L’auteure Daniella Pinkstein, Prix du London Jewish Book 2021, a adressé à La Revue Civique ce texte sensible et érudit, “La Marelle humaine”, que lui a inspiré l’attaque terroriste du 7 octobre, la tragédie – et les révisionnismes – qu’elle porte et colporte.
…………………………………………………………………….
Pour mon ami David Markish, écrivain, fils du poète Peretz Markish, dont la plume ne rompt, ni hier devant la férule soviétique, ni aujourd’hui sous les missiles.
Ô, cieux de suif ! Étrennez-les, ces chemises de fête !
Et portez-les de longues années, en toute félicité, tous autant que vous êtes !
Le 17 Hechvan 5784… *
*Vers détourné de l’ouverture de Di Kupe (Le Tas) de Peretz Markish, qui fut écrit après le pogrom de Gorodichtch, du 23 septembre 1920 (jour de Yom-Kippour, au cours duquel environ 500 Juifs ont été rassemblés sur place, fusillés, poignardés, les femmes violées, les maisons pillées et incendiées). Traduction de Batia Baum.
La Marelle humaine
Puisque les faits résistent au regard, puisque la réalité n’est pas aussi languide que sa confusion, puisque la vérité, accessible à mains nues, à portée de vue, de clics, d’avions, au simple toucher, même les yeux fermés, se commet à nous donner une leçon, « nous » au pinacle de l’arrogance, de la science et du cosmos, tandis qu’eux « psalmodient » encore, ramassant à chaque inflexion la poussière des siècles….
Alors comptons ! comptons ensemble en sautant à cloche-pied par-dessus terre…
Pour tracer la marelle, il suffit d’un bâton sur le sable…
Règle du Jeu : Pour commencer, chaque joueur se place sur la case « terre ». Le premier joueur doit lancer le caillou dans la case 1. Si le lancer est réussi il peut alors débuter le parcours.
La Terre
Tel-Aviv, 15 Hechvan 5784, de rouge ou de bleu, hommes libres, hâlés ou déhanchés, voilés ou couverts, ils vaquent, se querellent, ils vont, viennent, les uns les autres, nationaux, touristes, femmes effrontées ou pas, on y séjourne, en coup de vent ou longtemps, parce que rien ici ne semble aussi évident que la vie. Les gentils animateurs de l’UNRWA que la honte ne gêne pas préfèrent aussi y loger, y danser, y boire, et tout y maudire librement. On y circule, mal le plus souvent, encombrées, sinueuses dans les rues que l’on foule malgré tout, jamais immobile, seul ou à plusieurs, dans la nuit, à l’aube, en trottinettes, en vélos ou à cloche-pied, proche du monde qu’il faut traverser, à la hauteur des pas maladroits qui se fraient un passage, s’élèvent ; – effectuent ce mouvement décisif qui renouvelle le monde.
Tel-Aviv, fébrile et désinvolte, un jour encore de 5 octobre 2023.
Kibbutz Kvar Haza en ce même début d’automne était l’un des derniers rêves éveillés d’une communauté humaine, souvent délaissée d’une part du mur, saluée quelquefois de l’autre, espérant malgré tout qu’au lieu de s’abandonner à l’illusion, de s’en griser, chacun ferait face à la réalité, à toutes les réalités forgées par les contradictions, cruelles certes, mais par lesquelles subsiste le fondement de l’être au monde.
Parce qu’ils n’y avaient pas cru, à l’autre dans son costume d’égorgeur
En guise de cartes postales, des missiles, des fumées nocives incessantes, s’abattaient semaines après semaines. Depuis le retrait de Gaza en 2005, ces rêveurs, ces éternels luftmenshen, ces kibboutzniks d’un autre temps ont espéré que viendrait à leur porte un Taiwan, une ère folle où les tunnels seraient des gratte-ciel et les espaces de lancement, des aires commerciales. Mais le chaos est têtu, et la convoitise purulente.
Alors à quoi rêvaient-ils en construisant un abri entre la salle de bain et la chambre des enfants, un abri dans l’abri, Israël de plus en plus réduit, Israël déjà miniature, pour un seul lilliputien, seul derrière une porte blindée, – indemne aux roquettes, mais qui s’ouvre bêtement avec une poignée ou au lance flamme ! parce qu’ils n’y avaient décidément pas cru, à l’autre dans son costume d’égorgeur.
Alors à quoi rêvent-ils aujourd’hui ?
1. La traversée
« Le juif est le « passeur ». C’est sur la barque de chaque juif répétant le geste d’Abraham que les hommes passent à l’autre rive de l’humanité. L’homme juif, en tant qu’Hébreu, est le passeur qui, dans l’Histoire, a fait passer le paganisme antique au Christianisme, le paganisme oriental à l’islam, les néo-paganismes actuels encore à l’humanisme messianique » (1) .
Mais à chaque tour de roue, plutôt que de traverser, l’humanité souffrante pour se défaire de tant de responsabilités, de consciences historiques ou célestes, s’affranchit grivoise par le chaos …
Les juifs hantent les rêves d’une humanité dont ils ont l’audace de troubler le désordre affranchi
Chargé du signe du diable, faisant de leur histoire une vaste conspiration, les juifs hantent les rêves d’une humanité dont ils ont l’audace de troubler le désordre affranchi, tellement moins oppressant que « l’une des notions les plus effrayantes inventées par la terrible et dure logique de la théologie juive : la liberté » (2) . A l’absurdité outrancière de ce martyr éternel face auquel n’est soulevé aucune juste question, les réponses hélas tombent en cascades, finales pour certaines, virales pour l’instant.
« Étant né avec le monde, le Juif porte en lui, avec lui, le souvenir d’événements que tous les autres hommes ont oubliés, ou biffés, ou oblitérés, consciemment ou inconsciemment, depuis longtemps, mais dont lui maintient la présence à travers l’histoire, et dont il ressuscite la présence en chaque Shabbat – zekher lemaassé béréshit – chaque septième jour de la semaine, « journée mémoire de l’œuvre du commencement » (3).
C’est ainsi, Ainsi soit-il, « Grand » à présent pour presque deux milliards, que le commencement s’achève un jour de Kippour à Gorodichtche en 1920, le 14 avril 1942 Jour de Pessah, à Sombor, et le 7 octobre 2023, 17 Hechvan 5784, jour de Simha Torah, « Joie de la Thora », lors d’une fête de la paix.
Issu du judaïsme, l’Islam et le Christianisme ont voulu rompre le lien ombilical qui les rattachent à la religion mère avec une telle violence, qu’ils substituèrent l’histoire juive par des gorgones aux tignasses tentaculaires, – têtes hirsutes devenues d’autant plus colossales à la résurrection de l’État juif en 1948, et dont chaque cheveu aujourd’hui s’éprend de nos écrans déments. Qu’importe qu’ils soient serpents, si langoureuses sont leurs ondulations…
2. La Brèche
La Shoah est l’histoire de tous sauf des juifs. Les cadavres entassés, brûlés, les longues cheminées au remugle flottant, les enfants savons, la graisse des uns contre la torture des autres, les enfants pendus, massacrés, énucléés, et le feu sur l’Europe juive, sur les psaumes, par-dessus de vieux héros courbés dans leur redingote que l’on force à danser sur le corps de leur thora, papillotes rasées. La Shoah est l’histoire de tous, sauf des juifs… La disparition hilare d’un monde que chaque petit juif avait anobli de son geste sacré, de l’attente de l’union à l’universel humain que serait demain, de son cœur battant pour ce continent promis, auquel il avait ajouté son idiome, sa joie, et ses hymnes de jours enchantés, même cette disparition-là n’est pas à lui.
La Shoah appartient à tous ceux qui l’ont regardée, ignorée, élaborée, héritée, à ceux aussi qui aujourd’hui cherchent à la souiller, se tenant face à nous, sarcastiques. On a feint d’ignorer le négationnisme affiché d’un Mahmoud Abbas, dit « interlocuteur de paix », dont la thèse soutenue à Moscou, du pur jus soviétique, régénérait tous les poncifs antisémites. On a feint d’ignorer le livre publié sur la base de cette thèse, et paradant avec lui on a également feint de pleurer les « Holocaustes » contre les Palestiniens.
L’expulsion des juifs dans tous les pays arabes – presque sans exception – n’est pas un fait juif; il n’y gît que ce qu’on y a mis depuis 60 ans: le silence.
L’expulsion des juifs dans tous les pays arabes – presque sans exception – n’est pas un fait juif, il ne contient ni la désormais inévitable aversion coloniale, ni sa dite antithèse, l’émancipation ; – il n’y gît que ce qu’on y a mis depuis 60 ans : le silence.
Ce n’est pas faute d’avoir tenté de remédier aux mauvaises consciences. Certes les écrits de ce chimiste français inconnu, ancien déporté, historien autodidacte, Georges Wellers n’intéresseront au début des années 50 proprement personne. Son témoignage au procès de Nuremberg ne soulèvera en France aucun signe de pitié, d’empathie, de dégout, ou de responsabilité. Courageusement, ce solitaire réunira suffisamment d’archives pour constituer aujourd’hui les archives du Mémorial de la Shoah. Depuis, entre rédemption négationniste et concours d’hologrammes, la cendre a déjà cessé de nous brûler les yeux. Comment en si peu de temps pour intégrer l’envergure d’un tel génocide, la brèche s’est-elle ouverte, pour en faire surgir tant d’autres hallucinations ? Encadrés, bien proprets, décharnés, entassés les déportés, leurs beaux costumes, les chaussures d’enfants entassées, les croix, les bénitiers, les commémorations ont suivi, avec la meilleure intention du monde ! L’idée était juste, mais vers quel lieu la langue a- t-elle encore ripé ? Martelés, tambourinés, déglutinés, régurgités, les « plus jamais ça » ont vomi, des plus sombres abysses, un « ça » qui ricane.
3. La pulsion
- Allez, vautrez-vous toute la nuit sur les ventres impurs souillés de fange,
Courez vous dégorger de vos dernières gouttes de semence moisie,
Tels d’opulents sultans hors d’âge et hors d’usage, épuisez-vous d’orgie…
« Être pour la mort, c’est l’essence de la vie » ! affirmait le philosophe au bras tendu, Heidegger, jouissant de l’essence fondatrice du peuple germanique. « Nous aimons la mort plus que vous n’aimez la vie, recycle en écho la masse d’hommes de Bélial, assoiffés de sang de glaires et de tête coupées. Rattrapée par ses boucles blondes, pour ainsi dire in extremis, une enfant d’à peine 5 ans, est assassinée à bout portant, filmé par l’hilare assassin. L’interdit, la mère nue, l’inceste, le faux témoignage, le mensonge, le vol, le crime, ah oui, enfin exaltés !, « exhilarating », « énergisant » comme l’a savouré le professeur Russell Rickfort de l’Université de Cornell à propos du pogrom perpétré par le Hamas.
Ah combien ces dix commandements sont en tout temps oppressants !
Ah ! Ce dieu biblique du désert, l’Éternel dieu de vengeance, ce despote asiatique, dément et sot – avec ses pouvoirs de législateur ! Le fouet du garde-chiourme ! Le diabolique : « Tu dois… Tu dois.. » et le stupide : « Tu ne dois point ». Il faut vider nos veines de l’anathème du Mont Sinaï.
» Je suis l’Eternel ton Dieu.. » Qui donc ? Ce tyran d’Asie ? Ah ! Non ! Le jour est proche où, moi, je ferai prévaloir contre ces Commandements les Tables de la Loi nouvelle.«
Ces propos dont Hermann Rauschning affirma qu’ils furent tenus par Hitler entre 1933 et 1938, firent le tour du monde. L’ouvrage « Hitler m’a dit », fut d’abord publié en France, chez un petit éditeur juif d’origine hongroise, Emeric Samogy qui lui valut un succès fulgurant. Car en effet, comme l’on scrute aujourd’hui son écran, qui ne désirait pas connaître ce « qu’il avait dit » ? L’avertissement avait autant à dire que l’indiscrétion. Pour autant, que ces confidences furent authentifiées ou pas, en 1939, tous croyaient sans frémir pouvoir de toute façon compter plus loin que dix.
Poster un Commentaire