Le Thriller de l’été. “Liquidation à Pôle Emploi”, de Judith Bat-Or

Impossible de se concentrer. Y a rien à voir à la télé qu’un enchaînement de nullités. On dirait que les éléments se sont ligués contre elle. Pour la punir d’avoir osé désobéir à sa mère. Le destin a choisi son camp. Destin de merde ! ose-t-elle penser. Non, elle n’est pas parano ! Il y a de bons programmes parfois à la télévision. En tout cas, pas si affligeants. Eh bien, ça lui apprendra… Ou du moins, elle l’espère. Si elle avait accepté de se secouer un peu, elle serait à cette heure en train de tailler joyeusement des costards aux passants. Et elle se détendrait vraiment. Au lieu de quoi, elle se morfond à zapper sur son canapé. 

Depuis que Laurence est partie, Luciole rumine, amère. Sa deadline lui revient comme un boomerang en pleine tête. Et son client potentiel. Un gros poisson, très gros même. Jamais elle n’a autant angoissé pour un projet. À force de se répéter que c’est la chance de sa vie, qu’elle joue son avenir, elle a coupé les pattes à son inspiration et sèche lamentablement. Elle n’y arrivera jamais. 

« Ta gueule, connard ! » crie-t-elle à qui ne peut l’entendre, en jetant sa télécommande.

Elle refuse de se l’avouer mais dans l’état où elle se trouve seule sa mère pourrait l’apaiser. À peine l’a-t-elle invoquée que sa prière est exaucée. La porte claque. Elle sursaute. Hourra, elle est sauvée !

« Alors, chérie, on rumine ?! » lui lance sa mère à toute voix depuis l’autre bout du couloir.

Merci destin, jette Luciole un regard au plafond. Pardon aussi pour tout à l’heure.

« Pas du tout. Je regarde un truc ! ment-elle éhontément. 

– Ah oui ?! Mets-moi au parfum. C’est quoi cette émission ? déboule Laurence dans le salon, la défiant du tac au tac.

– C’est un jeu compliqué. On ne peut pas comprendre si on n’a pas suivi. 

– Arrête, ma choupinette. Je t’ai entendue beugler. Alors, éteins-moi ce machin que je te montre mon butin. »

Ayant senti Luciole tendue et « à côté de ses pompes », Laurence a aussitôt pris ses dispositions et déclenché son plan Orsec anti dépression. Elle a fait des emplettes – « Du genre Prozac, mais en meilleur ! » – qu’elle déballe maintenant devant une Luciole ébahie. Comme une Mary Poppins, Laurence sort de son cabas une cargaison de nourriture, qu’elle pose où il y a de la place. En partie sur la table basse, en partie à côté. Trois pots de glace Häagen Dazs, cookie & cream pour Luciole, vanille pecan pour elle, caramel beurre salé pour les deux. Une boîte de crêpes dentelle, une autre de cigarettes russes, une autre encore de brownies ! Des chips aussi, bien sûr, puisque selon Laurence « un repas sans patates n’est pas un vrai repas ».

« Après ça, ma chérie, on ne sera plus les mêmes, promet Laurence sans rire, parce que la bouffe, c’est du sérieux.

– Tu penses !, on pèsera trois tonnes. »

Enfin, après une pause, qu’elle étire, l’air mystérieux, Laurence dévoile le meilleur.

« Des sushis ?! s’exclame Luciole. Mais pourquoi ? T’en avais pas envie. 

– Mais toi oui, ma chérie. T’en as toujours envie.

– C’est vrai, j’adore les sushis ! sourit Luciole, ragaillardie. 

– On va se régaler…

– Maman, tu te rappelles ? “J’adore les sushis”, c’est quel film ?

– Bien sûr que je me rappelle.

– Ben alors, c’est quel film ?

– Mais puisque je te dis…

– Maman !

– Ah tu vois que c’est énervant ?! C’est Chouchou, ma chérie. Tu me prends pour une bleue ? Et maintenant silence, on mange. À l’attaque ! Tout doit disparaître. »

En sueur, l’esprit embrouillé, Luciole écarte les bras et s’affale contre le dossier, en signe de reddition. Elle peine à respirer. C’est qu’elle a dépassé, et pas qu’un peu, la dose prescrite. Elle n’aurait jamais cru pouvoir ingurgiter autant de nourriture. Sa mère avait raison, pas comme toujours mais comme souvent : après cette action gavage, elle se sent transformée. Peut-être pas réconfortée, mais complètement défoncée.

« Maintenant, tu me racontes tout », ordonne Laurence, en pleine forme.

Deux heures plus tard, Luciole a retrouvé le moral, l’énergie et l’inspiration.

« Merci, maman, je t’adore, avoue-t-elle, non sans mal. Tu m’as sauvée la vie. 

– C’est pas des yaourts bio qui vont nous emmerder, bordel !

– Ça t’ennuie pas si je te laisse ? Je voudrais me mettre au travail. J’ai tellement d’idées ! Si je ne les…

– Pas du tout, au contraire. Moi, je vais me coucher. Je suis complètement crevée, ment-elle en s’éloignant d’un pas, on ne peut plus pimpant.

– Attends, maman, au fait, tu avais des choses à me dire.

– C’est rien, chérie, ça peut attendre. Et accroche-toi, ma beauté. Montre-leur qui tu es. La putain de meilleure du monde ! » 

Voilà pourquoi sa mère est totalement irrésistible, réalise Luciole tout à coup. Elle est chiante comme la pluie, sans doute, mais tout aussi rafraîchissante, revigorante, fertilisante… Bon, faudrait pas pousser, non plus, met-elle brutalement fin à son embardée lyrique.

© Judith Bat-Or

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