Témoignage. “Paradoxales dérives de l’expertise. La violence de celui qui pense qu’il sait …”

“Je ne suis pas ce qui m’est arrivé. Je suis ce que je choisis de devenir.”
Carl Gustav Jung

Témoignage. Compte rendu d’une “non expertise”. Par Frédéric Terrier

Compte rendu De la non expertise du médecin mandaté par l’administration pour ma reprise d’activité professionnelle

3 mai 2022, 14h30

Arrivée dans le cabinet :

Que puis-je faire pour vous ?

Je pense : il ne sait pas que je viens pour une expertise.

Je commence à lui proposer de lui expliquer le contexte général.

Il m’interrompt : Je cherche votre dossier.

Cinq minutes à trouver une enveloppe parmi d’autres.

Je pense : il n’a même pas préparé la consultation.

Il ouvre l’enveloppe : il commence à sortir des documents au hasard. Il ne les lit pas. Il les regarde un peu.

Il lit le courrier de la Direction académique, reçu, je pense, au mois de février.

Il me déclare qu’ il ne sera pas en capacité de faire cette expertise, il ne peut pas refaire les examens qui sont contenus dans les comptes rendus des spécialistes.

Il dit qu’il n’est pas neurologue, qu’il n’est pas médecin rééducateur aux herbiers, qu’il n’a pas les compétences.

Timidement je lui demande s’il lui est possible d’en tenir compte pour faire son travail d’expertise.

Il me répond : Vous voulez que je fasse un faux . Les spécialistes ne sont pas experts et je ne suis pas capable de faire les observations qu’ils ont faites. Moi je suis généraliste.

À chaque fois que je lui suggère quelque chose, il me rétorque que je ne suis pas médecin, que je n’ai pas les compétences pour comprendre son métier,  plusieurs fois il me dit que … je lui demande de faire un faux.

Je lui suggère que le Rectorat aimerait bien aussi que je reprenne une activité professionnelle adaptée.

Il me dit qu’il s’en fout, que c’est pas le Rectorat qui décide, que le comité médical a tout pouvoir et n’a pas besoin de l’avis du Rectorat sur ma reprise de fonction.

Je lui suggère qu’il peut lire les rapports des autres médecins spécialistes et m’ausculter pour voir si de façon fonctionnelle je peux occuper un emploi intellectuel.

Il m’indique qu’il ne peut pas donner crédit à ces documents et que, étant généraliste,  il ne peut en vérifier la véracité et en faire lui-même la contrexpertise.

J’insiste sur le fait que reprendre une activité est pour moi nécessaire à ma santé globale et à l’équilibre de ma vie et qu’en tant que personne en situation de handicap, c’est ce qui me porte depuis 21 ans de maladie.

Fin de non-recevoir avec, avec, de mon point de vue, beaucoup de mépris à mon endroit.

Vous n’êtes pas médecin

Dévasté, je me lève pour partir et lui indique ce que je pense à ce moment-là : Je n’ai plus qu’à me foutre en l’air.

Réponse : Pas de chantage, au revoir Monsieur.

Frédéric Terrier


Réaction. Par Myriam Varin Bréant

Myriam Varin Bréant, comme TJ, réagit :

#medecine#expertise#care#éthique#maltraitance#savoirdexpérience #respect#inclusion#vulnerabilites

Empowerment du patient

La violence de celui qui pense qu’il sait …

Quand l’éthique du care est absente, Quand l’expertise froisse l’humanité dans ce qu’elle a au cœur , le vivant!

Paradoxales dérives de l’expertise

Ici il sera question de savoir scientifique, et de ses limites, de collégialité, de confraternité et d’isolement, d’éthique du soin, et de mission administrative, de violence humaine et d’amour en retour, de courage et de découragement, de vie et de mort qu’on donne et reprend de temps en temps, par accident, maladie, inconscience des enjeux, défense et auto protection .

Oui, c’est bien de tout cela dont il sera question dans mon propos, tout ça dans un fouillis incompréhensible tel que je n’ai même pas de colère contre ceux qui maltraitent un homme qui non seulement me bouscule dans mes certitudes et mes promesses faites à moi-même , force mon admiration, me fait rire si souvent, mais surtout un homme dont le combat pour être vivant n’est pas semblable au mien et pourtant nous lie tous les deux si fort et si naturellement  qu’il en devient une évidente condition universelle humaine.

La vie est un bijou dont on oublie trop souvent de se parer comme il le faudrait… Certains, de peur qu’on le leur vole ou leur envie, l’enferment dans un coffre, l’assurent, ne le portent que trop peu, d’autres au contraire l’exposent jusqu’à l’extrême au risque de le perdre.

M. T est un humain

Pour cela, sa personnalité embrasse de multiples identités, dont certaines lui sont encore inconnues et se révèlent au fil de son existence. L’homme est un galet, poli à la manufacture du temps et des rencontres qui le transportent ici et là, des tempêtes qu’il doit traverser.

M. T est un galet doux au toucher, solide, qui vit les ricochets de la vie comme une danse joyeuse et dont la rondeur s’affine dans un sens de l’humour en guise de bouclier.

M. T est atteint d’une maladie dégénérative évolutive qui le handicape dans son corps, mais dont il a su faire une valeur ajoutée du cœur et de l’esprit.

M.T rêve de longues marches et de courses à pied.

M.T a fait une brillante carrière dans l’éducation.

Il est même invité à porter une distinction honorifique, des palmes qui ne l’aident pas à nager , ça aussi c’est devenu compliqué…

M.T l’hiver dernier a été poussé brutalement vers la sortie du métier, au titre d’une retraite pour invalidité.

Dans sa grande bonté institutionnelle , la lettre impersonnelle lui a été adressée pour Noël, cadeau empoisonné gentiment emballé dans le papier glacé d’un compte-rendu d’expertise qui avait orienté la décision de l’administration qu’il a servi toutes ces années, et qui, sans se poser plus de question sur qui est monsieur T, s’est contentée de se ranger à l’avis d’un comité médical.

A partir de là, l’uppercut encaissé, Monsieur T s’est relevé , a convoqué les rendez-vous, réunions et rencontres de personnes humaines derrière des hautes fonctions d’état.

Il a même été jusqu’à toucher Monsieur le Président de la République qui lui a personnellement répondu. C’est dire si reprendre une activité professionnelle est une chose qui lui tient à cœur à Monsieur T.

Les portes et avec elles les espoirs se sont petit à petit ouverts depuis l’hiver…

Au printemps, avant l’été, il prépare sa rentrée. Il a même trouvé les missions à sa portée, le poste qui lui conviendrait, dans le lieu dédié à la transmission des valeurs d’éducation et d’inclusion qu’il a toujours portées d’abord naïvement, innocemment, discrètement, presqu’en secret, puis hasard de l’existence qu’aujourd’hui il doit contre vents et marées afficher.

Monsieur T, j’ai oublié de vous l’expliquer, est en fauteuil roulant . Il joue du joystick comme personne pour se faufiler dans les dédales d’inhumanité qu’il doit comme beaucoup de ses semblables affronter dans son quotidien.

Si je vous raconte tout cela, c’est qu’hier était un jour particulier pour monsieur T.

Hier, un médecin expert allait vraisemblablement lui offrir le sésame qui manque à son dossier pour finaliser sa reprise d’activité professionnelle.

Seulement, voilà : du haut de tout son savoir de médecin expert, de son serment d’Hippocrate ( c’est drôle l’écriture intuitive de mon Mac Book a écrit « hypocrite » , les Freud, Lacan et Jung y verraient un lapsus bien révélateur d’une époque!), le savant docteur expert a refusé l’expertise pour laquelle il est missionné depuis trois mois sans même auparavant avoir pris la peine de consulter le dossier , qu’il qualifia de lourd à l’arrivée de Monsieur T.

Cet homme, professionnel du soin,  s’est dit incompétent pour exercer cette mission pour lequel il est reconnu comme qualifié pourtant, refusant de s’appuyer sur les documents nombreux et rigoureusement établis par ses confrères médecins spécialisés.

Monsieur T n’avait plus de jambes au sens figuré, puisqu’au sens propre c’est déjà fait.

Trois mois de perdus, une incertitude quant à son avenir proche, le 17 mai retraite pour invalidité ou reprise d’activité?

Rien, un vide abyssal dans lequel s’effondrer.

Tous les arguments tentés n’ont eu aucun écho, sauf un, peut-être ?

Docteur, ce que vous me dites là c’est que je n’ai plus qu’à me foutre en l’air?

Pas de chantage, Monsieur T. Au revoir

Ce qui interroge ici c’est :

Comment une expertise programmée, avec envoi préalable de documents, ne peut-elle pas avoir lieu dans ces conditions vu l’enjeu?

Comment un médecin qui a prêté serment d’Hippocrate peut-il laisser un patient quitter son cabinet sur des paroles si inquiétantes et dures sans même connaitre Monsieur T, qui justement ne se foutra jamais en l’air parce qu’il y a bien longtemps,  son papa à lui l’a fait, un 2 mai.

Comment un professionnel du soin, de santé, ne peut-il pas reconnaître la validité des conclusions de ses pairs et refuser toute collaboration avec eux pour justement acquérir cette compétence dont il se déclare insuffisamment doté pour faire cette part de son métier.

Enfin, et c’est pour moi ce qui est incompréhensible, comment un homme peut-il exercer une telle violence dans l’attitude et le propos, dans le regard posé sur l’autre à l’abri de sa fonction, et ce d’autant plus sur un être dont la vulnérabilité est visible, tout cela dans une société qui affiche une volonté inclusive ?

Je suis perplexe aujourd’hui sur ce qui abîme l’humain qui pense savoir au point de le maintenir dans un aveuglement si dangereux.

Ce médecin avait face à lui, l’homme qui sait aussi, qui sait mieux, qui pouvait répondre avec lui à cette question de capacité à reprendre une mission au sein de l’éducation nationale, cet homme détenteur du savoir le plus précieux, c’est Monsieur T, le patient, l’homme qui face à celui qui chiffonne d’une main tous ses rêves, continue sa route, vivant!

J’aime pas ça, moi, cet excès d’objectivité dans l’air, l’humanité de travers, Qu’est-ce qu’on fout dans cette galère… où l’abus de pouvoir sur l’autre de celui qui prétend savoir confisque la capacité de savoir sur soi-même et de partager ensemble ce possible cheminement intelligent humain.

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