André Markowicz. Daniil Harms, intermède, pour les trois mois de la guerre

Un des tout derniers textes de Daniil Harms, mort de faim dans une prison du NKVD pendant le siège de Léningrad.

Au moment où s’ouvrent les premiers procès des soldats russes coupables de crimes de guerre.

Réhabilitation

“Sans me vanter, je peux dire que quand Volodia m’a cogné l’oreille et m’a craché au front, moi, la façon dont je l’ai pris, il n’est pas près de l’oublier. C’est après que je l’ai battu avec le réchaud, et, avec le fer à repasser, je ne l’ai battu que le soir. Si bien que, s’il est mort, c’était tout sauf sur le coup.

Ce n’est pas une preuve si, les jambes, je les lui avais déjà coupées dans la journée. À ce moment-là, il était toujours vivant. Andrioucha, lui, je l’ai juste tué par inertie, et, ça, vraiment, c’est une chose dont je ne peux pas m’accuser.

Pourquoi Andrioucha et Elizavéta Ivanovna se sont-ils retrouvés là devant moi ? Ils n’avaient aucune raison de se précipiter hors de chez eux. On m’accuse d’être sanguinaire, il paraît que j’ai bu le sang, mais c’est inexact, j’ai un peu léché les flaques de sang et les taches ; c’est un besoin naturel qu’éprouve tout être humain d’effacer les traces de son crime, si minime soit-il.

Elle, d’abord, elle n’était plus vierge, si bien que j’ai eu affaire à un cadavre, et elle n’a pas eu à se plaindre. Et qu’est-ce que ça fait si elle était sur le point d’accoucher ?

L’enfant, je l’ai sorti. Si, en général, il n’avait pas trop de chances de rester vivant, ce n’est vraiment pas ma faute. Si je lui ai arraché la tête, c’est parce qu’il avait le cou trop fin. Il n’était pas fait pour cette vie d’ici-bas. C’est vrai que j’ai écrabouillé leur petit chien à coups de bottes. Mais, ça, c’est du cynisme, de m’accuser de l’assassinat d’un chien quand, à côté, on peut le dire, il y a trois vies humaines qui ont été réduites à rien.

L’enfant, je ne le compte pas. Bon, d’accord : dans tout cela (je veux bien l’admettre), on peut trouver une certaine cruauté de ma part. Mais voir un crime dans le fait que je me sois accroupi et que j’aie déféqué sur mes victimes, – ça, pardonnez-moi, c’est absurde.

Déféquer, c’est un besoin naturel, et par conséquent, ça n’a rien de criminel. Ainsi donc, je comprends, certes, les appréhensions de mon avocat, mais j’espère quand même obtenir un acquittement complet.”

[10 juin 1941] *J’ai publié ce texte aux Editions Mesures. J’aimerais beaucoup que mes milliers de lecteurs lisent Harms…

© André Markowicz

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