Hebib Khalil. Est-ce que le monde arabe est prêt à tuer Dieu ?

C’est le récit d’un bout de linge qui chiffonne le monde arabe. L’histoire à peine croyable d’un lynchage national dont est victime l’actrice égyptienne, Mona Zaki, pour avoir enlevé sa culotte dans une adaptation cinématographique de la comédie italienne, Perfetti sconosciut. Du geste, on ne perçoit rien. Pas une miette de peau. On déduit simplement l’objet de l’indignation, dans une main de femme, qui le met rapidement dans un sac.

Cette scène (insignifiante sous d’autres cieux), de l’unique production arabe de Netflix, a suffi, à elle seule, à soulever l’ire de tout un peuple, et jeter, sur les boulevards du net, des milliers d’émeutiers numériques en convulsion. Du Koweït au Qatar, en passant par la Palestine, l’Iraq et l’Égypte, la meute hurle des clics enragés. Souvent, sans avoir vu le film, se fiant aux ouï-dire, au fameux téléphone arabe, de plus en plus rapide, et de moins en moins intelligent. La machine infernale des réseaux sociaux s’est mise en branle comme une moissonneuse-batteuse. On a fait feu de tout bois, du moindre pixel de l’épiderme féminin. Le film bouscule, en effet, quelque peu les mœurs. Il se précipite, de facto, dans un bourbier à tabous, car il met en scène des femmes non voilées, parlant d’adultère, d’homosexualité et de sexualité de jeunes filles. Bref, une abomination pour tout fondamentaliste qui se respecte. La hchouma, pour mieux le dire en “français” !

En parallèle, d’autres brasiers enflamment la toile, et des voix s’élèvent pour que le mari de Mona Zaki, lui-même acteur, la répudie ! Qu’on ne s’étonne surtout pas : cette pratique est largement utilisée afin de mettre à l’épreuve la “Zhommitude” des mâles musulmans, gardiens du temple et vigiles aux portes de la vertu. On a tous en tête le tube de l’été algérien de 2018 : “Si tu es un homme, voile ta femme”. Ryad Mahrez, richissime footballeur de Manchester City, et accessoirement joueur de l’équipe de Palestine, n’y échappe pas. Il est continuellement interpellé par ses “mœurs-brigadiers-followers”, afin de voiler sa nouvelle épouse, le mannequin britannique Taylor Ward. On ne manque, d’ailleurs, aucune occasion, d’appeler le couple à la retenue, en leur qualité d’ambassadeurs du monde musulman ! Et notamment, lorsque la belle Ward “ose”, encore, poser en bikini ou poster ses échographies de grossesse en maillot de bain. (Re) la hchouma ! Les talibans du Net, tels des gamins qui ne savent pas distinguer leurs orteils des seins de leurs mères, se (ré) offusquent… et convulsent ! Encore !

De telles immondicités se produisent par millions dans les plis oubliés de la galaxie d’Allah. Dans ses villes et villages. Dans ses balafres de douars. Dans ses familles, entre amis et voisins-germains. Dans la mêlée d’une fratrie dévote. Cet œil collectif liberticide et inquisiteur pèse sur tout le monde. Il s’érige en système castrateur. Il est constamment braqué sur vous, voit tout, dénonce, jalouse, censure, épie, juge, lapide ou exécute. Pour le non-conformisme d’un mot. Pour une pensée qui s’égare. Pour une parole qui blesse le récit canonique. Pour une jupe jugée trop courte, des cheveux qui volent ou l’audace d’un baiser. Pour des bouches qui boivent ou des lèvres qui frôlent des glaces sans se cacher. Pour les rumeurs d’un amour tu. La société fait le guet pour son Dieu, se substitue à lui, le remplace, lui succède. Elle tient la comptabilité des hassanates, envoie au bagne ou au paradis. C’est un califat sans Calife, où chacun est, à la fois, sujet et dieu, Azraël et Gabriel. C’est le dernier stade de l’évolution du dévot : l’Homo-Deus-Daech. Celui qui sait et accomplit les volontés d’Allah.

L’islamisme n’est pas une pathologie filiale. Elle peut s’attraper sans prévenir. Là où l’esprit est défait. Par medersas ou métaverses. Par le livre ou le live, les tablettes d’argiles ou numériques. Et les technologies qui servent à créer des ponts creusent aussi des fossés et des tombes.

Notre siècle est un multivers, où se côtoient deux mondes en déphasage temporel. L’un, ancré dans l’hégire et l’autre écrivant son millénaire. L’un désirant rejoindre son passé et l’autre préférant conquérir le futur et les étoiles. Deux visions rivales, connectées par des vortex en fibre optique, où naviguent, simultanément, le pire de l’homme et son meilleur, l’audace et l’immobilisme, les innovations et les archaïsmes, le désir de vivre et celui de mourir.

Le Daech-land se complaisait, jusque-là, à rester en marge du monde. Mais la transmutation par perfusion ADSL le rattrape et l’oblige à l’interaction et aux réponses. Il accueille l’internet, comme jadis il recevait l’imprimerie, c’est-à-dire dans la méfiance et le rejet. Et même s’il en tire, astucieusement, quelques profits, il y reste globalement réfractaire. Il ne voit, dans cette technologie, à quelques exceptions près, qu’un moyen d’innover en matière de prosélytisme téléchargeable, d’endoctrinement en streaming, de jihad-Tik-Tok, fatwa-tweet, insulte-insta et crachats-story. Le monde binaire, du halal-haram se sent agressé et fragilisé par cet interminable flux de questions et d’idées nouvelles en térabytes, auxquels, il n’apporte aucune réponse rationnelle.

Et c’est pour cela qu’il réagit, parce qu’il panique, par la violence, fanatisme, extrémisme et repli sur soi. En réalité, ce monde craint de s’éteindre parce qu’il n’a rien de raisonnable à opposer à sa phobie de la liberté, excepté ses quelques sombres et désuètes croyances. Et tant qu’il n’en prendra pas conscience par lui-même, le monde islamique se sentira toujours obligé de mourir et de tuer pour sauver ce qui lui reste de Dieu !

© Hebib Khalil

Hebib Khalil est journaliste chroniqueur au Matin d’Algérie

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