Gérard Kleczewski. “L’enlèvement”, un récit personnel de l’enlèvement de Jean-Paul Kaufmann par Grégoire Kaufmann

On devrait toujours se méfier, ou tout du moins être circonspect, face aux messages marketing qui accompagnent un livre. Prenez “L’enlèvement” de Grégoire Kaufmann, paru le 13 septembre aux éditions Flammarion. Le bandeau dit “Une histoire intime de l’affaire des otages français au Liban”.

“Histoire intime” certes. Grégoire – le fils de Jean-Paul Kaufmann et de Joëlle Brunerie – parle de lui, de ses parents et délivre sa vision, nécessairement subjective, de l’enlèvement de son père le 22 mai 1985 à la hauteur de l’adolescent qu’il était alors (il a 12 ans au début de “l’affaire”). Il se sert pour ce faire d’une épaisse documentation, retrouvée bien après dans la grange familiale, que le docteur en histoire qu’il est va analyser en profondeur.
 
Rien de sa vie d’alors ou presque ne vous échappera, si vous lisez son récit. Mais dire “des otages français au Liban” s’avère pour le moins simplificateur. Il est avant tout – et c’est bien normal – question du journaliste Jean-Paul Kaufmann, père de Grégoire et époux de Joëlle Brunerie, gynécologue, mais aussi un peu de Michel Seurat qui fût enlevé en même temps que lui – il est mort en captivité dans des conditions pour le moins obscures… 

Les autres otages, Marcel Carton et Marcel Fontaine, qui avaient précédé Kaufmann et n’avaient pu dans un premier temps bénéficier du poids de la corporation des journalistes, puis Rochot, Cornéa, Hansen, Normandin et Auque, n’ont somme toute, au fil des pages, qu’un rôle mineur dans le récit. 

Pas d’exhaustivité mais une subjectivité compréhensible

Devenu un historien de haut vol, spécialiste du XIXème et du XXème siècle (notamment sur Drumont et l’antisémitisme), enseignant à Science Po Paris, Grégoire Kaufmann ne prétend pourtant pas être exhaustif dans ce récit. Ni même endosser les habits de l’historien en évoquant cette triste affaire du kidnapping de son père dans la poudrière Libanaise du début des années 80. Il est et reste le fils de Jean-Paul, le frère d’Alexandre, et on serait tenté de dire surtout, le fils de Joëlle Brunerie. 

Mère et femme courage pour certains, enquiquineuse illuminée pour d’autres, qui ne se souvient de l’acharnement avec lequel elle s’est battue médiatiquement, avec l’aide de quelques-uns, en particulier du journaliste Jean-François Kahn et de l’architecte Michel Cantal-Dupart, pour que Jean-Paul Kaufmann soit libéré ? 

En dépit du doute, en dépit des heures d’abattement qui suivent les minutes d’espoir, en dépit de la trahison de certains membres de la gauche Mitterrandienne au premier rang desquels l’inénarrable et détestable Roland Dumas…  En dépit des menaces aussi et des dizaines d’insultes antisémites reçues – certains croient alors, à cause de son patronyme alsacien, qu’il est Juif, sa femme se démenant pour dire qu’il n’en est rien… 

Paradoxe des paradoxes, c’est avec la droite au pouvoir, à l’heure de la cohabitation et de Jacques Chirac à Matignon, que Jean-Charles Marchiani, homme de droite et de réseaux, complice de toujours de Charles Pasqua, va obtenir la libération de Kaufmann. Marchiani deviendra ainsi à vie un ami de la famille Kaufmann, quand bien même celle-ci (mais surtout Joëlle) coche toutes les cases de la gauche à la mode Gisèle Halimi, du militantisme pro-FLN au combat pour l’avortement en passant – bien entendu – par la cause Palestinienne…      

On le sait, Jean-Paul Kaufmann est revenu sain et sauf après des mois de captivité qui l’ont marqué de façon indélébile. Mais il n’est pas mort là-bas, contrairement à Seurat et nombre d’otages occidentaux assassinés par les nombreuses factions iraniennes du Hezbollah toujours présentes et agissantes, quarante ans plus tard, au Liban. 

Revenu en France, Kaufmann est passé du statut de journaliste à celui d’écrivain. Il a conservé une caractéristique que les kidnappeurs du Hezbollah n’auraient jamais pu lui retirer : il était et reste un épicurien, un amoureux des plaisirs de la vie (face aux adorateurs de la mort), un amoureux en particulier des meilleurs vins de ce pays…   


Un œil dans le rétroviseur 

Que dire de l’écriture de Grégoire Kaufmann sinon qu’elle est fluide, sans artifices ni concession ? Qu’avec elle il s’avère plaisant de replonger dans cette histoire tragique, pas assez ancienne pour qu’on l’ait totalement oubliée quand, comme moi, on a franchi le cap de la vingtaine – censé être le plus bel âge de la vie – avec Mitterrand à l’Elysée. 

Ce récit a la vertu de nous rappeler beaucoup d’évènements survenus à cette époque – notamment la montée du FN facilitée par un président aux abois, en plus des épisodes de la vie d’un adolescent du XIVème arrondissement de Paris à la fin des eighties, plongé dans la société, protégée et bourgeoise, du lycée Henri IV. 

Sur l’affaire des otages proprement dite, et la complexité gigantesque d’un Proche-Orient à feu et à sang, on regrettera toutefois les trop nombreuses ellipses et, parfois, un manque d’explications ou tout au moins de mises en perspective…

Il est vrai, et on doit le répéter, ce livre n’est pas un ouvrage d’historien, mais un récit à la première personne du singulier. Un récit empli de l’amour d’un fils pour son père, mais sans doute plus encore pour sa mère dont il admire l’acharnement, les coups d’éclat, les heures de colère et de tristesse aussi, quand le pouvoir tient Joëlle Brunerie-Kaufmann à l’écart du dossier. 

“L’enlèvement” est donc avant tout un témoignage d’amour. Et c’est très bien ainsi ! 

  • L’enlèvement” de Grégoire Kaufmann aux éditions Flammarion, 360 pages, 22,90€. 

***

A propos de L’auteur

Docteur en histoire, Grégoire Kaufmann est secrétaire délégué de l’association Liberté pour l’histoire. Il est aussi maître de conférences à l’IEP de Paris. 
Il a notamment publié “Edouard Drumont” (Prix du Sénat du livre d’histoire, 2007) et plus récemment  “Hôtel de Bretagne” (Prix Pierre-Lafue, 2019). Il a participé aussi à plusieurs ouvrages collectifs, dont avec Laurent Joly “Le nationalisme français des années 1880-1900 et l’exaltation de la haine, ‘légitime’, ‘saine’, ‘populaire’, contre le juif”, et avec Pierre-André Taguieff “L’antisémitisme de plume. 1940-1944”.


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