Ypsilantis. Les Juifs d’Orihuela

J’ai devant moi un livre d’environ sept cents pages, quatrième volume d’une série consacrée à la ville d’Orihuela (province d’Alicante) et intitulé : « Orihuela en sus documentos IV – Musulmanes y judíos en Orihuela (siglos XIV – XVIII) ».

Ce livre publié en 1997 s’inscrit dans Publicaciones del Instituto Teológico Franciscano. L’auteur, Agustín Nieto Fernández (1908-1980), un Franciscain. Ce religieux a passé les dix dernières années de sa vie (1970-1980) à Orihuela où il s’est dédié à la recherche historique, notamment à partir de l’Archivo Municipal. Ce livre répertorie une vaste documentation présentée par thèmes et chronologiquement. Il s’agit bien d’une mine pour le chercheur ou le simple curieux.

Ce volume s’articule en quatre blocs qui eux-mêmes s’articulent en chapitres. Ces blocs traitent respectivement de : les Juifs à Orihuela / Le quartier musulman (morería) à Orihuela / Juifs et Musulmans à Murcia. Le quatrième bloc est constitué de documents et de données divers, soit des versions retouchées et à l’occasion augmentées de travaux antérieurs d’Agustín Nieto Fernández.

Le premier bloc (page 3 à 32) est celui auquel je me suis le plus intéressé pour rédiger cet article. Il s’articule en quatre parties, soit respectivement : La législation et le peuplement juif à Orihuela / Le commerce juif à Orihuela / Personnages juifs / Relations institutionnelles. Dans le troisième bloc (soit huit chapitres), il est également question des Juifs (de Murcia) aux chapitres I et IV, soit respectivement : Personnages juifs / Législation sur les Juifs et les Musulmans.

Après la mort de ce Franciscain, l’Instituto Teológico de Murcia s’est employé à publier la volumineuse somme répertoriée et présentée (sous la forme de résumés) par cet érudit. Cette somme est un guide pour qui veut plonger dans les archives et suivre l’évolution historique de deux villes et de deux sociétés : Orihuela et Murcia, la société juive et la société musulmane dans leur fonctionnement interne et dans leur rapport avec la société dominante, soit la chrétienne.

Cette publication est un catalogue constitué d’une multitude de séquences classées suivant un ordre rigoureux, thématique et chronologique, qui invite à une promenade sur plusieurs siècles en des lieux précis. Ce travail minutieux est une magnifique invitation à un voyage dans le temps, le plus dépaysant des voyages.

Quelques séquences extraites du premier bloc (Les parenthèses sont des explications que j’ai rajoutées ) :

1391. Début d’un pogrom à Sevilla, pogrom activé par les prédications de Fernán Martínez, et qui aurait fait plusieurs milliers de victimes. La violence partie de Sevilla gagne Córdoba et toute l’Andalousie puis le royaume de Valencia et enfin Toledo et Barcelona. Elle touche Orihuela et Murcia. A Orihuela, le saccage du quartier juif est évité grâce aux mesures prises par le gouverneur Olfo de Próxida. Les Juifs sont nombreux à se convertir afin d’espérer éloigner d’eux la violence tandis que d’autres quittent la ville.

1415 ? La Disputa de Tortosa suscitée par le Juif de Lorca rabbi Tehonsuad Alorquí, devenu Jerónimo de Santa Fe, et la bulle du pape Benedicto XIII interdisant l’enseignement de la loi juive, etc. L’affaire dut avoir quelque écho à Orihuela et le Consejo se vit dans l’obligation de protéger ceux qui n’avaient pas renié le judaïsme. En 1415, il ordonne que personne ne prononce des mots offensants à l’égard des Juifs et ne les traite de judíos relajados sous peine d’une amende de soixante sueldos.

En 1491, le Consejo veut accorder des faveurs aux Juifs convertis et envoie Nicólas Martín comme messager auprès du roi, le suppliant de traiter aussi favorablement ces Juifs que les Chrétiens d’origine, et que ceux qui épousent des cristianas viejas soient autorisés à utiliser des soieries et autres articles interdits aux Juifs. On ne connaît pas le résultat de cette démarche.

1396. La viande que les Juifs achètent, vivante ou morte, sera taxée à la sisa deux dineros par livre de viande. (La sisa est un type de tribu qui se calcule lors d’une transaction en fonction du poids et des dimensions de la marchandise).

Aucun Juif n’est autorisé à tuer et dépecer un quelconque type de viande sans en avertir le sisero (celui qui est chargé de calculer et encaisser la sisa). Il doit la faire peser avant tout type d’intervention sous peine d’une amende de trente sueldos pour chaque infraction, une amende qui sera répartie de la manière suivante : un tiers pour la Justice, un tiers pour les Jurados, un tiers pour l’acheteur de la sisa. Si les Juifs veulent vendre de la viande à des Chrétiens et ne le signalent pas au sisero, eux et leurs complices auront une amende de soixante sueldos par infraction.

13-8-1371. Une licence est accordée à Doña Yamila, veuve de Don Yucaf, chirurgien, pour exercer l’art de la chirurgie, étant entendu qu’elle a pratiqué de nombreuses interventions avec succès selon le témoignage de nombreux hommes de bien.

4-5-1382. Un Juif nouvellement arrivé demande une aide au Consejo afin de pouvoir rester et exercer son métier de réparateur de selles, de cuirasses et d’armes. On se met d’accord pour lui verser cent sueldos pour une année de séjour dans la villa.

Quelques séquences extraites du troisième bloc :

Trois documents relatifs à Maestre Baruq, chirurgien :

31-1-1394. Il est ordonné de lui verser trente maravedís (une unité de compte monétaire) et un cahíz (une unité de mesure) de blé pour avoir soigné les trente blessés dans le combat à Molina contre Juan Sánchez Manuel.

13-10-1394. Pour avoir soigné les blessés dans la bagarre survenue le jour de la San Mateo contre l’Adelantado, qu’il lui soit versé un cahíz de blé.

24-7-1395. Considérant la pratique acquise, qu’il lui soit accordé le droit d’exercer son métier sans examen préalable.

Trois documents relatifs à Maestre Farach, médecin :

21-2-1405. Il voulait s’en revenir chez les Musulmans et comme il était maître dans l’art de la chirurgie et de la médecine et qu’il avait pratiquée de bon traitement, on s’est accordé pour lui verser comme il le demande mille maravedís de trois blancas (une monnaie) afin qu’il reste et fasse venir sa femme. On s’accorde donc pour lui verser cette somme chaque année et lui avancer cent maravedís pour qu’il achète une maison et fasse venir sa femme.

2-10-1406. Le Consejo étant dans le besoin, on ordonne de ne lui verser que trois cents maravedís de deux blancas.

25-10-1406. Il réclame et on annule cette dernière décision ; il lui sera bien versé mille maravedís.

29-3-1457. Le Corregidor ordonne que les Juifs portent un signe en tissu coloré aux dimensions prescrites par l’Ordonnance royale de Don Juan I, de manière bien visible, sous peine de se voir confisquer les vêtements qu’ils portent.

10-7-1481. Que tous les Juifs et Musulmans portent leurs signes comme dans les temps passés, les Juifs leurs rolderas (je n’ai pas trouvé la traduction exacte de ce mot, mais ce signe pourrait être l’équivalent du redondel amarillo) et les Musulmans leurs demi-lunes cousues sur les capes et couvertures et sur le côté droit.

12-12-1481. Que les Juifs portent des rolderas de tissu coloré sur la poitrine, à gauche, sauf dans la judería où ils pourront circuler sans. Que les Musulmans portent des demi-lunes de tissu bleu sur la poitrine.

© Olivier Ypsilantis      

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