La Colonne de Judith Bat-Or. “Zikaron BaSalon”

“Souvenir dans le Salon”

Pendant toutes ces années, ma journée de la Shoah s’est réduite à la sirène, deux minutes de silence et d’immobilité. Ce qui n’est pas tout à fait rien. Ce n’était pas assez pour moi, cependant, cette année. J’avais envie de plus. Peut-être qu’en cette période troublée, période de doute, de division, j’avais besoin de me rappeler d’où nous venons. Tous.

Aussi ai-je décidé de m’inscrire à une conférence. Une parmi des centaines programmées dans le pays par les membres de l’association Zikaron BaSalon, “Souvenir dans le Salon”, dont le propos  est de “créer une nouvelle manière, plus intime, signifiante et accessible, de garder vivante la mémoire de l’Holocauste”. Et comment? En organisant des rencontres chez des particuliers entre une ou un rescapé et des personnes qui souhaitent entendre son  témoignage. Je n’en savais pas plus.

Je suis montée à pied jusqu’au dernier étage, je n’aime pas les ascenseurs – ce n’était pas un gratte-ciel non plus. J’avais traîné exprès sur les derniers cent mètres pour ne pas arriver trop tôt, comme à mon habitude. Et j’avais réussi : je n’étais pas en avance – en progrès, continuez – mais la première quand même. De jeunes hommes m’ont accueillie, surpris (qui se pointe pile à l’heure ?) mais souriant. Ils m’ont aussitôt invitée à me servir à manger, comme à tout événement juif. Dans une énorme gamelle, une soupe qui sentait bon la cuisine familiale attendait les invités, les affamés. 

J’ai regardé les hôtes se démener autour de moi pour préparer la réception, apporter le café, le thé, les croûtons de pain… Sur la terrasse, encore déserte, une trentaine de chaises vides en cercle se regardaient dans le blanc des yeux – façon de parler. La réalité de ce “vide” m’a brusquement frappée. Ces jeunes s’étaient donné du mal et personne ne viendrait. Ils seraient seul avec moi et la rescapée invitée. Mon esprit s’échauffait, je devais prendre les choses en main, intervenir immédiatement pour éviter la catastrophe. J’allais leur proposer de resserrer le cercle pour que l’absence de public ne soit pas si humiliante. Absorbé par mon plan d’urgence, je n’avais pas remarqué que les gens affluaient et continuaient d’affluer. Toutes les chaises étaient occupées, on en apportait d’autres, certains s’asseyaient par terre. Le toit, sur ses deux niveaux, fut bientôt blindé de monde.

C’est alors que je les ai vus. Vraiment vus. Ils avaient en moyenne quarante ans de moins que moi. L’émotion m’a submergée. Une émotion douce. Comme la paix. Ils auraient pu se rencontrer ici pour boire un verre, s’amuser, danser, chanter, ou rester à leur bureau pour potasser leurs partiels. Mais ils étaient venus écouter une vieille dame raconter sa shoah. Je les trouvais tous magnifiques. J’étais fière d’eux. Fière de la jeunesse d’Israël. De sa vigueur. Sa profondeur. Et sa fidélité. Ils étaient la plus belle victoire sur l’histoire et l’adversité.

Enfin, elle est entrée, son béret en crochet en travers sur la tête, et surtout le sourire aux lèvres. Et le silence s’est fait. 

© Judith Bat-Or


“Souvenir dans le salon” reçoit le prix Simon Wiesenthal

1,5 million d’hôtes et de participants de plus de 65 pays ont pris part à l’initiative israélienne Zikaron BaSalon depuis sa création en 2011. Lors de “Souvenir dans le salon” – comme l’appelle le titre allemand – les particuliers invitent les gens au même endroit pour donner aux survivants de la Shoah l’occasion de partager leurs expériences. C’est souvent cet environnement qui leur permet de parler de leurs expériences. Leurs témoignages sont l’un des “vaccins les plus efficaces contre l’antisémitisme”, a expliqué la présidente du jury et commissaire à l’antisémitisme de la Commission européenne, Katharina von Schnurbein, dans son discours élogieux. Cet effet doit être utilisé pendant qu’il est encore possible. 

Sharon Buenos de Zikaron BaSalon a également parlé de l’obligation de donner aux témoins contemporains encore vivants une chance de témoigner de ce qui s’est passé pendant l’ère nazie. Son projet consiste à construire des ponts à la fois entre les pays et entre les générations.


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