“Joseph Kessel, l’indomptable” – une BD sur l’écrivain et journaliste héroïque

Parmi les nombreux penseurs, écrivains et philosophes juifs dont l’aura et les œuvres ont jalonné le 20eme siècle, un écrivain, journaliste et académicien dont le nom débute par un K – entre le J de Jankélévitch et le L de Levinas – est revenu récemment dans l’actualité. 
Ce K, de parents Russes, né en Argentine, mais viscéralement français et gaulliste de conviction et de combat, comme son ami Romain Gary, c’est Joseph Kessel bien sûr ! 

Un Kessel qui a couvert, ou a été acteur, dès les années 1920, de tous les grands conflits mondiaux ou presque, en tant que journaliste et reporter dans la tradition d’Albert Londres. Mais un Kessel qui fût avant tout l’un de nos plus talentueux écrivains ; notre Hemingway à nous, disent certains (j’aurais tendance à dire qu’Hemingway est leur Kessel à eux). 
Celui dont le roman « Le lion » a fait le tour du monde et a connu un succès phénoménal de l’autre côté de l’Atlantique. Celui qui était présent aux grands procès de l’après-nazisme (Pétain, Nuremberg, Eichmann). Celui qui nous a permis d’éclairer et éclaire encore tant de lieux, de conflits et de faits historiques… 

Un merveilleux roman graphique 

Aujourd’hui, on n’en finit pas de le redécouvrir, au travers d’ouvrages (comme celui récent de Dominique Bona, “Les partisans”, que j’ai eu la chance de chroniquer pour Tribune Juive (1) ), ou de documentaires télévisés. Il n’est pas de mois où son nom et son influence sur la culture française et le cinéma ne sont pas évoqués (“Belle de Jour”, “La Passante du sans-souci”, “L’armée des ombres”, …). 

Et voici que Jonathan Hayoun et Judith Cohen Solal, principalement co-auteurs de nombreux essais historiques ou politiques, ont choisi avec bonheur le format du roman graphique (de la BD diront les anciens) pour revenir sur son étonnant parcours dans « Joseph Kessel, l’indomptable » aux éditions Steinkis. Pour ce faire, ils se sont associés avec le brillant dessinateur et illustrateur Nicolas Otéro et, pour la mise en couleurs, originale et remarquable, avec 1Ver2Anes.  

A la clé ? Un ouvrage riche, doublé d’un objet magnifique servi par des illustrations et des jeux de couleurs (aplats, pastels, pochoirs et ombres) merveilleux. Un cadeau à offrir, notamment aux jeunes, et à s’offrir pour qu’il ne quitte plus jamais votre bibliothèque. 

L’angle scénaristique choisi par Cohen Solal et Hayoun est impeccable. S’appuyant sur des enregistrements de Kessel lui-même, obtenus via son filleul Jean-Marie Baron, les coauteurs permettent d’aborder la vie intime de Kessel mais avant tout donnent à titre posthume la parole à ce journaliste, écrivain, voyageur et aventurier, résistant et aviateur, afin qu’il puisse nous conter les grands évènements du XXe siècle dont il a été témoin ou acteur. Des guerres civiles irlandaises et espagnoles à la montée du nazisme à la fin des années 20, de la seconde guerre mondiale et de la résistance aux grands procès de l’après-guerre, en passant par la traite négrière en mer rouge, la révolte kényane et les luttes afghanes (cette partie est un peu moins traitée que les autres). Et puis surtout pour nous Kessel fût un sioniste convaincu après avoir été un sioniste hésitant, visa n°1 en 1948 du nouvel état d’Israël et témoin au début des années 60 du procès Eichmann. 

Indomptable ? Oui, Kessel l’était assurément. Et l’on comprend, à travers le drame de la perte de son frère Lazare (le père de Maurice Druon) qui s’est suicidé, pourquoi et comment Kessel est devenu un « sans fout la mort », un être en quête d’absolu, au caractère bien trempé qui finit cependant paisiblement mais douloureusement sa vie en tant qu’académicien, avec une étoile de David gravée sur le pommeau de son épée et un discours d’intronisation parfaitement bouleversant ! Un discours reproduit à la fin du livre. 

Merci à Jonathan Hayoun, Judith Cohen Solal et Otéro pour ce roman graphique réellement émouvant, instructif et enthousiasmant !

© Gérard Kleczewski

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  • JOSEPH KESSEL, L’INDOMPTABLE de Jonathan Hayoun, Judith Cohen Solal, dessins de Nicolas Otéro. Éditions Steinkis. 120 pages 215 x 290. Prix : 20€.

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Interview de Jonathan Hayoun : “La mort omniprésente dans la vie de Kessel” 

À la suite de la lecture du roman graphique, j’ai tenu à interroger Jonathan Hayoun pour aller plus loin…   

Jonathan Hayoun est auteur, réalisateur et essayiste. Il fut par le passé président de l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF).  On lui doit notamment la brillante série documentaire “Histoire de l’antisémitisme” et “Sauver Auschwitz ?”, diffusés sur Arte. Il a écrit de nombreux essais dont “La Main du Diable, comment l’extrême droite a voulu séduire les Juifs de France” (Grasset, 2019),  “Les adieux au Général” (Robert Laffont, 2020) et “Zemmour et nous” (Bouquins 2022) coécrits avec Judith Cohen Solal.  

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Gérard Kleczewski – Pourquoi avoir choisi ce sujet et pourquoi le format de la BD qui ne vous est pas familier ?

Jonathan Hayoun – Joseph Kessel c’est une passion depuis longtemps. La vie, le parcours et les écrits de Joseph Kessel m’ont toujours fasciné. J’avais d’abord l’idée d’en faire un documentaire. J’en avais parlé avec Judith Cohen Solal. Mais à ce moment-là, je découvre dans un article qu’Arte en sortait un et allait le diffuser. Et, vous le savez Gérard, quand il y a une chaine qui diffuse un documentaire, on ne peut plus proposer de projet sur le même personnage avant de nombreuses années. Reste qu’au moment où j’ai l’idée de faire un documentaire et de le proposer à une chaine, ce qui me pousse à le faire c’est la découverte, ou la redécouverte si l’on veut, d’un entretien dont nous sommes d’ailleurs toujours avec Judith, les uniques auditeurs. Soit l’entretien fleuve que Kessel a donné à son filleul à l’automne de sa vie. Nous avions contacté Jean-Marie Baron car nous avions lu qu’il possédait des dizaines d’heures d’enregistrement de cet entretien. Nous l’avons rencontré et il nous a confié les enregistrements sur cassettes. Nous avons été immédiatement persuadés qu’il y avait quelque chose à faire avec. A défaut de pouvoir réaliser un documentaire, la meilleure manière de raconter Kessel dans ce parcours de vie, aussi dense à travers quatre continents, et de nous faire voyager c’est de le faire en images. Alors, à défaut d’avoir l’image audiovisuelle et l’image animée, nous avons opté pour l’image figée du dessin et de la BD pour nous permettre de voyager et de découvrir les ailleurs avec Joseph Kessel. 
In fine, c’était une bonne idée car cela nous a permis de prendre une liberté par rapport à l’entretien qu’il a donné à son filleul et de chercher à lui faire dire des choses qu’il n’osait pas dire dans cet entretien mais qu’il confie ici et là dans des écrits, interviews ou autres petits témoignages. L’idée était de tout rassembler dans un même document. 

GK – Le sous-titre “L’indomptable” vous est venu d’où ? De son parcours ou de l’un de ses livres les plus connus “Le lion” ? N’aviez-vous pas pensé à un autre sous-titre à un moment donné ? 

JH – Je remarque que rien ne vous échappe… En effet nous avions pensé auparavant à d’autres titres. Au départ nous étions plutôt sur “Les 1 000 vies de Joseph Kessel” mais ce “1 000 vies” était déjà extrêmement utilisé. On a continué à chercher quelque chose de plus original. On a pensé en “Quête de vie”, puisqu’il a passé sa vie en quête de moments, des instants de vie, qui permettent de défier la mort parce que c’est aussi ça un des angles de notre ouvrage. Et, finalement, on est arrivé à “Joseph Kessel, l’indomptable”, parce que c’est en effet la référence à son livre le plus connu en France et dans le monde : “Le Lion”. Ce livre avait été traduit en anglais peu de temps après sa sortie en français et il a eu un succès phénoménal aux Etats-Unis, qu’on a oublié aujourd’hui. C’est un des livres français les plus lus là-bas des cinquante dernières années. Disons aussi qu’il est rattaché à cette image. Juste avant la quatrième de couverture, on le voit adossé à un siège, son bras appuyé sur un accoudoir avec une tête de lion au bout. Il s’est appuyé sur la renommée de ce Lion pour la suite de sa carrière. Et puis, il partage avec le lion sa chevelure qui est un peu comme une crinière. D’où cette identification facile au lion. Et “indomptable” parce qu’il a traversé beaucoup de moments tragiques de l’histoire qui ont cherché à le mater, à le dompter. Lui a toujours résisté. Il est resté insaisissable jusqu’au dernier jour. Ça c’est quelque chose qui le caractérise : donc “indomptable” autant que “rugissant” sont des adjectifs qui lui conviennent très bien. Lui, à contrario, a réussi à dompter la mort on va dire, pendant toute sa vie en la côtoyant de près. 

GK – Continuons à parler de la forme. Le scénario du livre est original, les dessins sont magnifiques et léchés. Ils reprennent énormément d’images connues ou moins connues de l’actualité ou de l’histoire transformées en dessins. Quel était votre postulat de départ sur le choix des images ? Et avez-vous eu des exigences particulières vis-à-vis du dessinateur ou lui avez-vous laissé un peu carte blanche ?

JH – Avec Judith c’était notre première BD, ou premier roman graphique, alors que notre dessinateur (Nicolas Otéro) par contre est confirmé et de longue date. C’est quelqu’un de talentueux et de reconnu dans le monde de la bande dessinée. Nous sommes arrivés avec le scénario. En effet, nous avions envie que le dessin soit réaliste plutôt que fantaisiste. C’était une évidence qu’il s’agissait de la bonne direction à prendre. Et après c’est plutôt lui qui a créé son univers graphique, c’est son œuvre, c’est son travail.

GK – Parlons maintenant du fond. On a l’impression de bien connaitre Kessel, qui a bénéficié par le passé de biographies de qualité comme celle de son ami Yves Courrière ou récemment le livre de Dominique Bona avec son neveu Druon. Vous aviez quelle image de lui avant de démarrer ce projet avec Judith Cohen Solal ? 

JH – Nous avions tous les deux, pour des raisons différentes, une curiosité sur l’histoire du personnage (Judith par exemple apprécie beaucoup “Belle de Jour” porté à l’écran par Buñuel avec Catherine Deneuve, ou “La Passante du Sans-Souci”). Donc, quand je lui ai proposé ce sujet, elle a tout de suite dit oui. On avait elle et moi l’image de quelqu’un qui a fait beaucoup de choses mais dont on connait surtout quelques écrits, principalement “Le Lion”, ou alors des films qu’on n’associe pas forcément à lui, notamment “La Passante du Sans-souci”, “Belle de jour” et “L’Armée des Ombres”. Beaucoup se souviennent plus de Buñuel et de Melleville que de Kessel qui est derrière… C’était mon cas pendant longtemps. J’ai découvert aussi assez tardivement qu’il était, avec son neveu Maurice Druon, l’auteur du Chant des Partisans. A force de découvrir de nouvelles choses sur lui, je me suis dit « c’est quand même incroyable qu’il ait été très connu de son temps, et ses œuvres aussi qui ont traversé le temps, sans que lui ne soit assez révéré ». C’est quelque chose que nous souhaitions rétablir et, en fait, le projet s’est étalé sur une longue période. Cela nous a permis de réaliser que notre désir est venu rencontrer celui de beaucoup d’autres : Gallimard qui l’a fait entrer dans “La Pléiade”, la réédition de plusieurs de ses livres au format poche qui a été un carton absolu, le livre de Dominique Bona qui a écrit son remarquable livre « les Partisans », la traversée cet été sur France Culture qui lui a consacré plusieurs émissions, en ce moment un seul en scène au théâtre Lucernaire à Paris jusqu’en janvier, le Mémorial de la Shoah qui va faire une expo sur lui en avril prochain… Bref, il est redevenu à la mode et nous sommes heureux d’y contribuer. 

GK – Dans votre travail de documentation et votre analyse d’un personnage et d’un auteur aussi fécond, avez-vous eu des surprises ou des éléments que vous ignorez totalement et qui vous ont interpellés ?

JH – Ce qui était déjà assez bluffant c’était de se rendre compte à quel point Joseph Kessel veut maitriser et construire son mythe avec le plus de précisions possibles. En d’autres termes qu’il est capable dans cet entretien, même si c’est auprès de son filleul, de se raconter et de raconter certains récits de vie au mot près et au “timing” près qu’il a pu donner dans d’autres entretiens à la télévision ou à la radio. C’était assez impressionnant de saisir ça. On a pu sans doute au début trouver ça un peu décevant, sur le mode “mince, il ne se livre pas assez de façon personnelle”. Cela dit, Jean-Marie Baron nous avait prévenu. A l’époque il était sans doute trop jeune et il lui était compliqué de le pousser un peu plus dans ses derniers retranchements pour qu’il se confie plus. Mais ce qui nous a le plus surpris c’est de nous rendre compte à quel point il avait du mal à se livrer personnellement dans les entretiens ; à quel point il se livre en revanche fortement dans ses œuvres romanesques. C’est-à-dire qu’en fait l’endroit où il se confie le plus c’est dans le livre “Le tour du malheur”, notamment toutes les clés sur la relation fusionnelle avec son frère et sur le poids de la culpabilité qu’il a porté toute sa vie. Certes, c’est au travers de personnages. Mais c’est là qu’il se raconte le plus indiscutablement. On voit bien qu’il a un rapport délicat à l’oralité qui l’empêche de se livrer et c’est par l’écrit – c’est pour ça sans doute qu’il a choisi d’être écrivain avant tout – qu’il se raconte le mieux. Il ne peut pas, il n’arrive pas à se confesser autrement que par l’écrit, une sorte de lien indirect. 
J’ajouterai en motif de surprise qu’on s’est aperçu à quel point la mort est omniprésente autour de lui, par ses morts (ses proches) mais aussi par le nombre de fois hallucinant où il échappe à la mort. A la fois la mort le poursuit et à la fois il va à son devant, en étant au plus proche des moments où elle semble inévitable ou très probable. 


GK – En quoi l’homme du 20ème siècle Kessel, son parcours, ses idées, ses créations restent d’une brûlante actualité en ce 21ème siècle ?

JH – Ce qui le rend singulier c’est sa passion d’être aux grands rendez-vous de l’histoire et le fait qu’il considère l’importance de témoigner sans relâche. Il démarre, pendant la guerre d’Irlande, dans le monde du journalisme avec un scoop : un gradé militaire britannique chargé de mâter l’insurrection irlandaise qui lui dit “sans vous (la presse) nous aurions noyé tout ça (le mouvement de résistance et d’insurrection irlandais) dans le sang”.   Il a compris dès lors l’importance que pouvait avoir la presse pour empêcher des massacres, des guerres. Il a compris que le tragique, et on le voit encore aujourd’hui, est consubstantiel de la nature humaine. Il n’y a pas un endroit dans le monde où on ne cesse d’en faire le constat, qui soit épargné. On mesure encore aujourd’hui l’importance face à la barbarie d’un journalisme fort (voire de combat). Le journalisme et la littérature restent de constantes nécessités. L’aspect voyage et aventure s’avère aussi nécessaire. Cela n’est pas pour rien que ses livres ont cartonné pendant le confinement. C’est quelqu’un qui offre un ailleurs, et le besoin de voyager, d’aller à la rencontre de l’autre, etc. est majeur. 
Dernière point qui le rend extrêmement en phase avec notre vie aujourd’hui : l’évidence qu’il faut lutter contre l’enfermement ou l’assignation identitaire. En d’autres termes, c’est quelqu’un qui disait « il ne faut pas être dans des cases », on peut avoir plusieurs identités à la fois, il n’y en a pas qu’il est nécessaire de rejeter. Il est indéfinissable tout compte fait. Sa multiplicité de rôles et d’identités résonne je pense avec l’actualité.  

GK – Je vois dans Kessel une double ressemblance, l’une avec Romain Gary et l’autre avec quelqu’un qui l’a précédé : Albert Londres. Est-ce que vous voyez ça comme cela aussi ?

JH – Oui, totalement. Avec Gary surtout, factuellement, avec des points communs énormes : les origines russes, une enfance à Nice avec une mère qui les adulait, la résistance et le fait d’avoir été tous les deux aviateurs pendant la seconde guerre mondiale, le lien personnel et très fort avec le Général de Gaulle et leur Gaullisme, un rapport très semblable, intéressant et très complexe, à leur identité juive (à la fois assumée et parfois mise à distance), etc. 

GK – Si je vous dis qu’il fût Sioniste et même le N°1 des sionistes, ça vous inspire quoi ?

JH – On pourrait en effet le caractériser comme sioniste n°1 puisqu’ayant obtenu le premier visa jamais attribué par l’Etat d’Israël, il a été le premier à venir constater la réussite du projet sioniste. Ce, après avoir vu un moment de sa construction dans les années 20 – de Tel Aviv notamment – et qu’il n’y croyait pas… Il pensait alors que c’était une chimère. Mais sioniste n°1 oui dans le sens où, après ne pas y avoir cru, en devenant le 1er visiteur étranger, il a été le premier à pouvoir le constater. 

GK – S’agissant du procès Eichmann dont il fût l’un des rares spectateurs dans la salle, en quoi eût-il raison face à Hannah Arendt, elle aussi spectatrice et commentatrice ? Y’a-t-il quelque chose en lui qui lui interdit de penser que le mal puisse être banal ? 

JH – Pour lui, et il l’écrira, que ce soit pour le procès Eichmann que pour celui de Nuremberg seize ans plus tôt, que l’horreur de la Shoah est tellement immense et le touche tellement au cœur qu’il ne veut même pas juger les hommes ; il n’assistera pas aux verdicts de ces deux procès. Et contrairement à Hannah Arendt, lui ne choisit pas de se mettre en position de jugement ou d’analyser, de sonder la banalité de l’âme humaine. Pour lui, l’âme humaine ne sera jamais banale. Elle sera toujours hantée par des démons intérieurs et refuser de voir les démons intérieurs chez les plus grands bourreaux des Juifs à travers l’histoire que sont les criminels nazis est impensable. Il se range du côté de ceux qui considèrent que l’histoire humaine n’est jamais banale ; encore moins quand elle rencontre le mal !  

GK – On l’a dit, il était très gaulliste comme Gary. Comment réagit-il aux fameux propos tenus en 67 par De Gaulle lors d’une conférence de presse restée célèbre ( “le peuple d’élite, sûr de lui et dominateur”) ? 

JH Eh bien il ne réagit pas. Il ne dira rien. Mais comme il ne dira rien non plus à la mort de De Gaulle. On va dire qu’avec ces deux moments-là (1967 et en 1970) on entre dans une période où il cesse de parler de De Gaulle. Il ne le critique pas non plus. Du reste, quelques années plus tôt il ne va pas couvrir la guerre d’Algérie et ne critique pas non plus l’abandon de l’Algérie Française. On sait en revanche que jusqu’à la mort de De Gaulle qui a précédé de neuf ans la sienne, il va continuer à lui envoyer et lui dédicacer ses livres, comme d’ailleurs le fera Romain Gary. Il ne sera ni à l’enterrement de De Gaulle, ni il n’écrira un texte à la mort de De Gaulle alors que Le Figaro lui a proposé d’écrire un hommage dans ses pages, c’est Druon qui le fera. Cela nous empêche de savoir ce qu’il a pensé ou comment il a vécu le discours de 67.    

GK – Question un peu polémique pour finir : sur la couverture, on voit Kessel en habits civils, debout au milieu de combats violents. Pourquoi, instinctivement, cette image inspire-t-elle le respect et l’admiration alors que dans des situations semblables, on se moque facilement de BHL (qui fait pareil) ? Est-ce qu’on ressent qu’il y a chez Kessel, en plus de son courage absolu, une authenticité remarquable ? 

JH – Oui, je crois que la critique est facile quand on critique quelqu’un dans l’actualité et pas des années après. BHL c’est dans l’immédiateté et dans la médiocrité des réseaux sociaux que la moquerie a lieu. 

GK – … Je crois que ça existe depuis bien avant les réseaux sociaux. Mais du reste c’est étonnant de voir que BHL ne dise pas que Kessel est important pour lui. On le sait admirateur inconditionnel d’un autre écrivain gaulliste, Malraux (qui a notamment fait la guerre d’Espagne aux côtés des républicains contre les franquistes). Mais Kessel à ma connaissance il en parle peu, voire pas du tout.

JH – Kessel n’a jamais pris vraiment position dans le débat public, comme le fait BHL (et comme le fit de son temps Druon, engagé politiquement et même candidat). Peut-être après tout ne s’inscrit-il pas vraiment dans la filiation de Kessel. Peut-être ne le considère-t-il pas comme un intellectuel ? Kessel lui-même il est vrai ne se considérait pas comme tel ; il ne se voyait pas dans ce registre-là. Il y a cependant des similitudes. D’aller au plus proche de la mort et des zones de combat, là où on a l’impression que l’histoire est en train de s’écrire et qu’il faut en témoigner, ça c’est un point commun indéniable et qu’on ne pourra jamais enlever à BHL, pas plus qu’à Kessel. Sur l’image de couverture, Kessel est à Dunkerque pendant les combats. Il est le seul journaliste accrédité sur la zone, grâce à l’intervention exceptionnelle du Président Reynaud. Il est au milieu de ces soldats. Il combat à sa manière, c’est-à-dire sans arme et avec sa plume.  

GK – Je termine en vous disant que Kessel était, de fait, immortel car académicien. Avec cette BD – ou ce roman graphique – il est plus immortel encore. 

JH – C’est le plus beau compliment que l’on puisse entendre. Merci à vous Gérard !

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1 Comment

  1. Je viens d’acheter L’Indomptable de Joseph Kessel et ma première critique porte sur la forme: le texte dans les bulles est si petit qu’il est pratiquement illisible; je vais me servir d’une loupe et vous donner mon avis sur le fond, si vous le permettez.

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  1. Gérard Kleczewski. L’indomptable Kessel inaugure une série de conférences sur le 9ème art à l’ECUJE – B.N.V.C.A News

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