La Tunisie sous perfusion de l’aide alimentaire libyenne

La Libye a fourni gratuitement sucre, riz, semoule, huile à son voisin gangrené par les pénuries. Une humiliation. Un ultime avertissement avant la faillite du pays par laquelle le président tunisien, Kaïs Saied, semble dépassé, sans prise réelle sur cette catastrophe annoncée.

Ce pourrait être l’image du jour en Afrique du nord. Un convoi de cent-soixante-dix camions, impeccablement dressés, franchissant le poste frontière de Ras Jedir entre la Tunisie et la Libye. La colonne rugissante apporte de l’aide alimentaire de première nécessité : semoule, riz, huile, sucre… Un geste du gouvernement de Tripoli, celui d’Abdelhamid Dbeiba, au pays frère dans la tourmente.

Plusieurs grilles de lecture

« On en est là » peut-on entendre. « Là » ? Recevoir des colis d’aides alimentaires comme un pays du tiers monde. L’héritage de quinze années de lente dégringolade.

Dans les tumultes de la crise des subprimes de 2008, la Tunisie trinque une première fois. Le général Ben Ali qui gouverne depuis 1987 est renversé par la population. Les pouvoirs qui se succèderont, du parti islamiste Ennahdha à la Nidaa Tounes du vétéran Béji Caïd Esssebsi (BCE), agissent peu sur l’économie. Ennemis idéologiques mais partenaires gouvernementaux, on s’arrange dans les arrière-salles.

En 2013, le leader islamiste Rached Ghannouchi et BCE se réunissent à l’hôtel Raphael. Dans ce palace, après trois heures de discussions (« ça a tonné » fanfaronnait Caîd Essebsi). En meeting, il dit que la Tunisie doit choisir entre lui et le Moyen-Âge (les islamistes). En coulisses, il contractait un pacte de gouvernement avec eux.

Quand les Tunisiens pensaient progrès, éducation, emplois, ce petit monde tunisois s’émerveillait, multipliait les palabres, inventait la politique politicienne, ouvrait des dossiers pour éliminer un adversaire politique. Fadel Abdelkefi, ministre de l’économie en 2017, en fit les frais.

La corruption prospère.

Sous la dictature, elle était centralisée, dirigée depuis le Palais de Carthage au profit des clans présidentiels.. Depuis, elle s’est démocratisée. Kaïs Saïed est élu sur sa dégaine d’homme intègre, battant campagne pour dix mille dinars, promettant de pourchasser les « spéculateurs », les « corrompus », d’imposer la « pureté », le tout « au nom du peuple ».

Trois ans après son élection, l’échec est cinglant. Miné par l’économie de rente, la Tunisie des affaires et de l’argent appartient à quelques familles. Ils sont actionnaires des banques privées, se partagent les marchés, empêchent toute croissance significative, ferment toute ouverture à la jeunesse qui n’est pas issue du couffin doré. Pour lutter contre la « clique de la rente », Saïed pourrait utiliser les décret-loi (son arme absolue qu’aucun tribunal ne peut remettre en question) pour démanteler tous les textes de lois qui étayent la corruption et la rente. Le chantier n’a pas été évoqué, pas même un mémo.

Résultat, dans la nuit du 17 au 18 janvier 2023, cent-soixante-dix camions libyens ont quitté Tripoli pour la Tunisie, gorgé de vivres pour une Tunisie sous pénuries.

La « Révolution libyenne »: une perte sèche

La révolution libyenne, dans la foulée de l’originelle tunisienne, aura divisé le pays en deux entités. L’ouest, Tripoli, que gouverne Dbeiba (soutenu par la Turquie) et l’est, Tobrouk, avec l’étrange attelage d’Aguilah Saleh et du maréchal Haftar (soutenus par les Emirats, l’Égypte, la France par intermittence).

Pour la Tunisie, ce sont deux milliards par an qui disparaissent avec cette guerre civile tâchée de terrorisme façon Daech. Des centaines de milliers de Tunisiens travaillaient sur les chantiers d’une Libye riche par son sous-sol gorgé d’hydrocarbures. Le coût financier pour la jeune démocratie fut terrible. Entre les attentats de 2015 (Bardo, Sousse, Tunis) qui ruinèrent l’industrie du tourisme et l’incendie libyen, l’économie plongea.

En ce début d’année, on grogne partout. Les revendications des Tunisiens s’affichent secteur par secteur. L’État ne tient plus parole, négocie des échéanciers pour reporter des dépenses. Les européens lâchent des aides, des prêts au coup par coup pour assurer le quotidien des Tunisiens. Toutes les factures de céréales des prochains mois ont été réglées grâce à la Banque européenne. Sur le marché du blé, les cargos qui arrivent en Tunisie sont payés par l’UE.

FMI or not FMI

L’ultime espoir réside dans un plan FMI d’un montant d’un milliard neuf cents millions sur quatre ans. La signature du FMI permettrait à Tunis d’emprunter sur les marchés financiers sans passer par des taux d’intérêts à deux chiffres. Le projet d’accord, hélas, a été retiré de l’agenda de l’institution financière, le dossier Tunisien n’étant pas « complet ».

Alors que la neige tombe sur une partie du pays, que la pauvreté touche plus de vingt pour cent, l’inflation a pulvérisé la barre des dix pour cent, l’alimentaire de quatorze pour cent. Le convoi libyen, les céréales payées par les européens, sont autant d’alertes rouges sur l’état réel du pays.

Face aux périls, Kaïs Saïed a précisé aux décideurs réunis à Davos que le bien être social compte plus que la machinerie financière. Un discours qui embaume le patchouli tiers-mondiste des années 60/70. 0 rebours des inquiétudes tunisiennes.

Le volcan de 2011 serait-il sur le point de se réveiller ?

Source : Nicolas Beau, Mondafrique

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