Michèle Chabelski. Chabesski!!!!

Bon
 Jeudi 

 Elle a 4 ans et porte un manteau gris…

  On l’a envoyée dans la cour où gisent des feuilles séchées arrachées par le vent…
Dame!
On est en octobre, et le réchauffement climatique n’a pas encore cogné les thermomètres…
On est en automne, il fait frais, elle glisse les mains dans ses poches pour les protéger…

Elle s’est adossée au mur en attendant…

 En attendant quoi?

 Elle ne sait pas trop…

  On lui a juste expliqué qu’elle était grande maintenant, qu’elle devait rejoindre l’école où elle s’amuserait bien avec plein de copines…

 De copines. 
 Pas de copains bien sûr…
  Pas question de mixité en ces temps d’après – guerre…

 Elle ne verrait jamais un Pierre ou un Marc sur les bancs de l’école ou du lycée…

 Elle attendra la fac pour  partager l’apprentissage universitaire avec des mecs et des cigarettes négligemment sorties de son sac à main…

 En attendant elle est dos au mur, observant de loin les filles qui courent en poussant des cris qui la terrorisent…

 Elle ne pleure pas. Le coeur déchiré, elle reste muette.
 Quand elle pleure chez elle, on la gronde.
Elle est grande maintenant et elle va réveiller le bébé qui dort. 
Chut…

 Et elle est habituée à obéir.
 Alors elle attend les ordres. 

 Une cloche sonne.
C’est la fin de la récréation.

 Une dame à l’allure revêche annonce qu’elle va appeler les élèves qui devront se mettre en rang deux par deux pour gagner tranquillement la classe.

 La directrice appelle les A, les B, quelques C.

 Elle fronce les sourcils.

 Puis se lance. 
 Chabesski.

  Elle a un peu écorché le nom.
   L’enfant observera pendant des années le froncement de sourcils de ceux qui devront  prendront leur élan pour prononcer  son nom et ne manqueront jamais de le mutiler.

  Chabesski.
  Chabinski.

Elle lèvera alors la tête pour reprendre doucement.
 Chabelski.

 Puisque peu d‘instits et de profs utiliseront le prénom ,comme à l’armée, autant leur demander de faire un effort.

  Elle se retrouve près d’une fille qui a deux têtes de plus qu’elle.

 Il faut dire qu’elle n’a atteint ni la taille ni le poids conformes à un enfant de son âge. 
Ce qui lui vaudra d’être toujours au premier rang sur les photos de classe, assise par terre aux pieds de l’enseignante..
Près de Nelly Bialer,  presque aussi petite qu’elle ..
 Deux naines…

   Mange, glapira sa mère trois fois par jour.

 Elle ignore la faim, n’a jamais envie de rien.
L’odeur de cuisine lui retourne le coeur.
 Ne salive que pour du saucisson.

   Qu’elle mange du saucisson , concédera le professeur Debré chez qui l’ont conduite les parents désespérés…

  Je vois arriver la fin du calvaire, l’assiette empestant la cervelle bouillie, le bol où tremblote le yaourt versé- va savoir pourquoi -du pot de verre Danone aux trois rayures , dans un bol , ou pire, une assiette creuse…

 Et les galopades dans le couloir où je cours pour échapper à ma mère qui tend une cuillère impérieuse…

  Pour l’heure, je tiens la main d’une grande fille portant lunettes…

 Je rêverai toujours de lui ressembler, lunettes, appareil dentaire…
Pour moi ce sera semelles orthopédiques…

  Après avoir eu les deux jambes plâtrées pendant plusieurs mois et tenues par des attelles sévèrement liées le soir au coucher…

  Objectif?
   Traiter des jambes arquées.
     Sans commentaire.

  Une maîtresse nous conduit à la salle de classe où elle nous installe autour d’une immense table ronde sur laquelle sont posés des pots de crayons de couleur.

  Elle nous ordonne de dessiner. 
  Je dessine.

  Une récréation pour faire pipi, retour en classe.

  La cloche sonne. 
   On nous installe dans le préau où viendront nous cueillir les parents.

  Ma mère est en peloton de tête, ce qui m’évitera la terreur d’être oubliée…

  A la sortie de l’école, elle bavarde avec une dame couverte de voiles noirs.

  Ma mère m’expliquera qu’elle est en deuil, elle a perdu son papa. 

  Je me demande où elle a bien pu perdre son papa.

  Je me jure de faire attention au mien.

   La petite fille qui me tenait la main est sa fille. 
 Elle s’appelle Nicole.

  On se tient encore la main aujourd’hui pour se tenir chaud au coeur.
  Mais c’est une autre histoire.

  Alors je pense à tous les enfants qui entrent aujourd’hui en classe, en particulier aux tout- petits qui devront lâcher la main de leur mère dans des cris déchirants pour rejoindre le monde qui prépare les bébés à devenir des citoyens..

 Une pensée pour tous les enfants et les ados qui vont retrouver leurs copains avec allégresse..

Et une pensée pour les enseignants missionnés par la foi pour former ces enfants dans des conditions parfois très difficiles pour des salaires sur lesquels cracheraient certaines femmes de ménage…

  Résultat : un manque cruel de profs et d’instits, des remplaçants mal formés, un enseignement low cost…

  Bonne rentrée à tous…

     Je vous embrasse

Michèle Chabelski

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