Réforme judiciaire: le “Plan Friedman-Elbashan-Eiland-Yaron” permettra-t-il une sortie de crise

Manifestants israéliens rassemblés contre la loi sur la refonte judiciaire à Tel Aviv, le 4 mars 2023. Crédit : Gili Yaari /Flash90

Ne jamais désespérer de ce pays qui hier a fêté Pourim avec la même joie que les autres années tout en gardant à l’esprit la fracture. Mais voilà qu’un projet de compromis visant à résoudre la crise de la réforme judiciaire a été formulé par plusieurs personnalités, parmi lesquelles Daniel Friedmann, l’ancien ministre de la Justice, ou encore Giora Eiland, l’ancien conseiller à la Sécurité nationale, et que ledit projet a été, Ô miracle, accueilli favorablement par plusieurs membres du gouvernement, dont Yariv Levin.

Le projet, qui prévoit d’assouplir la législation relative à la nomination des juges et aux restrictions du contrôle judiciaire, modérerait considérablement certains des textes actuellement proposés par le gouvernement sur des questions essentielles : sont en cause la répartition des pouvoirs en matière de nomination des juges, ou encore la possibilité, pour la Knesset, de passer outre une décision prise par la Haute Cour de justice d’invalider une loi.

Le “compromis” propose d’interdire  à la Cour suprême d’exercer un contrôle judiciaire sur les lois fondamentales quasi-constitutionnelles d’Israël, tout en  conférant à ces dernières un poids plus important. Il exigerait désormais un consensus plus large pour tout passage ou amendement. 

À noter : Yariv levin, qui voit dans ladite proposition “le premier plan qui sort des sentiers battus  et va dans la bonne direction”, est déjà en train  d’étudier le projet, et le secrétaire de cabinet, Yossi Fuchs, considère que ce plan, pas acceptable “en l’état”, était néanmoins “sérieux” et pouvait servir de “base aux négociations sur des points essentiels” du projet de réforme du système judiciaire. De quoi déplaire à Giora Eiland, l’ancien conseiller à la Sécurité, qui vient de déclarer que la proposition devrait être acceptée sans “modifications manipulatrices”.

“C’est la même femme mais avec un costume de Pourim”

Quid de l’opposition au gouvernement ? Ils critiquent la nouvelle proposition, Gideon Saar, député du parti HaMahane HaMamlahti, fustigeant : “C’est la même femme mais avec un costume de Pourim”, a répété Saar en rejetant l’enveloppe de mesures proposée par Friedmann.

Pour info, la nouvelle proposition de compromis, rédigée par Friedmann, défenseur de longue date de la réforme judiciaire, en collaboration avec Giora Eiland, Yuval Albashan, l’ancien doyen de la faculté de droit du Kiryat Ono College, et Giora Yaron, homme d’affaires renommé du secteur high-tech, prévoit que les nominations à la Cour suprême ne seraient possibles que sur la base d’un consensus entre représentants du gouvernement, du pouvoir judiciaire et de l’opposition, ce qui serait une modification importante par rapport au texte législatif de la coalition, selon lequel le gouvernement aurait un contrôle total sur toutes les nominations judiciaires dans le pays, y compris sur celles des magistrats à la Cour suprême.

Le plan Friedmann propose deux options pour la nomination des juges : l’une prévoit la création d’une Commission de sélection des juges composée de 11 membres, dont six seraient issus du gouvernement et de la coalition, deux de l’opposition et trois de la magistrature, alors que la législation actuellement proposée par le gouvernement donne à la coalition une majorité intrinsèque pour nommer tous les juges, y compris ceux de la Cour suprême, sans vote nécessaire de la part de la magistrature ou de l’opposition.

La deuxième option proposée par le plan Friedmann donnerait à la coalition, à l’opposition et au pouvoir judiciaire quatre représentants chacun au sein d’une Commission de 12 membres dans laquelle les juges ne seraient que des observateurs sans droit de vote pour les nominations à la Cour Suprême. 

Les nominations à la Cour suprême se feraient par paires, avec un poste attribué au candidat élu par la coalition et l’autre à celui choisi par l’opposition. Le président de la Cour suprême aurait un droit de veto sur les candidats proposés par la coalition et l’opposition et ce une fois par mandat de la Knesset, c’est-à-dire jusqu’à la tenue de nouvelles élections. Les nominations aux tribunaux de première instance et aux tribunaux de district se feraient, elles, avec une majorité de sept des douze membres de la commission et nécessiteraient le soutien de deux représentants de la coalition, de deux représentants de l’opposition et de trois juges.

Rappelons que  la révision du processus de nomination des juges est l’un des piliers centraux des projets du gouvernement, et une réforme moins radicale pourrait permettre une sortie de crise acceptable pour l’opposition qui n’y perdrait pas … la face.

Quid des restrictions du réexamen judiciaire des lois ? Elles seraient plus modérées que les textes actuellement proposés par le gouvernement. Toute législation gouvernementale ordinaire serait soumise au contrôle judiciaire de la Cour suprême, mais toute décision invalidant une loi nécessiterait une majorité des trois-quarts dans un panel de 15 juges, assez semblable à la proposition du gouvernement d’une majorité de 80 pour cent.

Nuance toutefois : alors que la législation du gouvernement permet à la Knesset de soustraire de manière préventive une loi à tout contrôle judiciaire avec une majorité de seulement 61 députés, ouverte à toutes les coalitions, le nouveau plan ne permettrait à la Knesset de re-légiférer une loi qu’après son invalidation par la Cour Suprême, avec une majorité légèrement plus élevée de 65 députés. Une loi pourrait être « relégiférée » avec une simple majorité de 61 députés, et  n’entrerait en vigueur que six mois après la formation d’une nouvelle Knesset.

Les Lois fondamentales ne seraient pas soumises au contrôle judiciaire de la Haute Cour comme le propose le gouvernement, mais nécessiteraient quatre lectures à la Knesset au lieu de trois et une majorité de 61 députés à chaque lecture. Ainsi, si une Loi fondamentale ou un amendement obtient moins de 70 voix, ou si elle implique une modification du système électoral, la quatrième lecture devra se tenir au lendemain des élections générales suivantes, au sein de la nouvelle Knesset qui en résultera.

En somme, de légères modifications de la législation gouvernementale qui protègeraient contre l’utilisation abusive des lois fondamentales à des fins politiques ou idéologiques ciblées.

Le plan Friedmann propose également des réformes concernant la fonction de Conseiller juridique du gouvernement, le ministre n’étant pas lié par leur avis sur la législation et dans les décisions administratives, et le département gouvernemental concerné ayant la possibilité de chercher un autre Conseiller sans l’accord du Procureur-général au cas où le Conseiller juridique s’opposerait au positionnement du ministre.

Enfin, concernant le « critère de raisonnabilité », le plan Friedmann en réduirait l’utilisation pour contrôler les décisions gouvernementales sans toutefois  l’éliminer comme le propose actuellement le gouvernement : les décisions administratives seraient toujours soumises au test du « caractère raisonnable », mais il ne pourrait pas être utilisé pour annuler les nominations du gouvernement ou celles faites par la Knesset, ou encore concernant l’allocation des ressources du gouvernement.

L’ancien premier ministre Ehud Barak, un autre opposant farouche à la réforme judiciaire du gouvernement, a déclaré : « Le plan Friedmann-Albashan est parti de bonnes intentions mais ses résultats sont un écran de fumée qui permettra à Levin et à Rothman de retirer leurs jetons des négociations sur la législation et de continuer à maintenir un contrôle total sur les nominations judiciaires, l’immunisation des lois fondamentales [face au contrôle judiciaire] et une dérogation avec 61 députés. Netanyahu et le président pourraient l’adopter. Le mouvement de protestation et l’opposition doivent le rejeter »..

Eiland a réagi sur Ynet: Ce plan reste “le moindre de deux maux , j’espère que Levin et Rothman l’accepteront tel quel et sans modifications manipulatrices”, faute de quoi il se remettrait à s’opposer aux projets et à la législation du gouvernement.

Mais l’Institut israélien de la Démocratie et un forum de professeurs de droit viennent d’évoquer “un mauvais plan”, dénonçant un poids excessif du gouvernement dans les Lois fondamentales.

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