Yael Bensimhoun. Sur nos traces…

Mes élèves s’appellent Nikolass, Rafael,  Sofia ou Lia. Ils parlent tous hébreu et puis aussi, souvent, russe, amharique, ou ukrainien. Nombreux sont ceux qui ne connaissent du Tanah que l’histoire d’Adam et Eve, et parfois, je l’avoue, j’ai l’impression face à leur ignorance de ne pas vivre en Israël.  

Oui mais voilà,  il y a aussi des jours comme celui que j’ai vécu hier, qui sont comme des bulles de champagne, et qui nous ennivrent pour longtemps, divinement . 

La journée avait certes mal commencé avec un chauffeur de bus pour le moins désagréable,  qui avait pour mission de conduire trois classes de cinquième à Jérusalem au Musée d’Israël. 

Pour un paquet de chewing gum qu’une petite élève  modèle avait osé garder dans sa main, il a fait descendre de l’autobus  tous les élèves déjà installés,  en hurlant qu’il ne nous emmènerait pas à destination .

Je vous laisse imaginer la scène d’apocalypse: 
Sur le parking de l’école, une gamine genre première de la classe,  en larmes, se réfugie dans mes bras,  consciente d’avoir involontairement provoqué un tsunami. 

Mon collègue Boris, prof de math, un homme doux en temps normal et dont le flegme légendaire est  particulièrement irritant puisqu’il n’est pas anglais, se trouve en proie à des spasmes qui font  passer alternativement  son visage du blanc  au rouge puis au cramoisi.
Les manches relevées,  il s’apprête enfin à en découdre avec l’animal qui l’agresse et le menace gratuitement  depuis dix bonnes minutes,  laps de temps largement suffisant pour me permettre d’admirer encore une fois la retenue du grand Boris.

Autour de nous, des petits groupes d’adolescents sidérés fixent la scène. Ils sont rendus pour l’occasion particulièrement attentifs et totalement silencieux, au point qu’il me vient l’idée de louer les services du chauffeur fou en classe. 
Enfin, une directrice, alarmée par les cris,  accourt sur ses talons aiguilles pour rétablir l’ordre, sans succès immédiat.

Heureusement, et comme il est de notoriété publique que ce que femme veut, Le Tout Puissant accède à sa demande, il en va de même pour les profs placides et les chauffeurs dérangés, en particulier quand elles sont directrices,  jolies et bien roulées. 

Une heure plus tard, nous voilà donc tous assis, merci mon D.ieu, en route vers la ville Sainte. Arrivés à destination , la bonne humeur propre à l’enfance a déjà (trop) repris le dessus. 

Nous sommes chaleureusement accueillis par Amit , notre guide, qui se trouve être  ashdodien. Amit est jeune, et à l’instar de milliers d’autres Israéliens, sympathique, brun , et joli garçon. 

Devant la maquette de la Jérusalem antique , il explique à des élèves émerveillés l’histoire  des Juifs, tandis que moi, je me livre à mon sport préféré:  épier les réactions de mes petits  protégés . 
Les questions affluent. Dimitri et  Agarnech veulent connaître chacune des bâtisses qui composent la maquette.  Ils sont insatiables. 

“Là,  c’est le Saint des Saints”, crie Léa toute fière d’en connaître un peu plus que ses camarades.   Tous prennent des photos du site. A ma stupéfaction, ils ne font aucun selfie. Nous avançons et pénétrons dans le musée.

L’intérêt pour le lieu est toujours là et perdurera jusqu’à la fin de l’après midi quand nous rentrerons. Pas un seul élève ne relâchera son attention. Je suis abasourdie et surtout très fière d’eux.  Le guide a préparé plusieurs activités. L’une d’entre elles m’émeut.

“Qui est né en Israël ? ” demande Amit. Hormis ma main  et celle de mon collègue, à peu près toutes celles de nos élèves pointent vers le haut,  même celle de Dimitri . 
Où êtes vous nés,  demandent le guide en s’adressant à nous? Moi, en France, réponds- je sagement . Et moi, au Maroc, assure Boris avec un fort accent russe. Les enfants éclatent  de rire. 

Quels sont les élèves dont les parents sont nés en Israël ? reprend Amit. Moins de la moitié lèvent le doigt. Mon père est né en Inde, commente une petite brunette dont les yeux en amandes font rêver.
Et quels sont les élèves dont les grands parents sont nés en Israël ? poursuit Amit. La plupart des mains restent baissées.  
Ma grand mère est iranienne mais mon grand père est né ici, jette alors fièrement Shmuel.

OK. Et qui, pour finir, a un arrière-grand-parent né en Israël? demande encore Amit.
Cette fois, une seule main se lève, hésitante, comme prise en faute de figurer parmi les privilégiés. 
Moi… dit la blonde Jessica. Et tous lui jettent alors un regard empli d’admiration.

Soudain, je réalise que tous ces enfants, ces futurs soldats, non Juifs pour certains et pour la plupart déconnectés du judaïsme puisque j’enseigne dans une école laïque, ont déjà commencé à fabriquer leurs propres racines ou plutôt à se rattacher aux racines juives sur lesquelles  a reverdi la Terre d’Israël . Je les regarde et je comprends d’un coup qu’ils sont tous des Hébreux.

Hanoucca est ma fête  préférée, me chuchote Sofia devant une très ancienne hanoukia , confirmant par là ma pensée … 
– “Regardez , une mariée…  avertit Andrei. Mazal tov! crient tous les enfants d’une seule voix. 

Arrivés dans le sanctuaire du Livre, devant les fameux manuscrits de la Mer morte, le guide demande aux élèves de repérer sur les parchemins dix mots en hebreu,  écrits en araméen.  Tous s’adonnent à la tâche avec enthousiasme. 
La balade magique  se poursuit dans l’aile des collections archéologiques, sous les OH et sous  les AH d’un jeune public enchanté. 

Le retour vers Ashkelon s’est effectué en silence. Certains des adolescents s’étaient endormis, sans doute terrassés par l’émotion palpable qui avait été la leur durant toute cette journée, D.ieu seul sait vraiment pourquoi. 
D’autres, le visage apaisé,  fixaient le paysage ou faisaient défiler sur leurs téléphones les nombreuses photos qu’ils avaient prises .

“C’est pour des moments comme ceux-là qu’on est profs hein ?” m’a lancé dans un sourire mon impassible collègue, interceptant  mon émotion.  J’ai hoché la tête. 
Et alors , tandis qu’un  ange  passait, Boris et moi,  on s’est souri .

© Yael Bensimhoun

Yael Bensimhoun

Diplômée  de littérature  française, Yael Bensimhoun s’est établie en Israël il y a près de 20 ans . C’est là qu’elle conjugue  l’amour  de sa langue d’origine et celui du pays  auquel elle a toujours senti appartenir. Elle collabore depuis plusieurs années à des journaux et magazines franco-israéliens.

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