Yves Mamou. Moyen Orient : vers un tournant stratégique des États-Unis ?

TRIBUNE. Benjamin Netanyahou et Joe Biden (ou Barack Obama hier) ont commis la même erreur. Ils ont cru qu’ils pouvaient neutraliser chacun leur monstre, le gérer sur la durée et canaliser sa malfaisance. Les monstres en question, l’Iran et le Hamas, sont sortis de leur boîte et ont mis fin à leur instrumentalisation, analyse pour Valeurs actuelles Yves Mamou, journaliste, essayiste et auteur de Dix petits mensonges et leurs grandes conséquences. Auschwitz, Israël, la Palestine et nous (L’Artilleur, 2021).

Le président américain Joe Biden, le 11 octobre. Changement de ton.

© Samuel Corum/UPI/Shutterstock (14145675l)

Benjamin Netanyahou est de tous les premiers ministres israéliens celui qui a la carrière la plus longue (1996–1999, 2009–2021, 2022–aujourd’hui). Il n’a pas décidé ni organisé le retrait militaire de Gaza en 2005, et n’était pas en fonction en 2007, quand le Hamas a délogé l’Autorité Palestinienne et pris le pouvoir à Gaza. En revanche, jouant de l’irréductible hostilité entre les islamistes du Hamas (Gaza) et les laïcs de l’Autorité Palestinienne (Cisjordanie), Benjamin Netanyahou a conforté le Hamas à Gaza tout en brimant l’Autorité Palestinienne (AP).

Pour donner un exemple, Netanyahou a affaibli financièrement l’AP en refusant de lui restituer le montant des taxes douanières prélevées en son nom. Motif invoqué : tant que l’AP continuerait de rémunérer les terroristes ou les familles de terroristes, Israël refuserait de lui acheminer son dû. En revanche, en 2011, le même Netanyahou a libéré plus de mille terroristes emprisonnés pour obtenir la libération d’un otage franco-israélien, Gilad Shalit. Inutile de dire que la bonne image du Hamas a atteint à cette minute son apogée.

En renforçant le Hamas au détriment de l’AP, Benjamin Netanyahou voulait exacerber les tensions intra-palestiniennes. Il était certain ainsi qu’aucune puissance occidentale n’exigerait de lui qu’il entre en négociations immédiates pour la création d’un Etat palestinien. Avec qui négocier quand les deux pouvoirs palestiniens se haïssent et sont incapables de se mettre d’accord ?

Cette habileté politique faisait toutefois l’impasse sur une caractéristique intrinsèque du Hamas : la haine d’Israël et des juifs et la volonté exterminatrice du mouvement. Le 7 octobre 2023, le Hamas a jailli de sa boite et a attaqué Israel qui croyait tenir en laisse cette férocité islamiste. Plus de 1300 personnes y ont laissé leur vie, des enfants ont été décapités, des familles brulées vives et des milliers d’autres ont été blessées.

Bilan : tout Israël a été endeuillé et l’aura d’efficacité et d’invincibilité du pays a été durablement ternie. Aujourd’hui, Benjamin Netanyahou, déjà affaibli politiquement par 40 semaines de révolte contre sa réforme de l’appareil judiciaire, mange aujourd’hui son chapeau et prépare la réoccupation de Gaza et l’éradication du Hamas. Au terme d’une opération qui sera vraisemblablement couteuse en hommes et en matériel, Netanyahou se retrouvera devant un choix terrible : gérer Gaza ou remettre son pouvoir entre les mains de l’Autorité Palestinienne.

Ce refus de détruire le régime iranien reposait sur la crainte de rééditer le désastre de l’invasion de l’Irak qui a détruit la vie de dizaines de milliers de soldats et coûté des centaines de milliards de dollars.

Les États-Unis portent la responsabilité d’une erreur d’appréciation similaire à celle d’Israel. Cette erreur a commencé avec Barack Obama et s’est poursuivi avec Donald Trump, puis Joe Biden. Les trois administrations successives, Obama, Trump et Biden, ont fait le choix de ne pas détruire le régime iranien, un régime islamiste féroce, déterminé à développer une capacité nucléaire et à assoir sa domination sur l’ensemble du Moyen Orient à travers des « mandataires » terroristes comme le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza, diverses milices en Irak et en Syrie, plus les Houthis au Yémen.

Ce refus de détruire le régime iranien reposait sur la crainte de rééditer le désastre de l’invasion de l’Irak qui a détruit la vie de dizaines de milliers de soldats et couté des centaines de milliards de dollars. Chacune des administrations américaines a opté – comme Benjamin Netanyahou l’a fait avec le Hamas -, pour une politique de containment tantôt au travers de sanctions, tantôt au travers d’incitations. Quand Donald Trump choisissait unilatéralement les sanctions, les administrations démocrates Obama et Biden ont plutôt mis l’accent sur les incitations et les avantages. Il s’agissait pour eux d’inciter l’Iran à s’intégrer harmonieusement dans un Moyen-Orient coopératif et pacifié.

Les trois administrations américaines ont toutes refusé de brandir la menace militaire. En 2019, quand des milices Houthis pro-iraniennes ont balancé des dizaines de missiles sur les champs pétrolifères saoudiens, Donald Trump s’est borné à condamner l’affaire, sans proposer d’intervenir. Obama et Biden ont également fait l’impasse sur tous les camouflets que les Iraniens leur ont infligé. Une étude du JINSA, un think tank américain montre que le gouvernement américain a refusé de réagir à plus de 40 agressions maritimes iraniennes en deux ans dans le détroit d’Ormuz et a laissé passer sans réagir, sur la même période, plus de 80 agressions des forces américaines stationnées en Syrie.

Pour apaiser Téhéran et donner à voir aux ayatollahs les avantages d’une éventuelle coopération, les États-Unis ont restitué aux Iraniens 6 milliards de dollars d’actifs bloqués et ont fermé les yeux sur les ventes hors embargo de pétrole iranien, lesquelles ont bondi de 300 000 barils/jour à presque trois millions barils/jour en 2022. Pas plus tard que la semaine dernière, l’administration Biden croyait que sa « politique d’accommodement » fonctionnait. Le 29 septembre, Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de l’administration Biden, affichait sa satisfaction du calme qui régnait au Moyen Orient et qui lui donnait le temps de se consacrer à d’autres problèmes.

Ce que Sullivan ne savait pas, c’est que l’éléphant avait commencé de chuter de la falaise. Le splash s’est fait entendre le 7 octobre au matin quand le Hamas est sorti de sa boîte pour massacrer 1300 hommes, femmes et enfants juifs. Et le choc a été plus grand encore quand il est apparu, deux jours plus tard que l’Iran avait soutenu, financé, planifié et donné le feu vert à l’invasion d’Israël par le Hamas.

A partir du 7 octobre 2023, il est apparu la politique moyen-orientale de l’Amérique devait être repensée et reconstruite. Cette reconstruction a commencé le 10 octobre. Dans un discours d’une fermeté qui n’a guère d’équivalent, Joe Biden a annoncé qu’il envoyait un porte-avions en Méditerranée. Joe Biden n’a pas seulement exprimé son empathie envers les Israéliens sur leur sécurité ; il a aussi fermement dissuadé d’autres acteurs de la région, comme l’Iran ou le Hezbollah, de rejoindre la guerre.

“A tout pays, à toute organisation, à tous ceux qui envisagent de profiter de la situation, j’ai un mot : ne le faites pas”, a prévenu Biden. “Nos cœurs sont peut-être brisés, mais notre détermination est claire”.  Il ne faudra pas attendre longtemps pour savoir si le changement de ton des Etats-Unis est une posture ou un virage stratégique. L’interprétation qu’en feront l’Iran et le Hezbollah sera également une réponse. S’ils pensent qu’il s’agit d’une posture, ils ouvriront un front pour soutenir le Hamas, s’ils anticipent un virage stratégique, ils s’abstiendront.

© Yves Mamou

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2 Comments

  1. L amerique nese battra plus pour les autres ! Je ne partage pas la conclusion de cette analyse , le porte avions se veut ” dissuasif” mais l iran sait et nous savons tous qu il n interviendra pas contre les hezbollah .
    Tout au plus nous donne t il l opportunité d un repis de quelques jours / semaines pour traiter le hamas plus facilement .
    Ici en Israel tout le monde sait que la guerre au nord aura lieu , et les americains ne bougeront pas , ni ici ni a Taiwan demain .

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