ils incarnent. Lors des projections du film à Tel Aviv, il y avait pas mal d’éclats de rire … Pour moi les rires, la vie, l’envie de rire malgré tout, c’est l’espoir des jours meilleurs.
En somme, ce film est la réaction à vif d’un cinéaste. Presque pas un film, mais un instinct… Et en même temps, une thérapie en soi, comme si j’allais me faire soigner par le cinéma, par mon métier…
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פרח אדום
(ישראל 2024)
בימוי: חיים בוזגלו
משחק: אנט כהן,אלברט אלברט אילוז,
איתי בוזגלו, שקד פרשני, עידן דהמן, אביב בוזגלו, יוגב קינן.
RED FLOWER
dir: Haim Bouzaglo
80 דק עברית, צרפתית, מרוקאית.
תרגום לעברית
תקציר:
שש וחצי בבוקר ה-7 באוקטובר אזעקת צבע אדום מפגישה אותנו עם אנט ואלברט זוג ותיקים משדרות.
הבן שביקר אותם בערב שמחת תורה נמצא עם חבריו במסיבת הנובה , מחבלי הנוחבה מחמאס מחוץ לחלון ביתם המשקיף אל תחנת המשטרה של שדרות.
25 שעות בחיי הזוג, דרמה אינטנסיבית מחוץ ובתוך הבית, מהחלון וממסכי הטלוויזיה, נשקפת אותה זוועה.
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אני מתרגש…
בהמהלך המלחמה בעודנו יושבים המומים מול מסכי הזוועות התקשר אלי חברי הטוב יורם מילוא הצלם ואמר « בוא נעשה סרט בשדרות , הרי הבית שבו צילמנו את « שער הפרחים » נמצא מול תחנת המשטרה בשדרות.. ». נדלקתי.
כעבור כמה שבועות יצאנו לשטח עם צוות קטנטן ושחקנים שכולם הגיעו ובהתנדבות מלאה. ישנו בלוקיישן בבית בשדרות והיינו זבוב על הקיר בחיי זוג שחווה את התופת.
והנה אנחנו נצא עם הסרט לקולנוע עם סרט קולנוע שיוצג קודם בשדרות ב6 לאוקטובר ובסינמטק תל אביב ב8 !!! מי היה מאמין , סרט קולנוע עלילתי בתאריך הסמלי מכול, ובכורה עולמית ובשדרות! סגירת מעגל מנחמת טיפה לנשמה המטולטלת של כולנו.
באוקטובר בכורות בשדרות ותל אביב ובסוכות יציאה מסחרית בסינמטק תל אביב.
« פרח אדום » (2024)
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« Red Flower » au Festival du Cinéma israélien de Paris du 17 au 25 mars 2025
En présence du réalisateur et des acteurs Annette Cohen et Albert Ilouz le 19 mars à 15 h et le lundi 24 mars à 20h30. La projection sera suivie d’une discussion.
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Haïm Bouzaglo
Haïm Bouzaglo est né en 1952 à Jérusalem en Israël
Filmographie sélective:
2024 Red Flower
2021 Flower’s Gate
2011 Session
2010 Balle à blanc
2010 Srak Srak
2009 Revivre
2005 Distorsion
2005 Côte à côte
2005 Janem, Janem
2003 Pigsha Iveret
1996 La Cicatrice
1991 Onat Haduvdevanim
1988 Mariage blanc
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Avec Annette Cohen, Albert Iluz, Itay Buzaglo, Edan Dahaman, Aviv Buzaglo, Yogev Keinan, Shaked Parshani.
Musique de Yogev Keinan et Adush Reichany.
Directeur de la photographie: Yoram Millo
Maquillage: Danielle Bareket
Une tragédie filmée qui nous fera pleurer.