Maxime Tandonnet. La banalisation de la barbarie

Deux événements dramatiques se sont produits à quelques heures d’intervalle : le décès d’Alban Gervaise, médecin militaire sauvagement agressé à Marseille le 10 mai et les violences extrêmement graves émaillées d’agressions contre les personnes qui ont perturbé le déroulement de la finale de la ligue des champions entre le Real de Madrid et Liverpool à Saint Denis samedi dernier – et retardé d’une demi-heure son coup d’envoi.

Le Figaro a rendu compte de la tragédie marseillaise dans les termes suivants : « La victime […] était accompagnée de ses deux enfants de 3 et 7 ans, scolarisés en maternelle et en CP dans l’école catholique, qu’il venait de récupérer. Assis sur un banc à proximité, l’agresseur avait surgi par-derrière avant de s’acharner sur le médecin, lui assenant plusieurs coups de couteau dans le thorax […] Maîtrisé et désarmé par quatre passants, l’agresseur avait été interpellé par les policiers avec un couteau suisse en sa possession […] Déjà connu des services de police, mais pas du renseignement territorial, le suspect aurait crié des allégations religieuses pendant l’agression, selon plusieurs témoins ».

Les grands médias radios télévision n’ont, semblent-ils, quasiment pas rendu compte de ce drame (à l’exception de chaînes d’information en continu comme CNews). Les journaux – en dehors de l’article précité – ont été peu prolixes à ce sujet.A l’exception du maire de Marseille, il semble que l’on n’ait guère entendu parler d’autres hommages officiels à la victime. Le sort de ses enfants meurtris à vie par la vision de leur père massacré devant eux, de sa veuve et de ses parents ne paraît pas avoir ému grand monde à l’échelle nationale. Il est bien loin le temps où, face à des tragédies de ce genre, un président de la République recevait à peu près systématiquement les parents des victimes au Palais de l’Elysée pour témoigner de sa compassion et de la solidarité nationale.

 Le traitement policier et judiciaire de l’assassinat d’Alban Gervaise a jusqu’à présent débouché sur la décision de ne pas retenir le mobile terroriste. Il serait bien entendu irresponsable de contester ce choix, effectué par des professionnels, sur la base de l’examen d’un dossier individuel. On imagine que la ligne de partage entre la psychopathie et le fanatisme sanglant n’est pas toujours évidente à tracer. Ou commence et où s’arrête la folie ? « Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou » a écrit Pascal dans ses Pensées.

Mais au-delà de cette question de la qualification juridique du crime, le caractère de barbarie extrême de ce meurtre gratuit, à coups de poignard, d’un médecin-militaire de 41 ans, devant ses jeunes enfants qu’il venait de récupérer à l’école – un établissement catholique semble-t-il – ne fait, lui, strictement aucun doute quel qu’en soit le mobile.

Alors comment expliquer, à côté de l’immense et justifié scandale que provoquent les événements de Saint Denis, le silence ou la discrétion médiatique autour de la tragédie de Marseille – pourtant d’une violence et cruauté extrême ? Sans doute faut-il y voir un terrifiant effet de routine : la France a compté, depuis dix ans, plus de 250 victimes du terrorisme islamiste (même si cette fois-ci, le crime ne relève pas de la qualification juridique de terroriste). De même, contrairement aux événements de Saint Denis, les caméras de télévision du monde entier n’étaient pas braquées sur la rue de la petite école, théâtre du drame.

Après les tragédies sanguinaires de l’affaire Mehra, de Charlie Hebdo et du magasin cacher de la porte de Vincennes, du Bataclan, de Nice, de Saint Etienne de Rouvray, de la gare de Marseille et de bien d’autres, le phénomène auquel nous assistons est celui d’une banalisation du mal absolu dans la vie quotidienne. Un Premier ministre déclarait en 2015 : « Il faudra s’habituer au terrorisme ». Encore une fois, la qualification de terroriste n’a pas été retenue mais quoi qu’il en soit, c’est bien à la barbarie sanglante que la France « dite d’en haut », politico-médiatique, a tendance à s’habituer. Et que les faits se soient produits à Marseille, une cité particulièrement touchée par les meurtres, amplifie encore cette impression de routine. Cette omerta s’explique par l’habitude, mais aussi probablement par la volonté de ne pas porter un coup supplémentaire au « vivre ensemble » déjà si malmené. Calcul absurde : la discrétion médiatique et le silence face à un tel drame, surtout à l’heure des réseaux sociaux, n’apaise en rien le sentiment d’angoisse et de révolte qui en émane dans le pays.

© Maxime Tandonnet

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