
Israël avait oublié qu’il aurait à combattre le Hamas à Gaza et il a payé cher cet oubli le 7 octobre ; puis il s’est ressaisi car comme toujours, le peuple juif se ressaisit. Il a foncé dans l’action militaire pendant 16 mois, avec force et précaution, mais il n’a pas su ou pas pu transformer sa victoire militaire en acte politique, en prise de pouvoir sur le terrain, en contrôle réel de l’espace, direct ou indirect. En somme, il n’a pas pu faire les deux à la fois, du militaire et du politique.
Or il faut non seulement assurer les deux, mais toutes les gradations et les nuances de l’Entre-deux, entre action politique et présence armée. Faute de quoi, sa victoire militaire est éclipsée par le fait que le Hamas a le contrôle de Gaza, il se réinstalle et prend ses aises, sachant qu’avec le cessez-le-feu, il peut doubler sa jouissance d’être là par le plaisir de torturer le cœur des Israéliens en jouant sur les otages ; y compris sur la question : ceux-là sont-ils vivants où sont-ils morts ? etc.
En fait, il vendra très cher le dernier otage, il le vendra en échange d’un engagement signé par Trump qu’Israël n’attaquera plus Gaza si le Hamas reste calme et ce sera le cas. Il pourra se réarmer calmement, puisque apparemment, la frontière avec l’Égypte lui sera rendue.
Moyennant quoi il reprendra sa place, Gaza sera rebâtie en dix ans par au moins le Qatar et ce sera reparti pour un tour.
Et Trump ne fera pas de cadeaux à Israël autrement qu’en paroles si les 1000 milliards que l’Arabie lui fait miroiter d’investir aux USA lui montent à la tête ; ce sera déjà bien si, poussé par le Prince arabe, il n’impose pas un État palestinien en Judée-Samarie, ce qui fera hurler les âmes des prophètes bibliques, notamment d’un certain Elie et de son disciple Elisha, sans parler d’Isaïe : ils ont fustigé sur cette terre les Hébreux qui oublient la loi symbolique, (encore l’oubli), de là à les remplacer par un État antisémite, l’histoire semble y résister.
Quant à savoir pourquoi l’État israélien n’a pas mieux joué et n’a pas trouvé d’alternative au Hamas, la réponse semble claire : Netanyahou était coincé par son extrême droite, et le Centre qui aurait pu la lui rendre inutile n’a pas été très enthousiaste pour lui proposer une alliance ; à moins que lui-même n’ait été trop absorbé par l’idée fixe d’ « éradiquer » le Hamas militairement. Ce qui est sûr, c’est que les deux, lui et le Centre, sont responsables de cet étrange immobilisme, de ce manque d’initiative, voire d’imagination, qui sera payé lui aussi, car tout se paye et assez cher sur cette scène implacable.
Le minimum de maturité, c’est de fonctionner entre perception et mémoire, en reconnaissant les deux, ce qui implique de percevoir clairement les choses, en même temps qu’on fait travailler sa pensée, sa mémoire et son imaginaire. Il est vrai qu’avec la question des otages, on a tendu toute l’opinion israélienne sur leur retour, qui semble être un retour d’outre-tombe, presque une apparition. Ajoutons-y toutes les accusations qui pleuvent à l’international, notamment de génocide, alors qu’on en parlait dès les années 70 : je me souviens que mon collègue à la fac, le philosophe Gilles Deleuze, proclamait à tout va qu’Israël fait aux arabes ce que les nazis ont fait aux juifs. Et qu’en 2001, l’écrivain, Saramago, prix Nobel de littérature, assurait lors d’un voyage au Proche-Orient : Ramallah, c’est Auschwitz. L’accusation de génocide faite aux juifs a toujours été là, indépendamment de toute réalité ; c’est qu’en fait, elle est la projection du principe islamiste inscrit dans les textes fondateurs : génocider les juifs, en finir avec eux dès lors qu’ils ne sont pas soumis. Ce projet hante les militants du djihad, et le quidam n’a pas le temps de s’informer. (Alors que c’est assez facile : qu’il appelle le mot juif dans le Coran sur Internet). Bref, toutes ces accusations induisent une passion de se justifier, d’expliquer, même si cela ne sert à rien, mais cela risque aussi de vous clouer à votre juste indignation et de vous enfoncer dans le malheur d’être incompris.
Mon dernier livre, outre celui sur les non-dits d’un conflit, s’appelle : Cinéma ou réalité ?, avec, comme sous-titre : Entre perception et mémoire. Il montre l’importance cruciale de fonctionner entre perception et mémoire, en croisant les deux, en passant de l’une à l’autre dans une dynamique de vie, pour ne pas être fasciné par de lourdes perceptions ou par des mémoires pétrifiées, et par des pensées peu jouables.
Quant au drame des Palestiniens, il est bien pire : depuis qu’on les a inventés comme peuple, ce qui est assez récent, ils semblent condamnés à faire leur « mitsva » suprême : le djihad antijuif, que les autres États arabes n’ont pas envie de faire parce qu’ils ont d’autres soucis, qu’ils veulent se moderniser, s’ouvrir un peu au monde. Tous ces peuples peuvent soutenir le Hamas, applaudir à ses « prouesses », mais ne veulent pas l’imiter… sans pourtant le condamner. Position délicate qui les immobilise aussi sur cette question, mais qui enfonce le Hamas et Gaza dans une impasse invariable.
Voilà qui laisse beaucoup de jeu et de possibles à qui en a les moyens.
Daniel Sibony
Dernier ouvrage paru : Les non-dits d’un conflit, le Proche-Orient, après le 7 octobre

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