Michel Dray. Je t’écris de là-haut. Suite de “Je t’écris de l’enfer”

Colin James Cantwell

      D’où je vous écris, le temps n’existe pas. 

      Il y a quelques semaines je vous adressais une petite bafouille intitulée “Je vous écris de l’enfer” pour vous dire à quel point c’était dur de vivre en Iran. C’était, si je me souviens bien, quelques minutes avant que la corde des mollahs me brise la nuque, je vous avais dit comment la peur me prenait au ventre. Normal j’avais mal, je respirais mal et en plus je me m’étais fait dessus : la totale quoi ! A 22 ans vous en connaissez, vous, des gens chez qui la peur n’existe pas ? Dans les séries télé peut-être, parce que le méchant qu’on torture à coup de ketchup, le soir, après le tournage il se lave et il rentre chez lui. Mais moi, je n’étais pas dans une série télé.

Mon couloir de la mort c’était cette putain de grue. J’ai paniqué. J’ai pensé à mes parents, à mes frères et même à mes grands-parents que j’avais si peu connus. C’est fou ce qui peut se passer dans la tête d’un mort en devenir!  Donc ça allait de plus en plus mal. Et puis on m’a mis la corde au cou. J’ai appelé ma maman, comme n’importe qui aurait fait dans la même situation. J’ai chialé surtout. Et puis, allez comprendre pourquoi, j’ai cessé de paniquer parce que la mort, c’est étrange à exprimer, mais j’avais l’impression de la toucher du doigt en me disant « mon coco, pour toi c’est cuit ». J’ai commencé à perdre connaissance. La corde serrait de plus en plus fort. Puis arriva la minute diabolique. Jusqu’à l’ultime seconde, j’ai pensé que la mort c’était un cap difficile, même si je pressentais que là où j’allais le Temps n’existe pas.  

Je n’ai pas le droit de vous dire comment ça se passe après la vie. Ça pourrait foutre le bordel dans votre tête

      Soyons clair. Je n’ai pas le droit de vous dire comment ça se passe après la vie. Je n’en ai pas le droit parce que ça pourrait foutre le bordel dans votre tête. Donc, de grâce ne me demandez pas s’il y a des anges, s’ils ont des sexes, si Dieu existe ; enfin toutes ces choses qui sur terre sont débats courants mais qui, de l’endroit où je me trouve, apparaissent comme dérisoires. Sans doute aussi, vous devez vous étonner que moi, Iranien n’ayant du français qu’un lointain souvenir d’école, je vous parle avec des mots si justes et que vous comprenez, vous Français ? En fait, quand on est mort on est tout le monde en même temps, autrement dit on parle toutes les langues, on sait toutes les cultures puisque… Ah non j’ai vraiment pas le droit de vous dire comment ça se passe.  Désolé. La seule chose que je peux vous dire c’est qu’il existe une planète spéciale pour les gens comme Torquemada, Hitler ou Khomeny et bien d’autres. Cette planète c’est une boule de soufre. Comme dit l’autre : Tu l’as voulu, tu l’as eu. 

        

L’enfer, je l’ai quitté. Vous, vous êtes en plein dedans   

      Il y a quelques semaines donc, j’étais en enfer, dans cet Iran où la mort aime prendre ses aises tous les jours de l’année, à croire que cette satanée faucheuse s’est convertie à l’islam politique. Cependant, d’où je suis, d’où je vous vois, je me dis qu’au fond, l’enfer, moi je l’ai quitté, mais que vous, vous y êtes jusqu’aux yeux.  Pour plus de facilités je vais vous parler comme un ex-humain : ça évitera les malentendus. Ainsi donc, il ne se passe pas un jour sans qu’un ancien copain de classe, ou bien une femme qui aurait pu être ma mère entre dans l’espace d’où je vous parle. Ils n’ont peut-être plus d’existence, mais au moins ils ne voient plus de mollah. C’est déjà ça. Comme je vous le disais un peu plus haut, en Iran ça bouge. Je le sais car d’où je suis je vois tout et j’entends tout.  N’oubliez jamais que si les dictatures naissent dans le sang, elles finissent tôt ou tard par mourir dans le sang.  L’islam politique lui aussi finira comme toutes les dictatures. Dans mon pays, des femmes, lors d’une conférence d’ingénieurs je crois, -(les sciences et moi on a plutôt fait chambre à part)- sont sorties de la salle en jetant à terre leur foulard. Il y a même eu des applaudissements. Autant dire que lorsque les gens commencent à applaudir, le temps de la revanche n’est pas loin. 

      Ah oui je suis fier de mes concitoyens ! Pour eux c’est simple : mieux vaut mourir ailleurs que vivre ici. Nous, en Iran, on n’a pas la chance d’avoir un Zelensky  (enfin je ne voudrais pas être sa place non plus) mais à la différence du patron de l’Ukraine, personne dans les chancelleries pour nous soutenir, pas de chefs pour envoyer des chars César, Marc-Antoine, Tibère ou qui vous voulez ; quant au patron de la Maison Blanche, il préfère regarder ses pompes plutôt que voir en face la dictature iranienne… Poutine ça se comprend : qui se ressemble s’assemble. Bref, on sait que nous souffrons mais comme ces malades condamnés à qui un médecin tape sur l’épaule et vient dire : « T’en fais pas ça, va bien se passer ». Nous en Iran on ne sera jamais en fin de vie. Notre histoire est plus vieille que celle de César, Marc-Antoine, Tibère ou Vercingétorix. Les seuls avec qui on a des souvenirs communs (pas toujours agréables c’est vrai ) c’est avec les Juifs : eux ils existaient quand la Perse tenait déjà la dragée haute au monde. Babylone c’est du passé. Aujourd’hui avec Jérusalem on sait qu’on pourra au moins compter sur Israël. D’ailleurs, il paraît même qu’il y avait une ambassade d’Israël à Téhéran, c’est dire ! 

      Les cons ça ose tout comme disait Audiard. 

Pétrole”. Dessin de Maya Neyestani

      Par contre je suis moins fier de vous, chers Européens. Je n’ai vu à ce jour aucune star du petit ou du grand écran se tondre les cheveux complètement en signe de soutien à la cause. Mieux, il y a des folles, qui, allez savoir pourquoi, ont décidé en guise de soutien (tu parles d’un soutien!) qu’il y aurait une journée entière où tout le monde porterait le hijab. Les cons ça ose vraiment tout! Au lieu de lutter contre le hijab, on s’arrange pour que tout le monde le porte. D’accord 24 heures « genre show-room » c’est moins dur que plusieurs semaines la tête tondue. Non, je vous assure, c’est une connerie sans nom cette manie de croire qu’ailleurs tout est toujours plus facile ! Tenez, un simple exemple, imaginez une seule seconde, moi qui déteste les homophobes, qu’en soutien à tous les homosexuels rejetés dans tous les pays (et disons-le, l’Islam n’est pas en retard sur la chose) tous les hétéros devraient passer à la casserole toute une nuit complète avec un mec pour faire ce que vous imaginez. Le Hijab 24 heure, la gaytitude 24 heures aussi. Et pourquoi pas, pendant qu’on y est, une journée cocaïne pour tout le monde dans le but de pousser Palmade à se désintoxiquer et à ne plus être un danger public ? 

      La terre, c’est vraiment une planète à part ! 

      Les gens y sont cruels jusqu’à l’os, cons jusqu’à la moelle, et pour les quelques grands esprits qui se perdent dans la foule : soit on les traite de fachos, soit on ne les écoute pas. Mais comme dit mon pote Michel, on n’est pas près de sortir de l’auberge. 

Voilà pourquoi je vous dis haut et fort : Je ne vous écris plus de l’enfer mais d’un ailleurs que vous connaîtrez forcément un jour ou l’autre. Pas la planète de soufre j’espère. 

Salut de là-haut, les copains ! 

                        © Michel Dray  (qui a reçu cette lettre par ChronoAnge) 


Historien, Analyste en géopolitique méditerranéenneMichel Dray travaille depuis de longues années avec des universités, des écrivains, des acteurs de la société civile et des chercheurs dans le cadre d’un Think Thank hors des Réseaux sociaux sur les analyses géopolitiques en Méditerranée. Il fut en 2021 Président du Jury du “Festival International de Cinéma et Mémoire commune” au Maroc.        


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