“Charlie et moi, c’est fini ?” Par Édith Ochs

40 otages encore vivants, et le silence obstiné des medias depuis 6 mois. 

Cette semaine encore, la couverture de Charlie renvoie dos à dos Israël et ses assassins. Encore une fois, la couverture haineuse met dans le même sac le criminel et sa victime. C’est normal, dira-t-on, puisque Israël est la victime. 

Or Israël ne saurait être victime. 

Israël est toujours le coupable. Il a forcément mérité les malheurs qui le frappent. S’il est frappé, c’est qu’il est coupable. Il est frappé parce que intrinsèquement coupable.

C’est écrit quelque part.

Les actes barbares du Hamas contre les civils trouvent leur excuse dans l’idée, pour certains, que les Israéliens méritent ce qui leur arrive. Un vieux remugle qu’une gauche christique a adapté à l’ère post-soviétique.

La couverture de la semaine

Pour changer de Gaza bombardée par les méchants colons israéliens qui font souvent la Une, le dessinateur Foolz s’est inspiré de la guerre des monstres, et plus précisément du film Godzilla vs King. « Netanyahu Gros-Kong » affronte « Mollahzilla », un mollah à barbe blanche qui, prudemment, n’a droit à aucune épithète. « Le navet de l’année », titre le dessin. Autrement, « spectacle sans intérêt ».

Ainsi l’hebdomadaire met sur le même plan un pays martyrisé qui cherche à libérer ses citoyens pris en otage, à protéger ses habitants et à faire respecter ses frontières, et l’Iran — le patron des terroristes — coupable d’une agression qui ressemble à s’y méprendre à une déclaration de guerre. 

Non contente de menacer régulièrement Israël de destruction nucléaire et d’alimenter le Hezbollah en armes, la dictature islamique a envoyé samedi dernier sur Israël plus de 300 drones et missiles qui ont dû traverser près de 1700 km pour semer mort et destruction au-delà du Jourdain. 

En Israël une fillette de sept ans, blessée dans un village bédouin, a été hospitalisée à Beersheva.

Qu’importe pour le caricaturiste de Charlie Hebdo. Israël, pays démocratique où on manifeste comme on veut contre ses dirigeants, et l’Iran, qui finance le terrorisme et où de nombreuses femmes sont pendues chaque année, notamment « pour relations hors mariage», c’est pareil. Et quand les journalistes ont pour mission d’enquêter, d’analyser et d’informer, humoristes et caricaturistes font preuve de la même ignorance crasse que Mathilde Panot, membre éminent de LFI, incapable de situer la Palestine par rapport au Jourdain. 

Journalistes et caricaturistes

Le trait grossier de la couverture de « Charlie » du 17 avril dernier, qui associe la maladresse de l’enfant et la gauloiserie, est sûrement délibéré. Car les dessinateurs de « Charlie » nous ont appris à reconnaître le talent. En mai 68, l’héroïne de Wolinski, une jeune fille insolente et joyeuse, fleurissait sur les troncs des arbres du Boul’Mich’ pour célébrer la contraception, l’amour libre, « notre corps est à nous ». Certes tous les caricaturistes ne s’appellent pas Daumier ou Will Eisner, mais les dessins d’audience réalisés par Riss au procès Papon (et exposés au Mémorial de la Shoah en nov. 2022), ou ceux de François Boucq au procès des assassins de «Charlie » et de « l’Hypercacher » en janvier 2015 prouvent qu’ils peuvent être autre chose que des humoristes. 

Dans Charlie Hebdo, il y a les dessinateurs d’un côté et les journalistes de l’autre. Quand Philippe Val, ancien humoriste, était directeur de la rédaction, entre 1992 et 2004, il écrivait des éditos courageux, refusant la facilité de l’antisionisme qui ravivait l’antisémitisme ; il faisait entendre une autre voix à gauche. A cette époque, Pascal Boniface, encore membre du PS, fit valoir que le Parti gagnerait, stratégiquement parlant, à s’éloigner d’Israël pour épouser la cause palestinienne. Il se permit même d’établir une comparaison entre Jörg Haider, un dirigeant de l’extrême-droite autrichienne, et Ariel Sharon, le Premier ministre israélien qui a décidé du retrait israélien de Gaza (2004). La haine fait faire de ces dérapages.

La liberté d’expression caricaturée

Riss est resté à la tête du journal après le massacre qui a fauché douze personnes dont huit membres de la rédaction en 2015, et les survivants de la tuerie se battent courageusement pour défendre les valeurs de la gauche sans se laisser entraîner dans ses dérives. Inlassablement Philippe Lançon, Gérard Biard ou Yannick Haenel se battent contre les entorses à la laïcité, le terrorisme et l’antisémitisme. 

Il y a des éditos qui définissent le journaliste. Après les attentats de Bruxelles en mars 2016, Riss a consacré son édito à la peur : « Il n’y a pas de terrorisme possible sans l’établissement préalable d’une peur silencieuse généralisée». La peur, la terreur, le terrorisme… De même quelques semaines après le 7 octobre, Riss soulignait dans un édito que chaque membre de la rédaction était libre de ses opinions. Il se peut bien que les dessinateurs ruassent déjà dans les brancards : ils voulaient parler de Gaza librement, sans s’embarrasser des otages. Ça les démangeait. 

Ça n’a pas traîné.

Depuis, malgré les textes intelligents des journalistes, malgré de bonnes enquêtes (Foolz est bien meilleur quand il dessine sur l’écologie), le déséquilibre s’est installé.

Car dans « Charlie » la couverture est le poids lourd. 

Dans les semaines qui ont suivi le 7octobre, les journalistes de « Charlie » ont écrit des articles exprimant leur effarement et leur solidarité. Ils ont continué sur ce registre.

Mais pas les caricaturistes.

Les dessins de « Charlie » un peu enfantins ne font jamais dans la demi-mesure, on le sait : détente garantie des sales gosses qu’on est resté. D’emblée, ils permettent au lecteur de se distancer par rapport à l’actualité. Ils associent grossièrement deux événements improbables, et plus le trait est simpliste, plus ça fait rigoler.

Mais les dessins « parlent ». Le crayon est éloquent, il agit comme un rayon laser qui obéit au subconscient — on  sait que le dessin peut exprimer ce que l’enfant tait, finalement. Un peu comme dans un lapsus, ce qu’on veut cacher sort de façon détournée. 

Sous un air de désinvolture, le trait expose crûment la pensée du dessinateur. Celui-ci se moque, et la moquerie lui permet de mettre les rieurs de son côté. Comme le fait Dieudonné, qui réduit la victime au silence en discréditant d’avance sa parole. Le harcèlement fonctionne sur un principe assez semblable, et l’antisémitisme aussi.

Qu’est-ce qui cloche en Israël

Quand un Premier ministre en est à son sixième mandat en seize ans d’exercice, il est usé. Il y a belle lurette que Netanyahou aurait dû disparaître du paysage politique. Ses ministres d’extrême-droite multiplient les déclarations choquantes, et quant à sa réforme judiciaire qui doit lui garantir l’immunité tant qu’il est en fonction (un rêve à la Chirac), elle provoque d’infatigables manifestations le samedi soir à Tel Aviv. En multipliant les recours, il retarde la conclusion de son procès pour fraude et corruption, mais sa présence entame la crédibilité d’Israël et pèse lourdement sur les relations internationales du petit État. 

Pour l’opinion publique internationale, un Premier ministre discrédité est le prétexte rêvé pour faire porter le chapeau à Israël. 

Néanmoins, depuis le massacre du 7 octobre, les dessinateurs ont oublié les otages – pas même un timbre-poste dans le présent numéro pour rappeler leur existence, leur calvaire, et la disparition des frères Bibas, deux bébés aux cheveux flamboyants, est traitée par le mépris. Ces bonnes âmes s’obstinent à présenter la victime comme le « bad guy », le méchant qui prend plaisir à faire souffrir l’innocente population de Gaza qui a fait la fête dès le matin du 7 octobre. Mais à la fin de la guerre qu’Israël mène pour faire respecter son droit à l’existence, on verra combien d’otages seront encore en vie — pour le moment il n’en resterait que quarante. Les 1200 civils torturés, violés, brûlés, mutilés, éventrés, sont oubliés. Peut-être dérangent-ils ces bonnes consciences ? 

Le 14 mars dernier, au début du Ramadan, Coco  a été de nouveau menacée par des islamistes pour avoir publié dans Libération un Gazaoui affamé qui courait derrière un rat.  Alors j’ai remis ma décision à plus tard. En effet, Corinne Rey (Coco de son nom de plume) est la caricaturiste survivante du massacre de janvier 2015. Dire qu’on lui faisait un mauvais procès est une évidence criante. Elle n’a cessé de « soutenir Gaza ».     

Qu’est-ce qui cloche, chez « Charlie » ? 

A l’automne 2020, la rédaction avait tenu à ce que les procès, celui de « Charlie Hebdo » et celui de « l’Hyper Cacher », soient associés pour que les Juifs assassinés ne soient pas oubliés. “Il ne saurait en être autrement,” avait simplement répondu l’ancienne DRH du journal, Marika Bret, l’amie de Charb, qui s’est présentée aux législatives en 2022 comme une militante « laïque et féministe ». Comme Charb, Wolinski, Cabu, Tignous et les autres, elle était une figure historique du journal.

Mais les otages, bordel !

Parler de Gaza sans parler des otages, c’est comme passer sous silence le massacre du 7 octobre, ou parler d’une solution à deux États sans parler d’Israël.

Sur les 129 otages que Yahya Sinwar et ses complices détiennent toujours, le Hamas dit qu’il ne lui en reste plus beaucoup… En réalité, le Hamas joue un grand jeu : il ne veut pas rendre les otages, voire ne le peut pas. Les caricaturistes de « Charlie » le savent-ils ? Sans le délire d’une gauche occidentale accourue en soutien aux terroristes islamistes, peut-être le Hamas aurait-il été plus conciliant, laissant aux otages une chance de survie.

Mesdames et messieurs les caricaturistes de tous poils, et si vous aviez contribué à renforcer la détermination des salauds ? 

© Édith Ochs

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2 Comments

  1. “un mollah à barbe blanche qui, prudemment, n’a droit à aucune épithète.”
    Effectivement, “Gros Kong” fait bien penser à “gros c*n”. C’est un jugement et il n’est pas flatteur. Rien de tel pour Mollahzilla . Que faut-il en penser ? Perso, rien de bon.

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