Myriam Anissimov. Vie et destin de “Vie et Destin”, de Vassili Grossman

L’incroyable et tragique histoire de la publication du chef-d’œuvre de Vassili Grossman à l’occasion de sa réédition, racontée par sa biographe, Myriam Anissimov

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L’incroyable et tragique histoire de la publication du chef-d’œuvre de Vassili Grossman à l’occasion de sa réédition, racontée par sa biographe, Myriam Anissimov.

Les Éditions Calmann Levy publient, en volumes séparés, trois œuvres majeures de Vassili Grossman (Pour une juste causeVie et Destin, Tout passe), ses Carnets de Guerre (1941-1954), ainsi que des extraits de sa Correspondance, publiés précédemment en Russie par son fils adoptif Fiodor Guber.

L’histoire des romans de Vassili Grossman est multiple et tortueuse. Jusqu’en 1980 où parut en France Vie et Destin grâce à Dimitri Dimitrijevic, fondateur des éditions L’Âge d’Homme, à Lausanne, le nom de Grossman était surtout connu des historiens de la Shoah, car il avait été, avec Ilya Ehrenbourg, le maître d’œuvre du Livre Noir sur l’extermination scélérate des Juifs dans les territoires provisoirement occupés de l’URSS et dans les camps d’extermination en Pologne de 1941-1945. Ce recueil de témoignages, conçu par les membres du Comité Antifasciste Juif, connut un destin tragique. Dans la nuit du 12 août 1952, les principaux dirigeants du CAJ, accusés par Staline d’avoir voulu, avec l’aide des États-Unis, fonder en Crimée un nouvel État juif, furent condamnés à mort et exécutés d’une balle dans la nuque dans les caves de la Loubianka, comme Maurice Pfeffer.

Un témoin de la Shoah

En 1949, Staline avait lancé la campagne antisémite contre « les cosmopolites sans patrie ». Le volume du Livre Noir, déjà composé, avait été détruit par le KGB, mais les plombs furent aussi saisis et fondus. Cependant, Vassili Grossman, responsable de la mise en forme littéraire des témoignages, réussit à dissimuler et à sauver un seul jeu d’épreuves

En 1970, Ekaterina Zabolotskaïa transmit à Nikolaï Kavérine les épreuves du Livre noir détruites en 1947, que lui avait confiées Vassili Grossman. Il fut ensuite remis à Irina Ehrenbourg en 1992 par ce dernier. Il s’agissait de la version détruite en 1947. Une main inconnue y avait inscrit : « Épreuves corrigées, bon à tirer 14.6.1947 », avec une signature illisible.

Après la chute de l’URSS et l’ouverture des archives en 1989, une édition intégrale en russe du Livre noir a été publiée en 1996, à Vilnius, établie par Irina Ehrenbourg, Ilya Altman et Ilya Lempertas d’après le jeu d’épreuves sauvé par Grossman. L’Enfer de Treblinka, son témoignage, inclus dans Le Livre noir, avait été distribué sous forme de brochure aux journalistes et aux juges au Tribunal international de Nuremberg. Cette version de L’Enfer de Treblinka a été publié à Grenoble en 1945, et en version intégrale, en 1946, aux Éditions Arthaud. Grossman écrit :

« Une seule chambre à gaz pouvait loger entre quatre cents et cinq cents personnes. Ainsi, au maximum de leur capacité, les dix chambres exterminaient en moyenne quatre mille cinq cents personnes en une seule livraison. »

Grossman et son collègue Evguéni Dolmatovski, tous deux reporters du journal de l’Armée rouge Krasnaïa Zvevzda, avancent sur la terre grasse du camp détruit, après la révolte du 2 août 1943, qui ondoie sous leurs pas. Soudain, ils s’arrêtent. Grossman écrit qu’il lui semble que son cœur va s’arrêter, « étreint par une douleur, qu’un homme ne saurait supporter » :

« Des cheveux épais, ondulés, couleur de cuivre, de beaux cheveux fins et légers de jeune fille piétinés, puis des boucles blondes, de lourdes tresses noires sur le sable clair, et d’autres encore. Vraisemblablement, le contenu d’un sac, seul sac de cheveux, abandonné, oublié là ! C’était donc vrai ! L’espoir, un espoir insensé s’effondre : ce n’était pas un rêve ! »

De retour à Moscou au mois d’août 1944, Grossman, pris de vomissements incoercibles, garda la chambre pendant plusieurs jours. Cette douleur ne devait plus quitter l’écrivain jusqu’à sa mort. Le Livre noir, conforme au jeu d’épreuves sauvé par Grossman, a été publié chez Solin Actes Sud en 1995.

De la torture de Grossman à la publication de Vie et Destin 

Dans l’immédiat après-guerre, Grossman travaille sur une épopée, Pour une juste cause, première partie d’une œuvre torrentielle, qui deviendra un diptyque avec Vie et Destin.

Entre le 2 août 1949 et le 26 octobre 1954, date à laquelle il remet son manuscrit définitif à la revue Novy Mir, Grossman rédige son journal dans lequel il relate les longues tribulations de son roman qui paraît au moment où Staline lance le « complot des blouses blanches », dont il sera question plus loin. Le rédacteur en chef reçoit la première version du roman à l’automne 1949. Il s’intitule encore Stalingrad. Le manuscrit « corrigé » par la rédaction est soumis au département historique de l’état-major. Une commission est chargée d’expertiser le roman.

Alexandre Tvardorski, qui vient d’être nommé à la rédaction en chef de Novy Mir, traîne les pieds en ce qui concerne le roman de Grossman, tandis que ce dernier ne reçoit aucune nouvelle du côté de l’armée. Finalement, il est décidé que tous les membres de la rédaction liront le roman, dont aucun extrait ne paraît dans la nouvelle livraison de la Revue. Au mois de février 1950, Tvadorvski se déclare seulement prêt à publier quelques chapitres ayant trait aux combats. Grossman, indigné, comprend qu’on refuse son livre, et que Boubennov, membre de la rédaction, a déclaré avoir sur Stalingrad une opinion « absolument négative ». Grossman, qui n’accepte pas les critiques de la rédaction, écrit à Tvardovski :

« Vos propositions ont abouti à vouloir transformer un roman polyphonique, consacré à notre armée et à la société en temps de guerre, en un récit linéaire consistant en scènes de batailles séparées et à complètement, mécaniquement, retrancher du roman son essence inséparable des chapitres militaires. »

On demandait précisément à Grossman de supprimer Strum, le personnage principal, parce qu’il était juif. On exigeait aussi que l’écrivain évite les expressions « liberté du peuple », « le bien », « le mal », « principe lumineux », « forces sombres », en l’absence de formules telles que : « direction du Parti ».

Après nombre d’atermoiements, le manuscrit est donné à composer. Le collège décide à l’unanimité de publier un extrait dans le numéro 5 de Novy Mir. Le 28 avril, Grossman reçoit les épreuves du texte intégral de son roman. Le 29 avril, sur dénonciation de Boubennov, la publication est à nouveau interrompue. Il est décidé qu’il faut à nouveau « corriger » le roman et le soumettre au Comité central. En mai, Grossman apprend que Tvardovski et Tarassenkov sont en faveur de l’édition du roman, s’il écrit deux chapitres supplémentaires sur le « Commandant suprême ». Il s’agit de Staline. Grossman écrit donc sur Staline, qui apparaît d’abord dans une phrase assez anodine. Le physicien Strum se lève un matin et allume la radio :

« Il avait entendu une voix lente. C’était Staline. La guerre contre l’Allemagne fasciste, avait-il dit, ne peut pas être considérée comme une guerre ordinaire. Ce n’est pas seulement une guerre entre deux armées. C’est en même temps la grande guerre de tout le peuple soviétique contre les armées fascistes allemandes […] Il avait appelé cette guerre la Guerre patriotique, la guerre du peuple. »

Pour lire la suite, veuillez cliquer sur le lien ci-dessous:

https://www.nonfiction.fr/article-11665-vie-et-destin-de-vie-et-destin-de-vassili-grossman.htm


Myriam Anissimov est l’auteur de plusieurs biographies de référence (Primo Levi, Romain Gary, Vassili Grossman et Daniel Barenboim) et de plusieurs romans, parmi lesquels La Soie et les Cendres, Sa Majesté la Mort et Jours nocturnes. Elle a également été critique littéraire et artistique pour Le Monde de la Musique et de nombreux titres de la presse nationale. Elle préfacé et a grandement favorisé la réédition de Suite française d’Irène Némirovski et celle du Pianiste de Wladislaw Szpielman, adapté au cinéma par Roman Polanski. Son roman, Les Yeux bordés de reconnaissance, a reçu lePrix Roland-de-Jouvenel de l’Académie Française en 2018. En 2021, elle a publié Oublie-moi cinq minutes ! (Seuil).


Merci à Edith Ochs

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