Malaise dans l’origine. Le 7 octobre, ou le refus de la présence juive où que ce soit dans le monde?

Sonya Zadig, psychologue clinicienne-psychanalyste, linguiste et écrivain, et Jean-Jacques Moscovitz, psychanalyste et psychiatre, nous proposent cet essai de penser ensemble le 7 octobre, en tant que mal absolu qui s’est abattu sur les Juifs et sur le monde civilisé.

Sonya Zadig : Le 7 octobre fera date pour nous tous, c’est une grimace du réel, un réel impossible pour nous, innommable dans son atrocité et épouvante voulue. Ce qui indique combien l’islamisme veut prendre le pouvoir dans le monde par la cruauté, et une fois le pouvoir obtenu exercer cette cruauté sans fin. Voilà pourquoi la perception du 7 octobre reste différente selon où nous nous plaçons, nous pleurons pendant qu’ils célèbrent, c’est une histoire dont la date est glorifiée dans le monde arabo-musulman, des écoles et des restaurants ont récemment été nommés Le 7 octobre. En tout cas, cela fait date et il y aura pour tous un avant et un après le 7 octobre

Jean-Jacques Moscovitz : Le 7 octobre représente une attaque du genre humain comme cela s’est produit pendant la Shoah sous les nazis, cette attaque évoque la solution finale, ici pour effacer la présence juive au Moyen-Orient. C’est le refus de la présence juive dans cette région du monde, voire l’ensemble du monde. Est-ce exagérer de dire cela ? Une provocation ?  Voilà la question que nous avons à soulever.

SZ : In fine, vous soulevez là la place de la haine focalisée à peu près partout sur le juif, les juifs. Pourquoi agrègent-ils tant de haine, pourquoi faudrait-il qu’ils disparaissent pour que d’autres puissent exister ? 

En tout cas, le 7 octobre est la mise en acte de cette haine, je dirais structurelle au monde musulman.  Nous avons beau essayer de comprendre ce qui explique cette grande constance transgénérationnelle de la haine du juif, rien de bien rationnel ne nous paraît suffisant. 

JJM : De fait, la propagande islamique dans le monde utilise les frayages de cette haine des juifs avec beaucoup d’adeptes en ce moment, voire des pays entiers. C’est effrayant pour nous tous face à l’épouvante provoquée par les actes de meurtres du Hamas. D’autant que la causalité sous-jacente reste mystérieuse, elle est sûrement en rapport avec une structuration vis-à-vis de ce qu’est la vie, de ce qu’est la mort dans le monde musulman auquel nous sommes confrontés et qui veut nous détruire ou nous conquérir.

SZ : Revenons à l’identité juive tant mise en surbrillance dans le temps où nous sommes.
Freud disait : « Mes parents étaient juifs, moi-même je suis demeuré juif ». Être juif pour lui c’est réitérer un choix fait par d’autres, être juif c’est être fidèle à la « chose juive », il se peut que ce soit cette chose même que l’antisémitisme vise. Finalement c’est une façon de dire nous savons d’où on vient, nous connaissons l’origine, notre origine, et nous choisissons de rester fidèleS à ce choix quoi qu’il en coûte. Les juifs seraient porteurs d’une différence qui les placerait de facto dans le radicalement autre. 

JJM : Être autre n’est pas l’apanage du juif, ni de personne de stigmatisé, mais de celui qui, vis-à-vis de son identité et de son identification, de ses processus d’identification, a fait le chemin pour s’en dégager et s’apercevoir qu’il y a des strates d’identités en soi : être juif, être femme, être homme, être français, être, de préférence à ressembler à, être branché sur tel enjeu philosophique, etc. Et par la même être autre signifie que cet ensemble de strates n’est jamais terminé. Peut-être est-ce cela l’apanage du juif, qu’on lui attribue un peu trop volontiers, et du coup durant des siècles, voire des millénaires, s’est déposée une haine du juif, juif comme étant soi-disant plus libéré que les autres peuples, ce qui n’en est rien bien évidemment. Tous, chacun, individu ou peuple ont cette vertu à assumer d’être autre pour les autres.

SZ : Pourtant on leur en veut d’être responsable devant un choix qui les précède. Mais ce que vous dites est exact puisque les nazis ne toléraient pas du tout que les juifs puissent se convertir et renoncer à leur judaïsme, ne serait-ce que pour nourrir cette haine des juifs.

JJM : Freud écrit cette phrase dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste : « Un antisémite est un chrétien mal baptisé », à savoir qu’il est resté quelque peu païen, païen idolâtre, tel Terra, le père d’Abraham, et qu’Abraham va quitter. Lors du sacrifice d’Isaac, quand ils montent ensemble comme un seul homme, Isaac et Abraham sont unis/collés alors qu’Isaac a 35 ans, et Abraham à ce moment-là découvre que son propre père, Terra, est idolâtre, et il se sépare de Terra, son père païen, pour devenir adepte du Dieu des hébreux, qui est en train d’arriver dans la culture et dans le monde.

Sacrifice d’Isaac. Le Caravage

Abraham demande à son fils Isaac d’être là. Pour son sacrifice ? Oui je suis là, ton fils et non encore séparé. Alors, quelque chose se passe du fait qu’Abraham va sacrifier à la place un animal, de telle sorte que ce mugissement de la mort de l’animal signifie qu’Isaac n’a pas été tué. Isaac et Abraham descendent du mont Moriah, ils sont finalement séparés.  C’est l’abandon du sacrifice d’enfants. 

Le judaïsme haï, refoulé, nié provient de ce reproche fait aux juifs d’être ceux qui éloignent, d’être ceux qui séparent monde maternel et enfance, mais aussi voilà le rôle de Père qu’occupe Abraham, de séparer la vie et la mort, ce qui signe le renoncement à l’immortalité. C’est cette fonction biblique du juif comme fait et comme mot, de savoir-faire avec un renoncement à l’immortalité.  Preuve en est la peur radicale de la mort dans le monde juif, un juif qui meurt est enterré sans attendre. Cela renvoie à ce qui, dans nos sociétés, donne une valeur symbolique à la mort comme limite de la vie. Ce qui est à l’opposé absolu des tueries de masse comme celles du 7 octobre, morts en tant que meurtres voulus, construits. 

SZ : « J’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité ». Et in 62-8 Coran : -« Dis » : La mort que vous fuyez va certes vous rencontrer. Ensuite vous serez ramenés à celui qui connaît parfaitement le monde invisible et le monde visible et qui vous informera alors de ce que vous faisiez ». 

Ce verset du Coran est une réponse adressée aux juifs et à leur   « Tu choisiras la vie » . 
La mort pour les musulmans n’est pas à fuir mais au contraire à espérer puisque aussitôt mort, c’est la vie dans l’au-delà qui commence. On voit bien qu’il y a d’emblée une différence radicale entre les 2 pensées, pensées qui ne peuvent se rencontrer que dans l’affrontement et la violence.

Même s’il y a des similitudes indéniables entre le Coran et la Bible, les différences sont pourtant incomblables. Vous évoquez l’histoire d’Abraham et de son fils Isaac, l’origine de la haine entre juifs et musulmans rencontre précisément ici son point culminant. Pourquoi ? 

Dans la version coranique, Abraham se voit dans le rêve en train d’immoler son fils, ce n’est nullement une injonction de Dieu, il raconte son rêve à son fils Ismaël et non pas à Isaac. « Mon cher fils, je me vois en songe en train de t’immoler… » « Mon cher père, lui dit-il, « fais ce qui t’est ordonné ».  Avant d’accomplir le sacrifice, dieu intervient : « Nous lui criâmes : Ô Abraham ! Tu as cru en ton rêve ! » c’est donc une semonce face  au fait que le père aurait donc mal interprété le songe.

Pour Ibn Arabi, l’un des plus grands théologien et philosophe arabo-andalou, c’est ici que l’on voit le dissensus entre le père et le créateur en Islam : « le songe relève de la présence imaginative qu’Abraham n’a pas interprétée. C’était en fait un bélier qui apparut en songe sous la forme du fils d’Abraham. Aussi Dieu rajouta t-il l’enfant du fantasme d’Abraham, par la grande immolation du bélier, ce qui était l’interprétation divine du songe, dont Abraham n’a pas été conscient » Ibn ARBI. (La sagesse des prophètes, trad. Burckhardt, Paris, Albin Michel,1974, page 73).

 Cet épisode nous ramène aux propos de Freud dans L’homme Moïse et la religion monothéiste :  

« La récupération (Wiedergewinnung) de l’unique et grand Père-originaire (Urvater) produisit chez les Arabes une extraordinaire élévation de la conscience de soi, qui conduisit à de grands succès temporels mais s’épuisa aussi en eux. Allah se montra beaucoup plus reconnaissant à l’égard de son peuple élu que jadis Yahvé à l’égard du sien. Mais le développement interne de la nouvelle religion s’immobilisa bientôt, peut-être parce qu’il manquait l’approfondissement qui produisit, dans le cas juif, le meurtre perpétré sur le fondateur de la religion ». Précisons que c’est la mort réelle, violente ou non, d’un fondateur, ici Moïse -c’est le cas de tout fondateur d’une religion- qui dans le texte est inscrite comme meurtre symbolique et qui donne alors cohésion au peuple.

Notons dès lors qu’il  n’y a effectivement pas un tel meurtre symbolique du père dans la religion islamique, Allah sauve le fils de son propre père pour le détourner vers le créateur. Le dieu de l’islam n’est pas un père et n’a pas de fils non plus, l’islam pense en dehors du père qui est ici défaillant, inconscient et institue dieu en tant que garant de la fonction symbolique défaillante du père. Le dieu de l’islam n’est pas un procréateur, il n’intervient pas dans la procréation comme c’est le cas pour Sarah et Marie.

D’autant plus que l’histoire d’Abraham est marquée par l’abandon du fils à la demande de sa femme Sarah, Ismaël et sa mère ont été renvoyés à errer dans le désert , sans l’intervention de dieu  ils seraient morts, cela confirme bien qu’il y a dans l’islam un renoncement au père , c’est l’être qui est la fonction symbolique séparatrice mais le créateur ne se confond en aucun cas  avec le procréateur , il y a donc malaise non pas dans la civilisation mais dans l’origine et cela a des effets et non des moindres. Voici ce que dit Fethi Benslama :  « dans le judaïsme et le christianisme, Dieu est à la fois créateur et procréateur, tandis qu’Abraham comme Joseph sont des pères symboliques. Ce positionnement généalogique dans la première écriture du père du monothéisme explique à mon sens que le Dieu de l’islam n’est pas un père. Curieusement, les études comparées du monothéisme n’ont jamais révélé cet aspect essentiel. L’autre fait majeur du récit biblique est qu’Abraham renvoie son fils Ismaël et sa mère dans le désert, les exposant à la mort, n’était l’intervention divine pour les sauver. La figure du père est donc marquée à l’intérieur de l’islam par la question de l’abandon, qui redouble la tentation du sacrifice du fils, quand bien même le texte coranique met en scène une réconciliation entre Ismaël et son père lors de la reconstruction du temple de la Mecque. Il me semble que cette situation a conduit le fondateur de l’islam à renoncer à l’idéalisation du père, pour dégager d’emblée la conception d’un Dieu qui est être, source d’une fonction symbolique séparée et séparatrice du père et du fils. Si Dieu rétablit la métaphore paternelle, il échappe à l’ontologie métaphorique du père, non seulement parce qu’il est interdit de l’appeler père mais il est impossible de le nommer proprement » (Fethi Benslama, d’un renoncement au père » Topique 2003-2004(numéro 85)

D’ailleurs rajoutons que le prophète de l’islam est exclu de la fonction du Et voilà père  « Muhammad n’est le père d’aucun homme parmi vous », dit le coran, d’ailleurs Allah s’adresse à lui en le nommant « l’orphelin » car il était orphelin de père , ainsi s’établit la religion des fils, fils séparés de dieu « inengendré, impérissable, entier, unique , inébranlable et sans terme » ; il s’agit d’un dieu saturé et donc impossible et pourtant  dieu a parlé à un orphelin , sa parole n’est que vérité , la vérité est toujours déjà là . Le retour à l’origine, à cet âge d’or que fut l’avènement de la prédication mahométane, est une clôture qui exile du présent et de l’avenir et veut le retour au même.

D’où ce désir chez certains de répondre à son appel, un appel au demeurant impossible car mortifère, c’est ce point-là qui est important à saisir pour nommer ce qui s’est passé le 7 octobre.

JJM : L’islam , dites vous, est une clôture , mais on ne peut pas retourner à l’origine  car elle est insaisissable, multiple , le nazisme a voulu lui aussi voler l’origine de l’humanité aux juifs , premièrement en pensant que le juif était à l’origine de l’humanité, ce qui n’a rien de sûr   sinon qu’il le prétend, comme si cette origine était réelle , concrète , qu’elle n’est pas du tout d’ordre symbolique , une sorte de position ou il n’y a aucun  doute sur cette origine , alors que le judaïsme est plein de doutes sur cet originel, c’est même ce doute qui  définit cette origine, elle est restratifiée en différentes couches, en différents moments , l’origine en particulier doit être symbolique mais vide, ce vide de l’origine est l’insupportable qu’il faut remplir par tous les moyens, par tous les mots. Le nazisme l’a fait avec le Führerprinzip (principe du chef dont les mots ont valeur de loi) le Hamas fait la même chose avec la notion d’Allah , un dieu plein , non questionnable , non Représentable, non caricaturable, il est Un et le plus grand, c’est là que  le juif diffère et donc provoque une sorte de panique qui appelle à son élimination puisqu’il représente une origine vide qui peut être remplie et modifiée et remplie autrement, c’est là que l’on peut faire le lien entre nazisme et islamisme , sur cette question de l’origine sans cesse questionnée dans l’islam et annulé dans le nazisme.

SZ : Le juif en effet est la trace de l’origine à éliminer, simplement parce qu’il est témoin de cette origine que l’on veut s’approprier, c’est l’histoire du second premier comme le dit Sibony, le narratif islamique s’oppose drastiquement aux narratifs judaïques quant à l’origine, il y a un plein d’un côté et un vide de l’autre, la haine se   cristallise à cet endroit à mon sens.

JJM : Je suis en difficulté avec le mot haine parce qu’il y a la haine primaire du fait que l’existence surgit au monde et qu’on va haïr la naissance, on l’a vu avec les membres de Daech en particulier qui vont vers la non vie, ils retournent à un moment de non naissance ou ils estiment que la vie et la mort se valent et ne valent rien, on peut alors tout à fait envisager la possibilité d’un inceste entre la vie et la mort au cœur même des victimes qu’ils vont tuer dans l’action kamikaze, qui n’est ni de culture musulmane ni juive,  mais de culture japonaise. 

J’ai parlé dans mon livre « D’où viennent les parents ? » de la mort objet , cette attaque du 7 octobre en est un exemple, détruire les corps, détruire l’axe de la parole en tuant , c’est une mort marchandisable, commercialisable , une mort distribuée et distribuable , il y a à mon avis un parallèle à faire avec la shoah puisqu’on attaque l’existence même , un bébé, un banquier, un savetier, tous sont tuables au nom de la haine antisémite simplement parce qu’ils sont porteurs du signifiant Juif, du nom juif, quels qu’ils soient, peu importe qui ils sont , d’où ils viennent , ils sont indifféremment tuables parce que juifs ; et c’est là qu’ils sont en quelque sorte entièrement aliénés à ce signifiant, ils ne peuvent pas le retirer de leur propre certitude, les nazis ont tué les juifs parce qu’ils sont juifs, quels que soient leurs souhaits de ne plus l’être pour sauver leur peau, cela ne compte pas et les islamistes du Hamas c’est pareil, ce n’est pas le juif comme tel ou tel , un monsieur ou madame un tel qui fait ceci ou cela dans la vie, non,  c’est ce qu’il représente en tant que signifiant , en tant que mot, en tant que nom propre , il représente ce qui fait l’origine et qui justement chez les islamistes ne peut se supporter autrement qu’en l’annihilant, en tuant le juif,  l’origine devient inaudible, introuvable, indicible.

SZ : Je suis d’accord avec vous là-dessus, le signifiant juif dans ma culture d’origine est un objet haïssable, haïssable parce que différent, les objets de haine sont toujours choisis précisément parce qu’ils sont autres, c’est toujours la différence qui est visée par la haine et le juif dans cette religion est l’autre radicalement autre. Mais au-delà du signifiant, c’est surtout l’altérité qui est visée, c’est la même chose pour le signifiant Femme, l’autre qui est aussi le même qu’il faut détruire, ce qui échappe au même dans le cas de la femme dans la oumma, ce qui est insaisissable dans le cas du juif.

JJM : Le contraire de l’amour n’est pas la haine mais le désamour, je ne crois pas que la haine et l’Amour soient liés, peut-être dans la vie de tous les jours, les gens qui tout d’un coup éprouvent de la haine et divorcent ou se séparent, mais la haine dont vous parlez, c’est autre chose, c’est la haine de l’existence elle-même, il faudrait trouver un autre mot pour la dire, c’est une sorte de captation par le mouvement de destruction de l’existence de l’autre. C’est une haine anthropologique, difficilement localisable, à mon avis le mot haine risque de nous coincer dans la compréhension des choses, c’est plutôt de la non-vie, une sorte d’idolâtrie radicale.

SZ : C’est une haine, je n’ai pas d’autre mot pour l’instant, une haine qui fait signe du rejet de l’altérité en soi, je l’ai déjà évoqué dans un précédent ouvrage : appartenir à la oumma c’est faire corps avec le même et rejeter tout ce qui n’est pas soumis à la loi d’Allah, la figure du juif serait aussi la figure de l’insupportable qui convoque la différence et l’altérité assumée. Il y a à mon avis dans cette origine pleine, dans ce retour à la matrice, à la Oum donc, un refus de la perte, un refus de se séparer, la haine est à mon sens une haine mélancolique.

Si l’on revient à l’origine supposée des choses, à notre père commun Abraham , les versions diffèrent drastiquement et il nous faut vraiment changer de paradigme pour lire la pensée islamique, faire un pas de côté et ne pas se contenter de dire qu’il n’y a pas eu de meurtre du père car les conséquences de cette thèse seraient un retour à la horde primitive, or la civilisation islamique est aussi un édifice social, une loi, une spiritualité , les musulmans partagent le fantasme structural de l’humanité qu’est le parricide mais il nous faut chercher du côté de la mère .

Nous nous séparons de l’origine par la discorde entre deux femmes, Sarah et Agar. Abraham a écouté sa femme et a abandonné son fils Ismaël et sa mère à la demande de Sarah, l’histoire de la pensée islamique est frappée par le sceau de l’abandon, le père est disqualifié par deux fois, la première fois lorsqu’il interprète faussement le songe en voulant sacrifier son fils et la seconde fois en cédant à la demande de Sarah et en acceptant de chasser   le fils ainé dans le désert d’Arabie.

Si l’on prête attention au texte biblique, Dieu conclut avec Agar une seconde Alliance et lui promet une riche descendance, d’ailleurs Spinoza parle d’Agar comme d’une prophétesse, la seule femme du récit biblique à avoir vu Dieu sans mourir, c’est cette voie-là que j’aimerais explorer, une voie qui ne passe pas par une alliance entre dieu et le père mais bien entre Dieu et une femme, une femme qui a refusé d’être réduite à une matrice.

L’islam se passe du père pour instituer la mère comme lieu de la demande, il me semble que nous négligeons trop souvent la voie spirituelle féminine , ce que je veux dire, c’est que pour comprendre tout cela à travers les premières écritures  , il nous faut revenir  à l’origine première et ne pas conclure hâtivement à l’absence du meurtre du père, ce serait condamner une civilisation à l’errance, une autre voie est possible et elle est à trouver du côté de la mère se découvrant femme. 

JJM :  Freud choisit pour inventer sa discipline, la psychanalyse, Œdipe, le mythe de Sophocle, pour l’établir comme structure familiale en cours de nos jours en Occident et ailleurs. Il a donc mis en place structurellement les quatre termes fondamentaux de la famille, père, mère, enfant, en y ajoutant le phallus. Le phallus est ce qui donne de la valeur à chacun des termes tour à tour.  Ces quatre termes sont ainsi structuraux : le père qui tient à distance les trois autres termes, sans les confondre, ni qu’ils se dispersent entre eux. La loi de la domination est portée par le père qui porte le phallus, mais cela circule. Ainsi, nous l’avons vu avec Sarah, Isaac et Abraham : Abraham a la main sur son fils, pour envisager son sacrifice il sera amené à s’en défaire, puisque le fils prend sa vie en main en se séparant du père et a donc le phallus à ce moment-là. Sarah revient sur la scène réclamant son fils et a donc la main sur l’ensemble de la situation. Dans cette circulation, manque un élément profondément humain qui est le feminin.   Cela met en rapport la fille comme enfant, la femme et la mère. L’absence totale, la non-présence du féminin dans l’œdipe doit être questionnée. Face à cela Freud désigne deux énigmes, il se demande « Que veut la femme » et « Qu’est-ce qu’un père ». Or, ces deux termes, Père et Femme, ne sont pas congruents, il s’agirait plutôt d’entendre ensemble homme et femme ou Père et Mère, ou encore enfant et chacun des deux parents. C’est là où la structure joue sa partie. C’est par cette absence dans l’œdipe, tout au moins apparemment, que la fille/enfant, la femme, la mère ont à se rencontrer. Or, voilà que l’on découvre par la clinique combien le féminin est protégé par la fonction paternelle pour qu’elle ne soit pas en rivalité ravageante avec la mère. Déjà la fille, petite encore, le sait, elle va chercher, chez son père, un lieu protecteur.

Dans l’œdipe en effet, soit dans la structure de l’humain, tel que Freud conçoit le psychisme humain, avec la dimension de l’inconscient, le féminin joue sa partie en écho à la présence du père, par lequel il est protégé contre la mère, qui peut l’engloutir pour garder la main sur le père, bien que les deux, Fille et Mère entre elles, savent se rencontrer pour se plaire et s’imiter, s’aimer aussi l’une l’autre. Ainsi, le féminin est-il obligé de faire un travail pour pouvoir exister chez la fille qui devient femme, ce travail crée une indépendance pour acquérir la dimension du phallus, plus une certaine façon de ne pas le posséder, de ne pas s’en servir autrement que de façon dominante. C’est que le féminin participe plutôt de l’être et de la béance, alors que le père participe plutôt de la puissance et de l’avoir. Voilà comment cela s’agence et où la dimension du père de la horde primordiale comme vous l’avez soulevé plus haut vient à se sublimer en transformant sa nécessité de mâle dominant. C’est cela que nous souhaitons ici, dans nos contrées, que la dimension féminine soit acceptée, sans pour autant dénaturer l’autre sexe dans sa fonction, il devient souvent un papa poule, mais pas que cela. Il garde la dimension symbolique du porteur de la loi, de porteur du nom, porteur de la dimension tierce. Mais qui peut tenir la valeur phallique ?  Aussi bien l’enfant, la mère, que le père. On voit que cette valeur tierce est devenue très sébile. Probablement avec l’expansion de la psychanalyse. En tout cas, disons que c’est à travers ces quatre termes et ses enjeux du féminin, donc de ces cinq termes, que les symptômes névrotiques, voire psychotiques, s’agencent. Et il est certain, comme le souligne Lacan, que sans la dimension œdipienne, le psychisme est renvoyé à la psychose Schreberienne. Le cas Schreber est le modèle de la psychose paranoïaque que Freud étudie dans son fameux texte de 1911. La particularité du cas Schreber n’ayant pas cette structuration œdipienne, le Moi va filer vers un délire mystique religieux extrêmement riche.  Qui risque d’être extrêmement dangereux si la possibilité d’exercer ce religieux est exigée de façon violente, en prenant le pouvoir politique par la cruauté et la destruction des corps. Pouvoir propre au terrorisme dont nous parlons ici. Voilà ce qui est proposé d’être mis en travail avec des savants islamiques à partir de cette effroyable hécatombe produite le 7 octobre qui nous met face à un totalitarisme effrayant et qui sème l’épouvante. Et dire totalitarisme implique de questionner la causalité sous-jacente à de tels crimes. Ce qui convoque le psychanalyste à percevoir comment la structure liant vie et mort s’est bloquée sur la tuerie. Notre présente approche est de savoir comment faire la paix entre le monde arabe et l’Occident, pour que chacun des mondialismes ne veuille pas, tout le temps, conquérir le monde entier. 

Mais posons bien que ce dérapage voulu vers la tuerie est possible pour nombre de structures collectives surtout religieuses, il a existé durant les siècles avec les  croisés chrétiens et autres montages de différents peuples ou nations. Sachant ce soubassement psychique du fonds humain, alors l‘action politique pourra jouer sa partie sur le terrain de la paix.

SZ : Avant de réciter un verset du Coran il faut à chaque musulman prononcer l’énoncé suivant : « Au dieu, le Matriciant , le Matriciel », n’est-ce pas incroyable ? incroyable car porteur d’espoir , je n’ai jamais cessé de dire , encore et encore, que l’islam accédera à la modernité par la femme , tout avait commencé par cette femme chassée , répudiée , le texte coranique  lui-même l’a répudiée, aucune trace d’Agar alors que Sarah est mentionnée à plusieurs reprises dans le texte, étaient-ce ses origines sociales ? son être esclave que le texte essaye d’effacer ? toujours est-il qu’il nous faut restituer le lieu de l’origine pour espérer surmonter l’origine de la haine.

La mère, la Oum de la Oumma, doit laisser place à l’autre, la matrice enferme l’enfant à double tour dans la parole matricielle, celle qui empoisonne, qui mortifie et condamne à la répétitivité dans une pulsion de mort.

Que nous est-il permis d’espérer, disait Kant ?  L’ouverture de la matrice, l’engagement hors du même vers la différence, car le serment de  mère matricielle est « Tu retourneras toujours vers moi car tu es moi », la non-naissance, la non-vie, il lui faut se séparer de son produit et autoriser le travail de la langue.

La femme musulmane  a sans doute la clé de la libération, de notre libération à tous, opprimés et oppresseurs, oserais-je dire la clé de notre délivrance ? C’est uniquement lorsque  l’ombre de la OUM , de la mère musulmane, cessera de tomber sur la femme que nous pourrons envisager collectivement une paix possible.

© Sonya Zadig, psychologue clinicienne, Psychanalyste et Écrivain

© Jean Jacques Moscovitz, Psychanalyste (psychiatre,) Paris , Membre de l’association Psychanalyse Actuelle.

 

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