Edith Ochs. Baader-Meinhof : l’enlèvement de Hanns Martin Schleyer, ex-SS et grand patron allemand

RAF – Hanns Martin Schleyer. Photo: AFP



RAF – Hanns Martin Schleyer. Photo: AFP
Hanns Martin Schleyer, le patron du patronat allemand, fut kidnappé le 5 septembre 1977 dans les rues de Cologne par des membres de la Fraction Armée Rouge, qui réclamaient la libération de leurs chefs, Andreas Baader et Ulrike Meinhof.

Un mois plus tard, alors que Schleyer était toujours détenu, un commando du FPLP (deux Palestiniens et deux Libanais) détourna le vol Lufthansa 181 Palma de Majorque-Francfort sur Mogadiscio, toujours dans le but de libérer les onze terroristes de la bande à Baader emprisonnés à Stuttgart.

Les terroristes exécutèrent le commandant de bord qui avait refusé d’abandonner les otages, puis ils menacèrent de faire sauter l’avion.

Les 86 passagers et les cinq membres d’équipage furent libérés le 18 octobre 1977 après cinq jours d’errance (via Rome, Larnaca, Bahrein, Dubaï, Aden), et de terreur entre ciel et terre.

Le même jour, on annonça la mort de trois des membres de la bande à Baader dans la prison de Stuttgart-Stamheim.

De même que Hanns Martin Schleyer, le bourreau de Prague, fut exécuté dans la journée. On retrouva le lendemain son corps dans le coffre d’une Audi à Mulhouse.

Président de la corporation étudiante de Heidelberg puis nommé aux mêmes fonctions à Innsbruck après l’Anschluss, Schleyer contribua à expulser les Juifs de l’université allemande pour la rendre Judenrein.

Il fut aussi un bourreau.

A 62 ans, Hanns Martin Schleyer était au sommet de sa gloire : il venait d’être porté à la tête des deux plus puissantes associations de patrons d’Allemagne de l’Ouest. On ne savait pas si on reverrait l’otage vivant, mais les terroristes de la Rote Armee Fraktion (RAF), la Fraction armée rouge, douchèrent l’émotion du public en révélant sa face cachée.

« Cet homme au visage balafré et au cou de taureau, » soulignait le New York Times, avait été un important leader du mouvement étudiant nazi, à Heidelberg. Ces balafres étaient une référence implicite aux duels à l’épée dans les confréries étudiantes.

Nommé à Prague par son mentor Gustav Adolf Scheer, l’officier SS y fit régner la terreur pendant trois ans. Après avoir été nommé à la tête des organisations étudiantes praguoises pour faire le ménage, il fut en charge de l’aryanisation de l’industrie tchèque organisa la déportation des Juifs, qui commença un mois après son arrivée (36000 Juifs déportés à Terezienstadt entre octobre 41 et mars 43). La communauté juive de Prague a été décimée.

Sa femme Waltrude (1) jura jusqu’à son dernier jour n’en avoir rien su, alors que le lieu de rassemblement se trouvait à 300 mètres de son domicile.

Témoignage :

Un assassin à notre table

Quand Hitler accède au pouvoir, le 30 janvier 1933, il lance une campagne intense « contre l’esprit non allemand ». Au boycott des magasins juifs succèdent les exclusions dans les universités. Celles-ci ne se font généralement pas prier, et Heidelberg, comme les autres, s’empresse de reprendre à son compte la bonne parole national-socialiste en pourchassant professeurs et étudiants juifs.

Beaucoup émigrent.

Les autres seront déportés, avec l’aide de l’université.

Du reste, l’auguste université de Heidelberg est l’alma mater de Gustav Adolf Scheel, un SA, futur haut gradé de la police SS et des services secrets, un « étudiant fonctionnaire », chef des corporations étudiantes du Reich, qui a la mainmise sur toutes les universités allemandes et recrute à la source. Heidelberg se distingue aussi en participant à la mise en place du programme d’euthanasie des nazis Aktion T4 avec stérilisations forcées et extermination des handicapés dans les services psychiatriques dirigés par le docteur Carl Schneider, membre de l’université qui se pendra dans sa cellule en 1945.

Président des corporations étudiantes

Entre mars et juin 1933, les autodafés se multiplient, on dénonce, on brûle les œuvres « qui ne partagent pas [nos] idées ». L’autodafé de Heidelberg a lieu le 17 mai 1933 sur la Universitätsplatz, en présence de Schell qui fait un discours. En 1938, l’inscription à l’entrée de l’auguste maison fondée au XIVe. Dem lebendigen Geist, l’esprit vivant, est remplacée par Dem deutschen Geist, l’esprit allemand, un changement applaudi par le corps enseignant purgé de ses membres non conformes.

Quand émerge un jeune étudiant aux dents longues et visiblement prometteur, le président de la corporation des étudiants de Heidelberg le repère vite. C’est ainsi que le jeune Hans Schleyer ne tarde pas à prendre sa carte chez les SS et les SA. Scheel deviendra le mentor de Schleyer, qui fera sa carrière sous sa direction. L’étoile montante veille à la stricte application du code nazi dans les universités qu’il régente par le biais des corporations étudiantes qu’il préside.

Et dans ce code, l’expulsion des Juifs est une règle incontournable. Partout où il est passé, le jeune nazi qui chapeautait la corporation estudiantine vociférait qu’il fallait chasser les Juifs de l’université, tous y compris les anciens. C’était apparemment une obsession : si on ne chassait pas les Juifs, l’université ne pouvait fonctionner.

Il avait milité ainsi dans plusieurs universités, y compris à Innsbruck en Autriche, où il avait fait le vide.

Les deux SS, Scheel et Schleyer, resteront amis jusqu’à la mort du président du patronat allemand.

Herman, un étudiant à Heidelberg

Fils de petits commerçants de Gernsbach, dans le Bade-Wurtemberg, notre cousin Herman venait de commencer des études de médecine à l’université de Heidelberg, à deux heures de chez lui, quand les nazis prirent le pouvoir. Il eut juste le temps de voir la terreur que les fraternités étudiantes faisaient régner dans l’université et dans la ville, avant d’être expulsé comme beaucoup de ses congénères et un tiers du corps professoral.

Herman arriva en Amérique en février 1934.

A New York, on lui offrit de balayer les bureaux du New York Times. Plus tard, il partit dans le Midwest et travailla d’arrache-pied comme tout nouvel immigrant, et l’étudiant en médecine devint commerçant et se maria. Pendant la nuit de Cristal (novembre 1938), son père fut envoyé à Dachau, mais relâché au bout de six semaines car l’organisation n’était pas encore rodée, dit-on. Herman parvint à faire venir ses parents et sa jeune sœur en 1939.

Il baissait la voix quand il évoquait l’arrivée des nazis au pouvoir à Berlin, leur brutalité à Heidelberg. Comment un jeune homme de 20 ans était-il censé réagir aux insultes infâmes, aux humiliations et aux menaces qui s’étalaient de toutes parts ?

Dîner avec un assassin

Au début du printemps 1976, il faisait encore froid à Paris. Herman était venu à Paris pour revoir son cousin, survivant comme lui des années catastrophes. Accompagné de sa femme, Herman dînait en famille au Procope, vieux café littéraire de la rue de l’Ancienne-Comédie. Les tables étaient alignées, serrées, et la salle était comble. Comme toujours, les lumières blafardes du Procope étaient obscurcies par l’épaisse fumée des cigarettes qui vous piquait les yeux. Les murs jaunis étaient tapissés de portraits d’écrivains et de figures historiques allant de Benjamin Franklin à Voltaire et Musset – on croyait distinguer un verre d’absinthe sur le comptoir.

« J’ai une surprise, annonça Herman. J’attends la visite d’un vieil ami, du temps de l’université. Nous étions à Heidelberg en même temps, sans nous connaître vraiment, avoua-t-il. Il va arriver en retard, mais il vient spécialement pour moi. Il vient de Cologne et il reprend l’avion ce soir même pour rentrer chez lui. C’est un homme très très important, un gros patron. »

Nous avions choisi ce restaurant historique pour épater nos cousins d’Amérique — sans savoir qu’il y avait un invité surprise.

L’homme arriva. Massif, trapu, il prit à peine le temps de s’asseoir au bout de la table. Avec une panse de buveur de bière, pas gêné du tout de se présenter dans un costume fripé qui lui donnait l’air d’un schnorrer, un sourire comme un rictus sur ses lèvres épaisses, un cigare dans une main, son verre de champagne dans l’autre, il se leva et fit un court laïus pour son ami Herman. Il irradiait la satisfaction.

Il y avait un tel brouhaha qu’il était difficile de l’entendre quand on était en bout de table. On demanda à Herman ce qu’il avait dit : « Oh, il a parlé de Heidelberg, de l’université… Rien de spécial. »

Puis il est reparti pour Cologne sans nous serrer la main, comme après un meeting.

Herman était heureux. Comme tous les Juifs allemands, il avait du mal à tourner la page de la guerre — trente ans après, c’était hier. Les Juifs allemands, amoureux de leur langue et de leur culture, avaient été dépossédés de leur héritage et chassés de chez eux.

Le souvenir de Heidelberg devait le hanter, la fierté d’être inscrit dans une université prestigieuse, l’espoir, et ce départ, chassé par la haine. Le rêve de ses années de jeunesse foulé aux pieds.

Un Allemand qui avait croisé son chemin à l’époque semblait lui tendre la main par-dessus les morts, quarante ans après.

Nazis et amis fidèles

Nous ne savions rien de l’ami de Herman, à part sa présence en 1933 à Heidelberg, et son nom : Hans Schleyer.

Quelques mois plus tard, nous avons découvert au moment de son enlèvement qu’il était un gros bonnet. Puis les terroristes de la FAR ont révélé son passé de nazi : il avait été un « chef du mouvement étudiant » qui militait pour l’exclusion des étudiants juifs, un SS, un assassin qui s’était invité à notre table, avait bu un verre avec nous, en évoquant avec nostalgie le temps heureux de sa jeunesse.

Les temps heureux de SA jeunesse, pas celle des nôtres. La jeunesse de Herman et de nos parents, qui étaient présents, c’était la peur, la fuite, et la chance des survivants d’avoir échappé à des assassins comme Schleyer et Scheel.

« Je n’en savais rien, expliqua Herman, stupéfait devant tant de mauvaise foi, navré, attristé, déçu. Il ne m’avait rien dit. »

Nous n’avons jamais su vraiment comment notre cousin Herman avait pu retrouver le nom de Schleyer et le joindre, un an avant que celui-ci soit élu à la tête du patronat allemand. Peut-être que le Times of Indiana avait consacré un article au patronat allemand en mentionnant au passage les noms les plus prometteurs en vue des élections du prochain patron des patrons ?

Mais surtout, le vrai mystère, à la réflexion, c’est pourquoi Schleyer avait-il fait le voyage de Cologne à Paris ? Le fait qu’il soit resté lié avec cet autre SS, son mentor, Adolf Scheer, donnait à penser qu’ils étaient demeurés fidèles à leurs idées.

Notre cousin Herman avait oublié le nom de celui qui avait commencé sa carrière en chassant les Juifs de l’université — preuve qu’il n’était pas très impliqué dans la politique à l’époque. On peut supposer que Schleyer s’était rendu compte que son nom ne disait rien à son ancien condisciple. Il avait changé d’ailleurs l’orthographe de son prénom, qui s’écrivait avec un seul « n » à l’origine. Son fils aîné, Hanns-Eberhard, né à Prague, qui a hérité de cette double consonne dans son prénom, est un ancien de la même fraternité étudiante que son père, le Corps Suevia Heidelberg (les Souabes de Heidelberg), dont le blason porte la devise : « Que l’épée soit notre vengeur ».

Si Schleyer a voulu se prouver, en venant à Paris un an avant son élection, qu’il pouvait affronter les fantômes du passé ou pour se remémorer ses « doux souvenirs de jeunesse », il aurait dû se montrer plus prudent. Il a fini sa vie entre les mains de crapules qui ne savaient pas comment digérer le passé que sa génération criminelle leur avait laissé en héritage.

Une façon de rendre des comptes à l’Histoire.

(1) Waltrude Schleyer était la fille d’Emil Ketterer, officier SS et membre des SA, ce médecin était un ardent défenseur du programme d’euthanasie forcée des nazis, Euthanasia Aktion T-4. Conseiller municipal de Munich, ville située à 17 km de Dachau.

© Edith Ochs

https://frblogs.timesofisrael.com/author/edith-ochs/

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Edith Ochs est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) “Les Falasha, la tribu retrouvée” ( Payot, et en Poche) et “Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan” (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduits de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.

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1 Comment

  1. Une precision non negligeable.Les balafres n etaient pas causees par des duels a l escrime,comme chez les nobles,mais par des labourages de face a face au couteau,comme chez les voyous.

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