Michèle Chabelski. Le kroupnik 

Bon
 Vendredi 

  Chabbat 
  Chabes 

    J’hésitais hier, car je trouvais le sujet à la fois plat et chaud, mais vous y aurez droit quand même..

   Car c’est  un plat chaud …

      Ne me remerciez pas, j’ai l’humour matutinal, après je fais la gueule..

   Le kroupnik 
 C’est le titre

   J’explique 

    Le kroupnik est un plat juif polonais tres roboratif eu  égard aux frimas qui écrasaient la Pologne, et ce n’était pas la moindre des plaies de ce riant pays.

  Le kroupnik est une sorte de potée juive composée d’un bouillon dans lequel mijotaient paisiblement des légumes, des  énormes haricots, de l’orge perlée( version ancienne des céréales modernes genre quinoa), des morceaux de poulet  et des cèpes séchés. 
Frais, ils mettraient le kroupnik au prix du caviar.

  Comme vous avez pu le comprendre il s’agit d’un plat complet riche et calorique qui nourrissait une famille d’affamés frigorifiés.

   France

     Toutes les minorités importent dans leur exil des plats typiques des pays où ils ont vécu une enfance souvent heureuse avant le grand chambardement.

  Ce plat réactive sur les papilles le souvenir d’une cuisine chaude où officiait  une maman tendre et chaleureuse au milieu des rires et  des cris d’une fratrie  turbulente et soudée, et des explications pédagogiques d’un papa qui fondait ses principes éducatifs sur la Torah.

    Les plats de l’enfance ont la vertu de rallumer des pans de vie et d’offrir un voyage onirique au pays du bonheur perdu.

    Bref.

    Papa ne faisait pas exception à la règle et Maman  cuisinait du kroupnik pour offrir à Papa ,dans les effluves odorantes et fumantes, des lambeaux d’un passé tiède parti dans les fumées d’Auschwitz.

   Moi je refusais de manger de ce pain-là.

   Nous étions en France, j’étais française, mes copines d’école se régalaient de biftecks, moi je me contentais de côtes d’agneau rongées jusqu’à l’os, cette bouffe étrangère et hyper calorique me révulsait.

  Je voulais être intégrée, je me nourrissais donc intégrée, mon estomac par les biftecks  frites, et  ma tête par Molière, s’intégraient.

  Plus tard, quand j’eus quitté la maison, ma mère me proposa  souvent  d’emporter chez moi des barquettes de kroupnik pour ma famille, no way, à la maison c’etait poulet rôti et gigot haricots verts. 

Kroupnik ?
Trop calorique !
Trop rétrograde
Trop juif d’un passé révolu douloureux…

   Avec une petite exception pour la chouchouka, seul amendement accepté, en souvenir des cuisines chaudes et bruyantes d’une enfance vécue dans le bonheur de l’autre côté de la Méditerranée.

     Mari séfarade, poivrons obligatoires.

   Fin du  premier acte et même de nombreux autres actes.

  2022

     Facebook 

 Sur un groupe juif, plusieurs allusions  à la gastronomie familiale  des parents et grands-parents. 

   Ça bave sévère sur l’écran, les souvenirs pleuvent, on échange maintes recettes.

 Un kroupnik se matérialise sous mes yeux, un fumet oublié titille mes narines françaises, papa plonge sa cuillère dans l’assiette débordante et odorante, maman l’interroge du regard: nou? C’est bon?

  Zeyer git, dit Papa qui remplit à la fois son estomac et son coeur en pensant  à sa Maman, souvenirs déchiquetés par l’Histoire…

   Et moi, maintenant j’ai envie d’un kroupnik, j’ai envie de ce plat lourd et calorique, j’ai envie d’une cuillère qui tient toute seule , j’ai envie de me réchauffer le coeur au souvenir de ce plat si violemment rejeté dans un souci d’intégration qui piétinait l’histoire ashkénaze et rêvait d’un aïeul  hussard de Napoléon…

  On change…

   J’ai proposé un kroupnik à mes filles, fortement tentées…

J’ai tenté l’expérience avec un certain bonheur, je l’avoue, j’ai très envie de recommencer…

 Des légumes, de l’orge perlée, des champignons, du poulet effiloché, et des copines rieuses et gourmandes,  des cuillères qui tiennent seules, des inquiétudes sur le jean prêt à exploser, si le bouton lâche, t’es morte, en Pologne ils s’en foutaient, ils portaient pas de jeans, on planquait le kroupnik sous une large robe, on pouvait même y ajouter du cou de poulet farci au maigre, la viande était trop chère, du chou braisé, quelques latkes, galettes de pommes de terre râpées, des krepekhs, raviolis farcis de foie, des kneidlekhs, petites boulettes à base de pain azyme et d’oeuf jetées dans un bouillon, de gratin de pâtes à la cannelle et aux raisins secs, de shtroudel aux pommes et de gâteau au fromage…

 Les maris aimaient les  femmes plantureuses, le froid affamait la famille, les fourneaux tournaient à plein régime…

 Mon père demandait à ma mère de lui confectionner un ragoût à base de rate et de poumon dont l’odeur infestait la cuisine et mes narines de petite française…

Les abats constituaient un apport de viande à bas prix en Pologne, mais ce qui en constituait le vrai prix, c’était les mains de la Maman servant sa nichée et le partage convivial de ce plat hyper protéiné…

Et Papa, à Paris, déçu, avalait seul sa rate et son mou sous les yeux de ma mère, en tentant de retrouver les effluves, la chaleur et la douceur de cette cuisine de Lask, petit village proche de Lodz, souvenirs gravés qu’aucun nazi n’avait pu arracher de sa mémoire…

   Que cette journée signe la réconciliation d’un passé et d’un présent unis dans une inoxydable tresse de délicieux souvenirs…

   Chabbat Chalom 
   Git chabes 

   Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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