Liliane Messika. Simone, Esther et l’archéologue

Il était une fois, dans une république où les pédagogistes n’avaient pas encore inventé le collège unique, des lycéens qui étudiaient les auteurs classiques en cours de Français. C’était il y a si longtemps, que les profs vouvoyaient leurs élèves et que l’espèce humaine était sexuée, pas encore genrée. 

Nous parlons de la préhistoire pédagogique. Contrairement à celle de l’aube de l’humanité, celle-ci n’a pas encore besoin de l’archéologie pour exhumer les traces de son passage destructeur. 

Il y a encore des témoins vivants de cette époque

Interrogeons Simone (prénom modifié) : lui reste-t-il des souvenirs de sa scolarité ? 

Oui, elle allait au Lycée Molière… On l’interrompt car nombre de nos contemporains, y savent pas c’est qui Molière. Yseult, ouais, mais Molière ? C’est un pote à Booba ? 

Passons…

Donc, au Lycée Molière, elle a un bon souvenir d’Esther, la tragédie de Racine en vers. 

– Racine c’est un pote à Molière. Ça vous va ? 

– OK, Boomer !

Pour les amateurs de rap, voici un résumé des souvenirs raciniens de Simone, traduits en djeun’s :

Esther c’est dans la Bible, l’Coran d’avant l’Coran. 

L’histoire, ça s’passe en Perse. Aujourd’hui c’est l’Iran. 

Les Juifs étaient esclaves. 

Les pipoles de l’époque : le calife Assuérus et Aman son vizir. 

“Mardochée, chef des Juifs, a provoqué Aman :

Lui a r’fusé respect, rompu la dhimmitude[1],

S’est pas agenouillé.

Aman a pas flanché : la mort pour Mardochée 

Et toute sa race maudite, au calife a d’mandé.

Mais l’roi est ouf’ d’Esther, la nièce de Mardochée.

Il l’a même épousée. 

La reine poucave[2] au roi  son péché d’être feuj

Et le plan du vizir de fumer tous les siens.

Assuérus se vénère[3], y choisit sa gonzesse. 

Zéro épuration : les Feujs sont épargnés

Aman est kalaché[4].”

L’archéologie a presque homologué l’histoire d’Esther

Depuis 2500 ans, les Juifs (les Feuj) fêtent Pourim, dont Esther est l’histoire romancée par Racine. Cette année (2023), elle a été célébrée les 6 et 7 mars. Les Juifs ont lu ce récit en VO hébraïque dans la Meguila d’Esther, qui se présente sous la forme d’un rouleau.

En décembre dernier, sous la forme d’un écrit d’un tout autre genre, on a cru trouver une preuve de l’authenticité du récit de Pourim dans une trouvaille archéologique[5].

Un tesson de poterie (qu’on appelle ostracon lorsqu’il est utilisé comme support d’écriture) avait été découvert en Israël, dans les vestiges du bâtiment de l’administration royale perse, à Lachish, la ville antique qui fut le centre administratif de la région. 

L’inscription, en araméen, se lisait “année 24 de Darius”, ce qui permettait de la dater précisément de 498 avant notre ère. Cette référence à un roi perse sur un reçu monétaire d’époque était une grande première.

Darius Ier a régné quand l’empire perse couvrait une grande partie de l’Asie du Sud-Ouest, jusqu’en Afrique du Nord. Son fils et successeur, le roi Ahaseurus, est plus connu sous son nom grec, Xerxès, mais aussi sous celui d’Assuérus, traduction du nom biblique Achashverosh. 

Le mot important était “presque

Patatras ! Le 3 mars 2023, on apprenait que l’ostracon était d’un faux. Une enseignante, spécialiste des inscriptions araméennes anciennes, qui visitait le site avec ses étudiants, l’avait confectionné pour leur montrer comment les Perses s’y prenaient pour communiquer, quand Internet n’existait pas[6].

Le tesson était d’époque, mais pas l’inscription. Le tout avait si peu de valeur que la prof l’a jeté par terre. Quelques jours plus tard, Eylon Levy, un conseiller en médias du Président israélien, l’a trouvé par terre.

 “Lorsque j’ai ramassé l’ostracon et que j’ai vu l’inscription, mes mains ont tremblé”, a-t-il déclaré, avouant qu’il s’était d’abord cru victime d’un sketch de Caméra cachée : “J’ai pensé que c’était trop beau pour être vrai”. 

Il avait raison : c’était vraiment un faux ! 

L’événement célébré par une autre fête a été authentifié

L’endroit où la prof a oublié son faux artefact est un secteur de fouilles particulièrement fructueux, ce qui explique qu’il est fréquenté par de nombreux archéologues. En novembre 2021, une équipe y a mis à jour des armes, des poutres en bois brûlées, des dizaines de pièces de monnaie et une structure fortifiée hellénistique[7].

Selon l’Autorité des antiquités d’Israël, ces vestiges attestent d’une bataille entre les Hasmonéens (juifs) et les Séleucides (grecs), il y a environ 2100 ans. Les ruines sont celles d’un bâtiment qui surplombait Maresha, une ville hellénistique du district d’Idumée, dont la population comptait une petite minorité juive. 

Les auteurs de la découverte estiment que “la destruction du bâtiment peut être attribuée à la conquête de la région d’Idumée par le chef des Hasmonéens, Jean Hyrcanus, vers 112 avant notre ère”. C’est cet épisode de l’Histoire juive qui a été ritualisé dans la fête de Hannouka, où l’on commémore le combat des Maccabées contre le colonisateur grec, qui voulait forcer les Juifs à se convertir à ses dieux. 

Dommage que Simone soit fatiguée, on lui aurait demandé une traduction de cette bataille aussi, du grec au français, en vers et en verlan…

© Liliane Messika


Notes

[1] Dhimmitude, de dhimma (protection en arabe) : statut inférieur des juifs et des chrétiens, qui peuvent vivre en terre musulmane à condition de souscrire à d’innombrables interdictions (religion, propriété…), humiliations (vêtements, montures, attitude…) et de payer un impôt spécifique à leur religion. 

[2] Dénoncer. www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/07/27/deh-hchouma-tchop-l-argot-des-cites-grand-oublie-des-dictionnaires_6136318_4355770.html pour toutes les traductions.

[3] S’énerve.

[4] Kalachnikov, le hochet des sauvageons, sert à tout : adjectif, substantif, verbe… Ne pas confondre avec la meuf que Kalatche a niquée.

[5] https://www.artnews.com/art-news/news/a-hiker-uncovered-an-ancient-receipt-1234659265/

[6] https://www.i24news.tv/fr/actu/culture/1677844313-israel-le-tesson-portant-le-nom-du-roi-perse-darius-le-grand-est-un-faux

[7] www.timesofisrael.com/fortified-structure-is-tangible-evidence-of-hanukkah-story-archaeologists-say/


Écrivain, Essayiste, conférencière, traductrice, Liliane Messika est auteur de plus de 30 ouvrages, dont plusieurs sur les conflits du Moyen-Orient. Liliane Messika est membre du comité de rédaction de Menora.info.

A lire: “Lettre ouverte aux antisionistes de droite, de gauche et des autres galaxies”. Liliane Messika. Éditeur ‏ : ‎ Éditions de l’Histoire


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