Otages. Par Marek Halter

La prise d’otage a toujours existé. Au début, il ne s’agissait que de puissants, car eux seuls représentaient une valeur marchande. Empereur ou roi, chaque otage était traité selon son rang. Le jeune Jules César fut enlevé en Cilicie par des pirates conscients que sa libération leur vaudrait une riche rançon. De même, Saladin écroua Guy de Lusignan, roi latin de Jérusalem, et Édouard III d’Angleterre captura Jean le Bon à Poitiers. En 1347, six bourgeois de Calais se livrèrent en otages au même Édouard III afin de préserver leur ville condamnée à la destruction. 

Les cibles ont ensuite changé avec la valorisation de la vie humaine. Pendant la Guerre froide, les otages étaient des personnages symptomatiques du camp adverse, des espions par exemple, qui servaient d’objets de chantage politique, et de monnaie d’échange contre des ressortissants. On se souvient des images de ces transactions devant le Checkpoint Charlie entre Berlin-Est et Ouest, dans la brume du petit matin. 

La Deuxième Guerre mondiale et ses millions de morts ont marqué un tournant. La sanctification de l’être humain, le renforcement du rôle de l’opinion publique et le développement des moyens de communication ont fait de tout individu un potentiel otage. Mais, pour accélérer le processus, les journalistes se sont avérés être une proie pratique. L’armée islamique enleva ainsi, le 20 août 2004, les deux journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot près de Bagdad en Irak. Puis Florence Aubenas le 5 janvier 2005. Elle fut libérée le 11 juin après une forte mobilisation médiatique. La liste est longue. 

Chaque fois, sous la pression de l’opinion publique, les ravisseurs obtenaient ce qu’ils réclamaient des pouvoirs des pays dont ces otages étaient natifs. 

C’est ainsi que cela s’est passé avec le soldat israélien de 19 ans Gilad Shalit, enlevé par le Hamas au sud de Gaza le 25 juin 2006. Je suis intervenu en sa faveur à Damas, où siégeait alors le chef du mouvement palestinien. Shalit fut finalement libéré le 8 août 2011, en échange de 1 027 prisonniers politiques. 

Le 7 octobre 2023, le même Hamas a réitéré son exploit. En s’accaparant cette fois de 251 otages, après avoir massacré près de 1 200 personnes, pour la plupart des pacifistes venus participer à un festival de musique — une sorte de Woodstock israélo-palestinien. Ce qui déclencha une riposte militaire israélienne qui doit en principe prendre fin ce dimanche 19 janvier, après la signature d’un accord sur l’échange des otages encore en vie. Chaque otage coûtera trente prisonniers palestiniens. 

Cette prise d’otages, marquée par sa brutalité (viols, tortures, humiliations), a déclenché la plus importante mobilisation médiatique de l’histoire. Rien d’étonnant. L’Occident en développement, la conscience personnelle de ses citoyens, leur idéal démocratique, et ses moyens d’information inédits deviennent l’instrument idéal des attaques dont ils font l’objet. « C’est en raison de la dignité qu’il croit lui être due qu’on l’avilit. », affirment Irène Hermann et Daniel Palmieri dans l’International Review of the Red Cross en mars 2005. « C’est aussi en raison de son capital d’innocence et de souffrance [que l’otage] se mue en une figure obsédante » et mobilisatrice. 

Cependant, une question me taraude. Et elle est de taille. Pourquoi, cette fois-ci, ce ne sont pas les otages qui ont suscité la solidarité mondiale, mais les preneurs d’otages qui, il est vrai, ont mis en avant leurs revendications nationales ? Avaient-ils besoin de recourir au viol pour s’affirmer ? Je crois avec Jean-Paul Sartre que « l’homme se définit par ce qu’il choisit » et qu’il ne peut pas justifier une action, même pour une bonne cause, si les moyens pour y parvenir son moralement répréhensibles. Qui osera encore aujourd’hui afficher le visage de l’abbé Pierre sur son t-shirt ?

J’ai eu récemment l’occasion d’évoquer le sort des otages du Hamas à Doha, avec les responsables palestiniens. Une discussion sans fin, car, sans leur violence démesurée, les médias auraient-ils été le relai de leur cause ? Une solution était pourtant en vue, m’a affirmé le responsable du National Security Consul du Qatar, Hamad Khamis Al-Kubaisi, qui m’a promis que les deux Français Ohad Yahalomi et Ofer Calderon figureront sur la liste des premiers otages libérés. Il regrette toutefois que le rôle du Qatar dans les négociations ne soit pas reconnu par les médias internationaux. 

En principe donc, sauf rebondissement inattendu d’un côté comme de l’autre, l’accord sur l’échange des otages et l’arrêt des hostilités devrait être signé. Cependant, le 7 octobre ne peut selon moi que ternir les futures négociations liées à la coexistence entre les deux États, ainsi que l’histoire des otages elle-même. 

© Marek Halter

Source: Les Echos

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2 Comments

  1. j’étais à Doha et je m’étonne que Marek HaLter à parlé avec les personnes mentionnées
    c’est fou comment certains veulent se donner un rôle
    les seuls responsables palestiniens à doha étaient ceux du Hamas….

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