Pierre Rival. Voyager en Israël après le 7 octobre? Oui, C’est maintenant…

L‌e groupe au cimetière des voitures de Nova

VOYAGER EN ISRAËL 

APRÈS LE 7 OCTOBRE ?  

OUI, C’EST MAINTENANT…       

                                                             

Après avoir livré l’année dernière à Tribune juive ses impressions de voyage en Pologne, Pierre Rival de retour d’un séjour de dix jours en Israël nous invite à le suivre à travers un pays qui plus que jamais, depuis le 7 octobre, a besoin du soutien des diasporas du monde entier.

Les Juifs de France – et ceux d’ailleurs dans la Diaspora – se sont mis en mouvement. Depuis le 7 octobre, c’est un courant encore modeste mais il est continu. Des groupes se rendent en Israël à l’initiative d’associations et d’institutions communautaires. Le Crif, le Fonds social juif unifié ou encore le KKL ont organisé ou vont organiser de tels voyages de solidarité. Cela ne relance pas une industrie israélienne du tourisme qui a chuté de plus de 90 %, passant de 304 000 visiteurs en septembre à 38 000 en novembre 2023 et qui stagne depuis lors autour de 50 000 entrées de touristes étrangers par mois. Sans infirmer la « solitude d’Israël » pointée par Bernard Henri-Lévy dans son dernier ouvrage, ces visites contribuent à remonter le moral des Israéliens. Durant une semaine, j’ai suivi l’un de ces groupes que la jeune association humanitaire franco-israélienne Netsah a guidé des frontières de Gaza à Jérusalem, du 17 au 23 mars, au moment des fêtes de Pourim.

Merci d’être venu…

Partout où il passe en Israël, le visiteur étranger entend le même refrain : « Merci d’être venu. Cela fait chaud au cœur de vous voir.» Que ce soit de la part de son guide, d’une dame à la banque d’accueil d’un musée, d’un voisin de table au restaurant ou encore d’un membre d’un des kibboutz martyrisés, cette manifestation de gratitude surprend. Elle a remplacé l’accueil réputé un peu rude des Israéliens. L’étranger voudrait dire à ces personnes  que c’est lui, le visiteur français,  qui leur est reconnaissant de montrer tant de résilience dans l’adversité. Ils ne lui en donnent pas l’occasion. Leur soulagement est évident tout comme leur certitude que  le monde ne les comprend pas : « De toute manière nous sommes condamnés d’avance par l’opinion mondiale » disent-ils, autre antienne entendue en continu tout au long de ce voyage.

On a pris la décision de rester…

Bruno Lellouche et notre guide, Rafi Izbicki

         Bruno Lellouche a la soixantaine. Sportif et jovial, ce chirurgien ORL oscille entre Nice et Paris, avec de fréquents séjours en Israël car il est assez engagé dans la vie communautaire. Le 7 octobre, il est à Tel-Aviv où il vient d’habitude au moment des fêtes de Soukkot : « C’était shabbat, le téléphone n’arrêtait pas  de vibrer et, à force, il est tombé de la table de nuit » se souvient-il. Après les alertes et les allers-et retours au sous-sol pour fuir la pluie de roquettes, lui et son épouse, sidérés, assistent en direct à la télévision israélienne aux appels au secours des kibboutzim enfermés dans leur pièce forte et qui tentent d’échapper aux terroristes. Le couple pourrait faire comme tant d’autres résidents français, sauter dans le premier avion et se mettre à l’abri en France : « On a pris la décision de rester et de faire quelque chose» résume-t-il sobrement. En lien sur un réseau What’sApp  avec des connaissances qui, en France, cherchent à se faire  une idée de la situation, il lance un  premier appel aux dons : « En quelques heures, j’ai réuni une somme astronomique versée sur mon compte personnel » raconte-t-il, encore un peu ébahi devant cet élan.

         Avec cet argent, il se procure sur place des vêtements et des produits d’hygiène qu’il va distribuer aux soldats partis en catastrophe  rejoindre leurs unités aux quatre coins du pays. En cinq mois, grâce à l’argent de donateurs français parfois anonymes, il distribue ainsi 300 valises de vêtements chauds sans compter des sacs de matériel médical, des tentes, des sacs de couchage…  

Le combat va durer des années…

Patrouille de Tsahal à Jérusalem

         Après être passé par le biais d’une association française de lutte contre l’antisémitisme et l’aide aux personnes défavorisées, le Mouvement Siona, Bruno Lellouche crée début février 2024 une structure dédiée à cette action de solidarité : « Netshah veut dire l’éternité en hébreu et l’association a été mise en place pour aider les familles déplacées des kibboutzim du Sud et du Nord, les personnes en détresse financière et celles souffrant de problèmes psychologiques, notamment les sauveteurs en stress post-traumatique » explique-t-il, en précisant : « J’ai appelé cette association l’éternité car c’est un combat qui va durer des années. » 

Voyage de solidarité…

Récolte solidaire de citrons au kibboutz Shokeda

         C’est au même moment que naît l’idée d’un voyage de solidarité : «On aimerait bien venir en Israël mais, une fois sur place, on ne sait pas quoi faire m’ont dit plusieurs personnes. Toi, tu as déjà tous les contacts » raconte encore Bruno Lellouche. Et c’est ainsi que le 17 mars, 48 Français, la plupart d’entre eux Juifs mais pas tous, se retrouvent à l’aéroport David Ben Gourion. Hommes et femmes à égalité, ils ont entre 35 et 75 ans et arrivent de Marseille, de Nice, de Paris mais aussi de Bordeaux ou de Champagne. Disons-le d’emblée. En France, les membres de leurs familles, les connaissances à qui ils ont parlé de ce voyage n’ont pas manifesté un fol enthousiasme : « Ce n’est peut-être pas le moment de se rendre en Israël » m’a dit par exemple une amie qui a pourtant passé deux mois en kibboutz dans sa jeunesse. Le spectre de la guerre surplombe tout. Le contraste n’en est que plus frappant avec le spectacle de la rue en Israël où, à part les soldates et les soldats arborant en bandoulière leur fusil d’assaut, tout paraît « presque comme en France. »

Où va, que devient Israël ?

         Le programme concocté par Bruno Lellouche est intense. En même temps il comprend des étapes qui constituent déjà les éléments d’un pèlerinage appelé à devenir un classique du tourisme mémoriel en Israël : le site du massacre de Nova, la place des otages à Tel-Aviv, sans compter des moments de volontariat agricole pour récolter les citrons dans un kibboutz déserté du Néguev ou s’occuper de la vigne – les Français s’y connaissent ! – dans une ferme des collines de Judée. Ce sont surtout les rencontres qui vont marquer notre séjour. Il y en aura beaucoup pour six jours de voyage, rencontres avec des acteurs et des témoins directs des événements, avec des soldats, des diplomates, des journalistes, des personnalités religieuses et politiques de tous bords. Nous sommes tous avides de savoir, de comprendre, de partager aussi, et à nos interlocuteurs nous posons au fond toujours la même question : « Où va, que devient Israël ? » Certaines réponses nous ont émus, d’autres nous ont ouvert les yeux, et parfois nous avons été challengés, mis en cause et sommés de nous engager. 

  Intégrité morale de Tsahal

Base de Nahal Oz

         Il y a Alexandre B., 27 ans, ancien élève du lycée Louis-le-Grand de Paris, avocat dans le civil et réserviste. Il revient de Gaza où il a servi 47 jours comme sniper dans l’unité d’élite Egoz. La manière dont il décrit ce qu’il a vu – les chiens affamés dévorant les cadavres –, ce qu’il a constaté – l’armée s’efforçant de mettre  à l’abri des civils face à un ennemi qui s’en sert comme bouclier –, ce qu’il a vécu – les attentes quasi-méditatives entre deux moments d’affrontements furieux – rassurent sur l’intégrité morale de Tsahal. « Et pourtant » affirme-t-il, « partout à Gaza  j’ai vu les signes de complicité des civils avec le Hamas » en citant les caricatures antisémites trouvées dans les ouvrages scolaires,« Le Juif éternel qui transperce avec une baïonnette le cerveau d’une petite Palestinienne ».

Seul arrière-grand-père otage au monde…

D‌aniel Liefschitz, petit-fils de deux otages

         Il y a Daniel Lifschitz, le petit-fils de deux otages kidnappés du kibboutz Nir Oz. Sa grand-mère Yocheved, 85 ans, a fait partie des libérées du 23 octobre. Son grand-père Oded, 83 ans, croupit toujours dans les tunnels du Hamas. «C’est le seul arrière-grand-père qui soit un otage dans le monde, un journaliste, défenseur des droits de l’homme, qui militait pour la paix et conduisait souvent des patients gazaouis dans les hôpitaux d’Israël » s’insurge son petit-fils avant de détailler le calvaire de ses grands-parents : «Les civils gazaouis leur ont craché dessus, les ont frappés. Ma grand-mère a eu les cotes cassées… Un quart de la population de Nir Oz a été tuée, seules trois maisons sur 250 n’ont pas été brûlées ». Son regard est immensément triste. Il se tord les mains. Son désarroi et son incompréhension devant tant de haine sont criants. Ils font mal à voir.

Enlevez les masques de Pourim, venez en Israël…

Pourim à Jérusalem

         Et puis, il y a Meir Ouaknine, le beau-père d’Ouriel Cohen, commandant logistique dans l’armée et habitant de Jérusalem, tué au cours des combats le 19 décembre. Ouriel Cohen laisse deux enfants et une épouse que son père vient représenter dans ce restaurant de la rue de Jaffa à Jérusalem où il s’adresse au groupe après une visite au mur occidental, le Kotel, qui nous a tous rendus plus graves. Meir Ouaknine n’y va pas par quatre chemins. Sa colère gronde  et cette colère s’adresse autant au Hamas qu’aux membres de la diaspora que nous sommes en majorité : «Je ne suis pas venu pleurnicher. Amalek m’a pris mon gendre. C’’est l’hécatombe, le foutoir total. Pourim, ce n’est pas le carnaval de Venise. En exil, le Juif est déguisé. Enlevez les masques et venez en Israël». Et il nous apostrophe : « Ouriel est mort pour qui ? Il est mort pour vous… ». Avant de lancer : « Moi, je suis du Maroc, et je peux vous le dire, je ne suis à la maison qu’en Israël. Rejoignez votre nation…» Personne n’ose rien lui rétorquer.

Le visage de Baba Salé…

Distribution de paniers de Pourim à la synagogue de Netivot

         Une des actions permise par ce voyage aura été justement l’achat de paniers  de Pourim pour des enfants de familles de nouveaux arrivants dans le besoin. Nous les portons à Netivot, une ville durement touchée durant les bombardements du Hamas mais épargnée lors de l’excursion du 7 octobre. Un Juif pieux croisé à la synagogue où s’effectue la distribution des paniers m’assure que les assaillants ont rebroussé chemin «Parce qu’une apparition les a jetés dans la terreur, le visage dans le ciel de Baba Salé », ce Tsadik marocain dont la tombe est vénérée sur place. Les membres de la  communauté de Juifs orthodoxes à laquelle il appartient ont déménagé en bloc de la Courneuve en Région parisienne,  il y a environ cinq ans. Ils voulaient vivre au plus près du tombeau de leur saint. Une nouvelle vie qu’en dépit des drames, des duretés aussi de la vie quotidienne en Israël, aucun ne semble regretter.

         Grâce à une dérogation de l’armée, une ultime étape nous conduit tout au sud du Néguev, à la jonction entre Israël, l’Égypte et la bande de Gaza dans le kibboutz de Kerem Shalom. De l’autre côté de la barrière composée de plaques de béton de sept mètres de haut, c’est la ville de Rafah, dernier bastion du Hamas et c’est de là, le 7 octobre, que près de 200 terroristes sont montés à l’assaut. Aujourd’hui, le kibboutz est vide, comme abandonné, les traces de combat encore bien visibles. On voit aussi des colombes de paix carbonisées au-dessus d’un manège dans le parc de jeux pour enfants. Les kibboutzniks en avaient peint aussi, trop naïvement peut-être, sur le mur de séparation.

Un kibboutz mi-laïc, mi-religieux… 

Brounia et Doudi Rabbi à Keren Shalom

         Nous sommes accueillis par Doudi Rabbi, un des agents de sécurité qui a participé à la défense du kibboutz : deux kibboutzim et deux soldats sont morts mais les terroristes ont été repoussés avec succès et aucun membre des familles présentes n’a été tué ou kidnappé. Et par Brounia, une jeune femme aux cheveux teints en violet et qui sert de porte-parole. Lui, appartient au groupe des neuf juifs orthodoxes qui, en 2018, ont rejoint avec leurs familles très nombreuses ce kibboutz historiquement laïc. Brounia, qui appartient à l’une des familles fondatrices, nous dresse le tableau de cette intégration peu banale. Elle raconte comment le processus s’est déroulé : « Ils se sont présentés comme des religieux qui désiraient vivre à nos côtés sans pour autant vouloir nous changer. Nous les avons acceptés car, sinon, le kibboutz aurait dépéri. De moins en moins de gens sont prêts à s’installer si loin de tout et si près de la frontière. Leur présence a changé l’ambiance. Les maisons se sont remplies de lumière, les enfants se sont mélangés même si chacun suit des activités propres. Nous avons trouvé des compromis. Deux demi-journées par semaine les femmes orthodoxes ont été autorisées à utiliser la piscine, seules avec leurs petits. Il y a des événements purement laïcs, d’autres mixtes et enfin certains réservés uniquement  aux religieux. Au final, nous sommes unis, même si nous sommes différents. »

Est-ce un hasard si dans ce pays où les divisions ont coûté si cher, ce kibboutz dont les membres, laïcs et religieux sont si unis, a été l’un des seuls à empêcher les terroristes du Hamas d’accomplir leurs forfaits ?

© Pierre Rival

Photos Pierre Rival et d.r.

Contact NETSAH Éternité :  netsah1948@gmail.com

Tél : 06 03 52 88 88


LE PROGRAMME DU VOYAGE

  • Dimanche 17 mars : Arrivée à Ben Gourion, rencontres avec le journaliste Daniel Haïk, Daniel Saada ancien Ambassadeur d’Israël en France et Alexandre B. soldat de l’unité d’élite Egoz
  • Lundi 18 mars : cueillette de citrons au Kibboutz Shokeda, visite de la base « des observatrices » de Nahal Oz attaquée le 7 octobre. Cérémonie solennelle sur le lieu du Nova festival et passage au « cimetière des voitures ». Distribution de paniers-cadeaux pour les familles de Sderot et de Netivot.
  • Mardi 19 mars : Jérusalem. Recueillement au Kotel et découvertes des nouvelles fouilles sous le Mur. Visite de la Knesset et rencontre avec le député francophone Yossi Taieb (parti Shas).Visite du centre hospitalier de réhabilitation fonctionnelle de Hadassah et rencontre avec des soldats. Débat avec Meir et Carole Ouaknine et avec Cathy Choukroune, rédactrice de la chaîne au service des olim francophones (nouveaux arrivants) Qualita TV
  •  Mercredi 20 mars : place des otages à Tel-Aviv avec l’Ambassadeur Dany Shek et des familles d’otages. Solidarité agricole avec taille de la vigne au mochav Karmey Yossef
  • Jeudi 21 mars : visite du kibboutz de Kerem Shalom.
  • Vendredi 22 mars : visite du Peres Center for Peace and Innovation et rencontre avec Yoni Peres
  • 23 au 27 mars : les participants rejoignent leurs familles respectives en Israël

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3 Comments

  1. J’ai honte de l’attitude du monde envers Israël, plus démocratique que bien des pays occidentaux plus courageux et innovant , plus éthique que les autres pays en guerre !! Israël le juif des nations ? Ça doit cesser !

  2. Un voyage de solidarité consiste en du volontariat pour pallier le manque de main d’oeuvre mobilisée ou faire un travail spécifique à la guerre menée. A défaut, faire du tourisme pour faire subsister ce secteur sinistré. Le reste, rencontre avec des ministres, militaires, sites sinistrés..ne fait que perdre du temps mais flatte, ô combien, les “voyageurs de solidarité”. Et cela permet tellement de s’afficher comme “dames patronesses” en rentrant.

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