Daniel Sarfati. Mon logiciel a planté…

Mon logiciel a planté.

Comme ça, sans prévenir. Je jure que ça n’est pas de ma faute, je n’ai touché à aucun bouton interdit.

L’écran de l’ordinateur s’est brusquement transformé en tableau de Soulages, un noir profond rehaussé de quelques traces de doigts.

Impossible d’avoir accès au dossier patient.

Impossible d’imprimer une ordonnance.

J’en suis revenu aux bonnes vieilles méthodes.

Rédiger une ordonnance à la main, j’écris très mal.

Se passer de la carte vitale et interroger le patient sur ses antécédents.

Souvent, le patient en profite et en raconte un peu plus.

Sur sa vie, une belle-sœur qu’il déteste, une mère qui a perdu la tête, une maigre retraite qui ne lui permet pas de s’offrir les week-ends dont il rêvait…

Pour certains, j’ai eu l’impression que ça leur a fait plaisir, cet ordinateur qui ne faisait plus écran entre eux et moi.

C’est fou le temps que l’on perd sans un logiciel en état de marche.

C’est fou de se rendre compte qu’on ne connaît pas les gens que l’on soigne, et qu’ils ont tant d’histoires, tant de vies à nous raconter.

J’ai fini par appeler la hotline.

Je suis tombé sur un geek blasé qui m’a d’abord culpabilisé ( j’avais forcément commis une erreur de manipulation) puis m’a proposé de prendre la main ( la souris), constatant ma nullité abyssale en informatique.

Le Soulages s’est éclairé d’une petite flèche violine.

« Il y a encore de l’espoir ?», j’ai interrogé, anxieux.

Le geek a répondu :

« Faut aller dans le sous-menu, et passer en version Ax5npc. »

J’ignorais complètement qu’il y eut un sous-menu.

« Vous avez les codes d’accès ? »

J’avais les mains moites. Quels codes ?!!

Le geek a poussé un long soupir.

« Vous êtes en retard d’au moins 5 mises à jour. »

Allait-Il me dénoncer à la Sécurité Sociale ?

J’ai tenté quelques circonstances atténuantes.

« Il y a beaucoup de malades toute la journée, et le soir pas toujours le temps ni l’envie de rester 1 heure de plus à faire des mises à jour. »

Le Soulages s’est brusquement transformé en Jackson Pollock avec des zébrures de toutes les couleurs sur l’écran, puis les icônes rassurantes de Windows se sont rétablies.

« Voilà, c’est réparé. »

J’ai fait entrer la patiente suivante.

Une vieille dame qui n’entendait pas bien.

Elle voulait surtout me parler de son fils, mort d’un cancer foudroyant et dont elle n’arrivait pas à se consoler.

Je me suis approché d’elle pour qu’elle m’entende, abandonnant mon ordinateur qui clignotait joyeusement.

J’ai rédigé l’ordonnance à la main.

J’y avais pris goût.

© Daniel Sarfati

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