Daniel Sibony. Gaza

Cette guerre a un enjeu de vie 

Quand je pense au conflit avec distance, je suis impressionné de voir deux peuples en proie à des forces de mort et de destruction, l’un pour sauver son existence, l’autre pour accomplir l’appel sacré à la guerre sainte, à la guerre qui doit réislamiser la Palestine puisqu’elle était islamique. Et c’est là qu’on observe la logique totalitaire : une fois que les troupes arabes ont conquis la région au septième siècle et l’ont donc islamisée, une fois qu’elles ont mis dessus le tampon islamique, cela veut dire que rien de ce qui précédait ne compte plus, que s’il y avait du sacré, qu’à cela ne tienne, on le remplace par la vraie version de ce sacré, que s’il y avait de la Bible avant, on la remplace par sa vraie version, le Coran, qui fait qu’elle ne compte plus.  Et pas question de tenir compte de l’option juive sur cette terre ancestrale des Hébreux, option que les juifs se transmettent au fil des générations depuis plus de deux millénaires. En l’islamisant, les musulmans du septième siècle ont répété sur cette terre l’opération que le Coran avait fait sur les hébreux bibliques : il les a islamisés, de manière à traiter leurs descendants d’infidèles. 

Et ce sont ces infidèles qui sont revenus dès qu’ils ont pu au 19e puis au 20e siècle. Ils sont venus reprendre leur bien, leur terre que même le Coran leur reconnaît puisqu’il cite la demande « divine » faite aux Hébreux dans le Sinaï de la conquérir, la fameuse terre promise. Et les arabes de Palestine n’ont pas réclamé. Gaza et la Cisjordanie quand ces deux territoires étaient sous un pouvoir musulman, à savoir l’Égypte et la Jordanie. Mais quand les juifs y retrouvent une souveraineté, le réflexe de la guerre sainte s’allume ; c’est cette guerre qu’ils ont déclenchée. 

Et l’enjeu de la riposte israélienne, ce n’est pas seulement d’assurer le calme pour l’État juif, d’écarter un danger mortel, mais d’arracher à sa racine l’idée qu’une religion puisse balayer ce qui la précède alors que c’est dans cela même qui la précède qu’elle a pris sa substance. 

C’est de la Bible des Hébreux que le Coran s’est nourri. L’enjeu de la riposte c’est de faire opposition à un délire narcissique où l’on se pose comme l’origine de soi-même, en essayant d’étouffer les sources dont on procède, les ressources où l’on s’est nourri. Cet enjeu symbolique est énorme, et  s’il est atteint,  si l’on arrive à inscrire que sur cette terre, avant l’islam, il y avait non pas rien, mais l’absence des juifs pour cause d’expulsion, absence corporelle mais présence spirituelle par les paroles qu’ils tiennent sur elle, alors on aura réintroduit du même coup cette région dans un champ symbolique humain et non plus dans un champ purement narcissique. Obtenir cela, c’est se dégager des forces de mort, et si l’on y arrive, toutes ces vies perdues ne l’auront pas été en vain. Même les vies des civils palestiniens, que la guerre sainte a pris soin d’intriquer avec celle des soldats d’Allah qui ont fait de leur peuple plus qu’un bouclier humain : ils ont mélangé  jusqu’à les rendre indissociables les corps du tout-venant et ceux des djihadistes. Ils les ont mélangés pour le combat, et ils prétendent les dissocier dans le résultat. Non, ils sont indissociables d’un bout à l’autre, et parmi les morts civils, il y a beaucoup de combattants, lesquels se battent en civil. 

Le peuple israélien a sacrifié une part de lui-même, par inconscience, permettant ainsi, sans le vouloir, que se révèle la machine de mort souterraine. Et le peuple arabe de Gaza aura sacrifier une partie des siens, d’abord pour la guerre sainte, puis pour peut-être se dégager de sa logique mortifère. En ce sens il y a un enjeu de vie pour tout le monde, dans cette histoire.

Bien sûr, cela n’empêchera pas les forces de mort narcissiques de carburer à plein feu là où elles peuvent, l’effort énorme pour faire maudire par les nations les Juifs comme tueurs d’enfants n’est pas près d’aboutir. L’arme de la confusion est très utilisée : on se souvient du missile qui explosa sur un hôpital de Gaza aux tout débuts le Hamas a aussitôt annoncé 572 morts, et quand il s’est révélé que le missile était palestinien, le chiffre  fut aussitôt rectifié : 50 morts.

À l’heure où j’écris, plus de cent morts près des camions de ravitaillement, alors que moins d’une dizaine sont dues aux tirs des soldats menacés. Le chantage au génocide aura lieu de toute façon, et avait lieu bien avant cette guerre (Deleuze avait écrit que les Israéliens font aux arabes ce que les nazis ont fait aux juifs.) 

Mais les peuples n’en pensent pas moins et ils suivent cette aventure à d’autres niveaux dont ils devinent confusément l’enjeu profond, au-delà des manipulations. Souvent ils suivent Israël comme la foule suit un équilibriste qui traverse l’abîme sur un fil : au fond d’elle-même, elle voudrait qu’il y arrive.

                                   Daniel Sibony*

*Vient de publier L’entre-deux sexuel chez Odile Jacob  

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1 Comment

  1. Daniel Sibony toujours très pertinent dans ses analyses revient aux origines du conflit imposé par l’islamisme radical qui tente d’effacer physiquement et spirituellement toute trace du judaïsme sur la terre d’Israel

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