Je suis une victime des attentats du 13-Novembre et je conteste le bilan de François Hollande sur la question de l’islamisme

Entretien mené par FigaroVox avec Victor Rouart, grièvement blessé au Bataclan

«Il me semble que François Hollande et son gouvernement n'ont pas pris toute la mesure du danger que représente l'islamisme.»
«Il me semble que François Hollande et son gouvernement n’ont pas pris toute la mesure du danger que représente l’islamisme.» Benoit PEYRUCQ / AFP

Après le témoignage de François Hollande au procès du 13-Novembre, et les propos polémiques d’Éric Zemmour, Victor Rouart, grièvement blessé au Bataclan, se dit davantage heurté par les propos de l’ancien président de la République sans pour autant prendre la défense du polémiste.

Victor Rouart était présent au Bataclan le soir des attentats du 13-Novembre et a été grièvement blessé. Il a co-écrit, avec le journaliste au Figaro Luc-Antoine Lenoir «Comment pourrais-je pardonner ?» (éd. de L’Observatoire, 2021).


LE FIGARO. – Cité à la barre au procès du 13-Novembre, une première pour un ex-président devant une cour d’assises, François Hollande a défendu son bilan et la guerre contre l’organisation Etat islamique. En tant que personne présente au concert des Eagles of Death le soir des attentats, que pensez-vous de ses mots ?

Victor ROUART. – François Hollande à travers son témoignage au procès des attentats du 13 novembre 2015, estime que l’ensemble des mesures visant à la lutte contre le terrorisme et la protection des Français ont été prises durant son mandat. Des mesures d’urgence furent votées et des actions menées. Mais après les massacres perpétrés sur notre sol qui a endeuillé et détruit tant de familles innocentes, il me paraît nécessaire d’analyser la lutte contre le terrorisme dans sa globalité en prenant en compte ses différents aspects. Si l’ancien chef de l’État n’a cessé de marteler «nous sommes en guerre» pour évoquer la menace djihadiste et ce, à juste titre, qu’en est -il de l’efficacité de ces mesures ? N’était-il pas possible d’agir en amont, contre un phénomène de radicalisation en expansion dans notre société depuis plusieurs années ? Si nul ne conteste la difficulté de trouver un équilibre nécessaire entre les libertés publiques et la sécurité des Français et que des dispositions ont été prises contre le terrorisme, il convient d’analyser si elles ont été suffisantes. Il est permis d’en douter.

Concernant la lutte contre la radicalisation islamiste sur notre sol et bien que le gouvernement de François Hollande ne soit pas le seul concerné, il est tout de même possible de s’indigner et de reprocher au pouvoir socialiste son laxisme face au développement d’une idéologie islamiste radicale qui a pu prospérer notamment à travers l’attribution de subventions aux profits d’associations liées à la confrérie des Frères musulmans ou à travers la pratique du clientélisme. L’ancien président défend son bilan, mais sur la question de l’islamisme, il est permis de le contester.

L’exécutif de l’époque avait-il pris la mesure de la menace que représentait le terrorisme islamiste ?

Après l’effroi suscité par l’attentat de Charlie Hebdo et celui de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, les pouvoirs publics ont pris des dispositions d’urgence sur le sol français avec la mise en place de l’opération sentinelle ou encore le fichier de signalement pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Cependant, il me semble que François Hollande et son gouvernement n’ont pas pris toute la mesure du danger que représente l’islamisme, la déclaration de l’ancien président de la République lors de son audition en tant que témoin au procès des attentats du 13 novembre 2015, reconnaissant la présence de terroristes islamistes cachés parmi les flots de migrants est, selon moi, révélatrice et symptomatique d’une sous-évaluation de la menace et peut être assimilée à une absence de volonté politique liée à des raisons idéologiques. Pourquoi le président a préféré taire cette information qui représentait pourtant un danger non négligeable pour la sécurité des Français ? D’autant qu’une partie de la presse, au même moment, qualifiait de «fake news» cette possibilité d’infiltration de terroristes parmi les réfugiés et diabolisait quiconque évoquait cette éventualité. Il me semble que la question morale et humaniste omniprésente quant à l’accueil ou non des migrants lors de cette année 2015, aussi sensible et complexe soit-elle, ne justifiait pas ce qui peut s’apparenter à une prise de risque de la part du pouvoir politique, la sécurité de nos concitoyens étant l’une des missions essentielles de l’État.

Éric Zemmour s’est récemment attiré la controverse en se rendant devant le Bataclan puis en reprochant à François Hollande (entre autres) de ne pas avoir défendu les Français contre «une guerre de civilisation » qui leur serait «menée sur notre sol». Cette polémique est-elle selon vous justifiée ? Pourquoi ?

Je peux comprendre que les propos d’Éric Zemmour devant le Bataclan aient pu paraître déplacés et susciter des réactions de la part d’associations de familles de victimes en raison du moment choisi.

Cependant, je suis toujours étonné de l’indignation à géométrie variable des professionnels de la morale qui ont semblé bien plus complaisants avec les auteurs de provocations antérieures. J’aurais par exemple apprécié pouvoir constater un degré d’indignation équivalent lorsque en 2018, le rappeur Médine, dont la proximité avec des organismes islamistes avait été établie, devait faire un concert au Bataclan pour la promotion de son album intitulé «Jihad», lequel était pourtant pourvu d’éléments assez explicites quant au message véhiculé. Les réactions et le vocabulaire employés à l’époque par les mêmes qui s’indignent aujourd’hui de l’intervention de Zemmour, paraissaient bien plus mesurés en dépit de la gravité de la provocation manifeste et de l’atteinte à la mémoire des victimes et de leurs familles. Même constat concernant une manifestation du 10 novembre 2019, initiée par des associations proches de milieux islamistes telles que le CCIF (NDLR, Dissoute depuis par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin), lors de laquelle plusieurs personnes ont scandé «Allah akbar» à quelques encablures du Bataclan ou de nombreuses victimes avaient péri sous le feu des djihadistes, employant la même expression. Parmi ceux qui aujourd’hui poussent des cris d’orfraie, certains s’étaient faits discrets sur cet évènement. En tant que personne touchée directement par les attentats, je suis surtout choqué par cette différence de traitement et ne peux que déplorer ce «deux poids deux mesures».

Éric Zemmour n’a-t-il cependant pas été trop loin en s’en prenant directement à l’ancien chef d’État ? Etait-ce vraiment le lieu et le moment ?

Je pense qu’il aurait dû utiliser des termes différents pour répondre à François Hollande le jour de la commémoration des attentats pour éviter que son intervention s’apparente à un coup de communication. Néanmoins, la forme ne doit pas faire oublier les sujets essentiels et le fond de son intervention.

Il ne paraît pas dénué de sens, de la part de victimes ou de familles de victimes, de s’interroger sur certains choix politiques, sur la responsabilité de ses gouvernants et de vouloir obtenir des réponses sur la survenance des attentats de novembre 2015 qui ont endeuillé le paysVictor Rouart

Eric Zemmour, qu’on l’apprécie ou non, pose des questions sur des problématiques de société (immigration, assimilation, terrorisme) qui font partie des préoccupations d’une majorité de français et qui sont souvent occultées par une partie de la classe politique alors qu’elles sont légitimes. Il ne paraît pas dénué de sens, de la part de victimes ou de familles de victimes, de s’interroger sur certains choix politiques, sur la responsabilité de ses gouvernants et de vouloir obtenir des réponses sur la survenance des attentats de novembre 2015 qui ont endeuillé le pays, surtout après les déclarations de François Hollande sur les terroristes islamistes infiltrés dans le flot de migrants. Je pense que ces propos devraient soulever de plus amples interrogations.

Selon l’avocate Raquel Garrido, ancienne porte-parole de La France insoumise, nous sommes désormais «dans un processus de réparation» et «les familles» des victimes «ont fait des efforts incommensurables […] pour trouver le chemin vers la réconciliation, y compris avec les terroristes eux-mêmes». Que vous inspirent ces propos ? Une forme «réconciliation» avec les terroristes est-elle possible ?

Je considère les propos de Raquel Garrido sont consternants mais malheureusement pas surprenants. Ce type de déclaration révèle selon moi qu’une certaine gauche s’est fourvoyée en opérant un rapprochement idéologique, sous couvert de lutte contre les discriminations et de bons sentiments, avec des mouvances proches de l’islam politique. Comment une réconciliation pourrait-elle avoir lieu entre d’un côté, des individus et des familles meurtries et victimes d’atrocités, et de l’autre des terroristes djihadistes qui ne souhaitent, jusqu’à preuve du contraire, demander pardon ? Pour que celui-ci soit accordé il faut la rencontre de deux volontés, le bourreau et la victime. Je trouve cette déclaration «indécente».

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/en-tant-que-victime-des-attentats-du-13-novembre-le-bilan-de-francois-hollande-sur-la-question-de-l-islamisme-20211117

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