Sarah Cattan. A lire: Le Livre de Stéphane Encel sur Le Système Cyril Hanouna

Stéphane Encel. Ce n’est pas que d’la télé ! Ce que le système Hanouna dit de la France. Editions David Reinharc

Alors qu’en décembre dernier Philippe Moreau-Chevrolet, expert en communication[1], imaginait dans une bande dessinée le trublion du PAF se lancer dans la course présidentielle de 2022 et après que l’éditorialiste Christophe Barbier eût co-écrit en mai avec Cyril Hanouna, présentateur phare de Touche Pas à Mon Poste  sur C8, Ce que m’ont dit les Français[2], livre- entretien prétendant retracer le parcours d’un ovni littéraire et nous assurant que si les élites dédaignaient Cyril Hanouna, c’était parce qu’elles … méprisaient la France populaire, Christophe Barbier ajoutant que des raisons plus intellectuelles avaient motivé son choix et parmi elles, l’idée de se pencher sur les aspirations de la France jeune et populaire qui regardait TPMP, le même Christophe Barbier concédant  que l’animateur incarnait l’avènement du sensible sur la raison […] et qu’on pouvait le prendre comme … un progrès de l’humanisme,  

Alors que Marlène Schiappa, ministre, considère lesdites émissions[3] comme un canal pour s’adresser aux jeunes ,

Alors qu’un sondage IFOP-L ’Express illustre l’image d’une émission plus politiquequ’on ne croit et celle d’un animateur quasi inexistant chez les cadres ou les professions intermédiaires mais très présent dans les catégories populaires et chez les moins de 34 ans, collant à leurs attentes,

Alors que Cyril Hanouna en personne, via une interview consentie à Paris Match le 30 septembre dernier, révélait son projet de lancer une émission politique, Un plateau en forme d’agora, quatre éditorialistes, deux cents Français et un candidat. Voici le format de la nouvelle émission politique bientôt à la grille de C8. L’émission s’appellera Déjà à vous de voter et devrait commencer prochainement, les trois premières émissions étant déjà programmées puisque trois candidats étaient partants pour se confronter au public de C8,

Alors que d’autres s’inquiètent de la vision du monde que porte le présentateur auprès de ses téléspectateurs, Michel Onfray en personne, après avoir lu le livre de Barbier et Hanouna, écrivant une lettre ouverte à l’adresse de l’animateur qu’il déglingue en lui expliquant qu’il ne croit guère, lui, que l’avis d’un quidam équivale celui d’un expert sur son sujet d’expertise, lui reprochant de s’aventurer sur tous les sujets avec ses chroniqueurs qui ont un avis sur tout, tout le temps, et qui s’autorisent, du simple fait qu’ils sont chroniqueurs, de le donner sans avoir travaillé les sujets dont ils parlent et qui sont pourtant infinis… et fustige l’idéequ’il invitât in fine à voter pour les bons contre les méchants,

Voilà Stéphane Encel, Professeur en sémiologie et historien des religions,  qui publie aux Editions David Reinharc “Ce n’est pas que d’la télé ! Ce que le système Hanouna dit de la France” :  Alors qu’il fait paraître un livre au titre symptomatique “Ce que m’ont dit les Français”, il est temps de se demander, à la manière du Roland Barthes des “Mythologies”, ce que Hanouna dit de la France du XXIe siècle. Car en dépit de ce qu’il clame rituellement à la fin de chaque émission, la télé ce n’est pas que de la télé, prévient la Quatrième de couverture.

Voilà Stéphane Encel qui nous livre une analyse approfondie d’un système dont le maître du jeu, à mi-chemin entre le bourreau et le gourou, manipule les biais cognitifs pour accoucher de sa vérité faite d’une pensée simpliste et vide de culture.

Une Précaution oratoire vient nous rappeler qu’il n’est jamais simple de publier à charge sur Hanouna : peur – souvent irraisonnée – de l’influence médiatique, des humeurs tempétueuses, des puissants protecteurs de notre homme qui s’est, en une décennie d’existence télévisuelle, rendu incontournable, jusque dans les débats politiques et sociétaux, et auquel tous les avenirs semblent possibles.

Après avoir rappelé le surprenant paradoxe résidant dans le fait qu’aucune étude sur le fonctionnement même de ces émissions n’ait été réalisée, alors même que l’animateur symbolisait un changement complet de société depuis deux décennies, Encel estime qu’il est temps de se demander, en mettant en pratique ce que le Roland Barthes des Mythologies appela le flair sémiologique, ce que Hanouna dit de la France du XXIe siècle.

Six chapitres, après une Entrée en matière et une Introduction, précèdent une conclusion intitulée La mise en abîme d’un slogan noir – blanc et une Ouverture titrée Et si ?…

L’auteur va analyser ce Big Brother omniprésent, omnipotent, omniscient et insaisissable, avant de se pencher sur les postulats de ses émissions et leur scénarisation, et de se consacrer au monde de Hanouna, à sa langue, à la dynamique Hanounesque.

Stéphane Encel dit avoir eu l’idée de ce livre après avoir regardé longtemps les rediffusions du matin de TPMP, alors qu’il donnait des cours de sémiologie dans lesquels, pour avoir remarqué que tout décryptage semblait ramener, à un moment ou un autre, à Hanouna, il le citait naturellement et régulièrement pour évoquer la télévision, les réseaux sociaux, l’horizontalité de la société.

Après un temps où les éditeurs lui rétorquaient que personne ne lirait un livre sur ce trublion, cette comète télévisuelle, ce phénomène, cet animateur hystérique oscillant entre le graveleux et le vulgaire, les mêmes entendirent que c’était le fonctionnement de ces émissions qui était réellement important pour comprendre les évolutions et changements sociétaux : Hanouna était devenu incontournable. Mieux : il s’était rendu incontournable, avec son Balance ton poste où il invitait le personnel politique, accompagnait les Gilets jaunes, interpellait les responsables, agitait menaces et promesses, menait avec une ministre Le Grand Débat, faisant qu’il serait un élément important de l’année électorale : pour preuve, et même pour hyper preuve, ladite ministre n’avait-elle pas suggéré son nom pour animer le Débat présidentiel de l’Entre deux tours car elle le trouvait … légitime.

Juste une aventure sémiologique, modeste, mais placée sous le patronage de Barthes, Baudrillard, Klemperer : Stéphane Encel admet avoir voulu autopsier ce que le journaliste Rachid Arhab qualifia de système diabolique, système diabolique qui fonctionnait parfaitement, jusqu’à envahir tous les espaces de la société, jusqu’aux interstices, démontrant ainsi sa porosité totale et son horizontalité.

L’auteur se souvient qu’en découvrant, adolescent, Thierry Ardisson, il eut l’impression qu’un monde nouveau s’ouvrait à lui, un monde drôle, intelligent, impertinent. Il évoque encore dans un autre registre Laurent Ruquier et sa bande de chroniqueurs, lesquels débattaient de tous les sujets. Marc-Olivier Fogiel et ses acolytes… Et puis enfin Christophe Dechavanne et ses émissions déjantées et polémiques : Autant d’années de formation aux ressorts de ce que devenaient les médias, qu’il commençait, fort de sa formation universitaire, à décrypter.

Le ton change : Encel se fait observateur de ce rendez-vous, de sa montée en puissance, de sa systématisation, et évoque son affinage telle une arme de plus en plus perfectionnée, qui devint d’une redoutable efficacité, une machine de guerre, avec le porte-avions Hanouna, les chasseurs-bombardiers chroniqueurs, et la flottille des fanzouzes.

Il se souvient encore comment s’atténua peu à peu le respect qu’il continuait à porter à cette forme de sincérité enfantine: Ces dernières années, un Golem s’est levé. Une créature télévisuelle, façonnée par son public, ridiculise, humilie, raille dans une scénarisation orwellienne sa troupe fidèle, tel un Big Brother dur et rassurant à la fois, veillant sur sa cour et sur son peuple.

C’est à ce moment-là que l’auteur quitta son habit de téléspectateur pour se faire une sorte d’analyste : toute la mécanique commençait en effet à se révéler à ses yeux exercés de façon flagrante. Fit alors son entrée une gêne fréquente puis une gêne quasi constante, lesquelles devaient se transformer et aboutir à … une forme de haine : Envers Lui, Eux, moi… in fine un gigantesque écœurement, alors même que l’objet d’études lui apparaissait passionnant comme point d’analyse de la société. D’autant qu’avec sa nouvelle émission, Balance ton poste, l’animateur entrait de plain-pied dans la sphère politique et sociétale, appliquant presque les mêmes ressorts que dans TPMP.

Stéphane Encel, y voyant un système, une mécanique générale déclinée dans ces deux émissions phares, se proposa d’en faire,  par le biais d’une analyse sémiologique, le décryptage.

Comme chez Orwell, dans son La télé, c’est que de la télé, il fallait bien sûr lire le contraire : Ce n’est pas que de la télé : C’est le reflet criard d’une société en pleine mutation, qui souvent ne sait que faire de tant de réseaux sociaux, de nouvelles technologies, d’informations en continu, puisque le sens en est largement flouté, si ce n’est absent.

Big Brother vous regarde, répétait la légende : Orwell ouvrait un premier chapitre sur ce Big Brother omniprésent, omnipotent, omniscient et insaisissable, au sujet duquel un journaliste dès 2012 avait écrit que le véritable concept, c’était simplement Hanouna, notre homme étant au cœur du système que l’auteur se proposait de décrypter, mais encore à son origine, puisqu’il l’avait créé de toutes pièces : le concept de TPMP n’était-il pas décrit comme quelque chose où tout pouvait arriver, tout pouvait se construire sous nos yeux, ou se … déconstruire. Nulle barrière, nul tabou télévisuel, nulle limite financière. Et tout cela en direct, ce qui est une marque de fabrique et quasiment l’alpha et l’oméga de ce système. Le direct lui-même, garantie supposée d’une authenticité, était en réalité une construction plus perverse que les émissions montées.

S’il annonce qu’il ne s’attardera pas sur la psychologie de Hanouna, estimant qu’il y a peu de différence entre la personne et le personnage et par ailleurs, son projet se limitant à décrypter ce qu’il montrait, -un système construit comme un Centre Pompidou où la plupart des rouages sont volontairement et outrancièrement exhibés -, l’auteur cède à la tentation de nommer Big Brother ce Baba, émanation d’un grand frère, ce frérot qu’il répétait ad nauseam.

Comme Big Brother, Hanouna est craint et aimé, il rassure autant qu’il fait peur. Se rappelant constamment aux yeux et aux oreilles de sa population via les affiches, les portraits, il est sur-représenté : sur C8, où il fut présent en 2020 de sept à huit heures par jour et plus de 10 heures le jeudi, mais encore produisant, s’invitant où il désirait, intervenant et interférant sur d’autres émissions et d’autres tournages, n’hésitant pas à téléphoner pendant le direct : Il est là, partout chez lui, jusque sur le Web où il y a toujours une actualité Hanouna, irriguant les réseaux sociaux desquels il a fait un des leviers du système : d’Instagram à Twitter, Baba est là, en lien constant avec son public.

Nous voilà face un système tentaculaire : dès qu’un sujet enflamme Twitter, Hanouna, tel l’agent Smith de Matrix devenu système lui-même, ne peut plus rester hors du champ du débat quel qu’il soit. Mieux : il veut en prendre la tête. Pour lui, TPMP doit se saisir de tout, jusqu’aux sujets du bac, à propos desquels il annonce tout faire pour trouver des solutions dès le lendemain, ajoutant : Ce serait top que le ministre vienne sur le plateau face à des étudiants. Le ministre décline-t-il l’invitation ? Hanouna rétorque : Ne vous inquiétez pas, on gère le dossier étudiants : il est celui qui incarne les intérêts du peuple, qui bouscule les élites, au point que in fine à la fin de son émission il aura réussi à avoir au téléphone et en direct ledit ministre: le voilà devenu protecteur des lycéens après l’avoir été des Gilets jaunes et de tant d’autres.

Omnipotent ? Il l’est aussi, le focus étant toujours sur lui. Lui qui peut se permettre toutes les blagues, toutes les répliques cinglantes, lui qui peut se moquer unilatéralement de tous. Lui qui est devenu un roi intouchable, couvrant de chocolat jusqu’au directeur des programmes de C8, un peu obligé d’en sourire. Qui a déjà menacé de ne pas rendre l’antenne , porté par un sentiment de surpuissance par rapport à la chaîne qui l’emploie.

Ses traits d’humour, souvent graveleux, sont énoncés dans un langage mi banlieue, mi-orientalisé, ponctués de frérot et de mots en arabe. Tout cela face à des chroniqueurs gloussant.

Grâce à son réseau, notre homme peut contacter ou faire venir à peu près n’importe quasiment à la demande : Il appellera l’ancien président Sarkozy pour son anniversaire et récidivera avec le président Macron. Parallèlement, il s’est fait médiateur, porte-parole, et entend tout régler, tout gérer, tout contrôler. Le voilà encore sauveur, justicier, thaumaturge. Offrant de somptueux cadeaux à des familles défavorisées : c’est qu’il peut tout faire, tout exaucer.

Omniprésent et omnipotent, il lui fallait être omniscient ou tout au moins en donner l’impression : Lui qui valorise dans TPMP une forme d’inculture veut mener les Grands Débats de société dans Balance ton poste : lorsqu’il ne sait pas, ou qu’il est mis en difficulté, il met fin à la conversation par un : Je ne suis pas d’accord. Vous dîtes n’importe quoi : Il n’y a pas d’appel ou de cassation, c’est une sanction nette et humiliante. Il est tout à la fois juge, partie, avocat, procureur, et bourreau : intimant à une invitée qui ne se rendait pas à son avis de … quitter le plateau.

Tel un grand marionnettiste, il semble être le seul à connaître la pièce qui se joue : Il a été le premier à recevoir régulièrement des Gilets jaunes, ? Sans doute avait-il compris avec habilité qu’il était important pour lui de s’associer à un mouvement sociétal et politique.

Charlie hebdo fut le seul à dénoncer ses effets sur les jeunes. Hanouna prit plus tard, sans la moindre dignité, sa revanche lors du procès des assassins des dessinateurs, annonçant sans que la question lui fût posée, que l’avocat du journal l’avait contacté avant la tuerie en vue d’une éventuelle reprise de l’hebdomadaire en difficulté financière, reprise qu’il déclina parce qu’il était en désaccord avec la ligne éditoriale.

Il faut donc attendre Hanouna dans la course présidentielle, d’une manière ou d’une autre, conclut l’auteur.

Les postulats des émissions de Hanouna

Celui qui appelle Vincent Bolloré son grand frère et évoque sa fidélité indéfectible, alors qu’elle pourrait s’apparenter à quelque … servitude, joue dans ses émissions sur l’utopie de la transparence totale : Nous on vous dit tout. Telle est sa profession de foi, un des socles de ses émissions et du système. Cet idéal de transparence ne peut être qu’un faux, aboutir au totalitarisme, à une nouvelle religiosité s’apparentant à une vision binaire du monde avec d’un côté, l’information et la lumière, et de l’autre, la fermeture et le mal.[4] La transparence n’est jamais possible, nous rappelle Stéphane Encel, elle n’est pas signe de vérité, elle est une posture trompeuse, elle ne porte pas les valeurs démocratiques.

Le triomphe de l’horizontalité sur la verticalité : pour comprendre Balance ton poste

L’auteur nous rappelle à raison que jadis la société se fondait sur une verticalité plus ou moins stricte et que l’essentiel résidait dans des situations de face-à-face. Au lieu de cela, dit-il, nous voyons aujourd’hui se former des triangles dans lesquels les médias viennent jouer leur rôle : le monde est devenu, de linéaire qu’il était, trinitaire : les médias, au milieu, deviennent l’essentiel. Ainsi, la transmission, qui était verticale et qui rendait par exemple la fonction présidentielle sacralisée, est devenue horizontale, faisant qu’un Hanouna s’est évidemment fait fort de recevoir celui qui donna une gifle au Président et fut condamné pour cela.

Encel nous explique que la télévision pédagogico-paternaliste, qui cloisonnait les  domaines et la hiérarchisation de l’information et faisait exister des émissions politiques, des émissions littéraires, des émissions de variétés, a disparu à partir de 1981 et qu’on vit alors sur un même plateau des écrivains, des artistes, des acteurs, des starlettes et des politiques : La politique, à ce jeu, était perdante dans tous les cas et lorsque Michel Rocard dut se plier à la Question Ardisson  de savoir si Sucer c’était tromper, la fonction était de facto dévaluée. Fallait-il aller à ces émissions ? Le pire était de ne pas être vu et donc de ne pas exister médiatiquement : l’ère des communicants commença. Tout tendit à s’amalgamer. Informations, divertissement, réalité, fiction… depuis, la plupart des émissions mélangent les genres et la définition-même du journaliste s’est dissoute et brouillée : le fait de voir des politiques sur des plateaux de variétés avait dénaturé la politique. Tous les avis se valaient, tous les invités étant à égalité sur tous les thèmes.

L’auteur conclut avec Bourdieu qu’on était passé de la vision pédagogico-paternaliste à la circulation circulaire de l’information, activée par la soumission démagogique aux goûts populaires.

Au fil de la lecture, on comprend combien ces quelques rappels sont indispensables pour remettre Hanouna à sa place, dans un contexte plus large, la quintessence de cette lame de fond irréversible se trouvant, selon l’auteur, chez lui. Lui qui, invitant des hommes et des femmes politiques à TPMP, et faisant connaître aux jeunes ces personnalités, avait également fait que tous les sujets, politiques ou sociétaux, étaient débattu par des chroniqueurs sans formation : c’était donc l’avis du tout-venant, du simple français… Le principe était si simple : un sujet fait-il débat ? Deux Camps s’érigent: oui ou non. Comme si tous les avis se valaient, comme si tous les débats étaient possibles, on se demandait si l’avortement était un droit, si la burqa devait être interdite dans l’espace public, si on devait réguler le flux d’immigration, on s’interrogeait sur la liberté de caricaturer…

Pourquoi pas, dit l’auteur, un débat Pour ou contre le racisme, ou Pour ou contre l’existence des chambres à gaz.

On ne sait plus si le pire fut atteint lors de l’interview consentie par JM Le Pen ou lorsque Hanouna invita Belattar, humoriste devenu caricature qui se moqua de l’accent de l’imam Chalghoumi, déclara qu’Il n’était pas Charlie, qu’Il n’était pas Nice, et alla jusqu’à qualifier les meurtres d’Ilan Halimi, du père Hamel et de Sarah Halimi de … faits isolés … Comment penser qu’au terme d’un seul de ces débats, un spectateur ressortît plus instruit… avec de meilleurs arguments… avec des pistes de réflexion…

La scénarisation des émissions

Le choix même des chroniqueurs par Hanouna raconte ce système : de même que le catch était un spectacle excessif, comme l’expliquait Roland Barthes, de même chez Hanouna l’excès est une pierre de fondation. Lui est le maître de cérémonie, le justicier régulateur, face à ses chroniqueurs – comédiens – catcheurs. Le téléspectateur est le témoin et l’acteur de cette scène théâtrale.

L’auteur explique que quand bien même les téléspectateurs savent qu’il s’agit de télévision, ils sont désormais éduqués à ne plus connaître de frontières, ne plus savoir où est le vrai, où la parole légitime, où est l’intimité, où est la sphère privée. Le problème est que les téléspectateurs, par confort, sont les complices de ce système… Le téléspectateur ? Il s’agit de son public, ses fanzouzes constamment sollicités sur les réseaux sociaux, un système clos, finalement, qui s’auto – alimente.

Hanouna ? Il a aussi inventé le Conseil de classe. Face caméra, un chroniqueur-élève est convoqué. Baba est derrière lui. Les juges sont tout autour. Ils lui décernent une note. Le chroniqueur ne peut répondre à ses juges. Visuellement, il est plus bas que les autres, sur une petite chaise étroite. Mais Sachez que l’objectif de la chose est de renforcer le sentiment de communion, d’adhésion, de faire progresser le chroniqueur au sein de l’émission et du groupe, grâce à la bienveillance supposée de ses collègues. On se croirait dans les plus mauvais cauchemars managériaux, conclut l’auteur… mais c’est également un rite d’initiation, l’épreuve du feu, une forme de bizutage… L’humiliation théâtralisée est partie prenante de TPMP. Hanouna face à un invité lâchera: Ils vous ont mis dehors comme une merde… Qui c’est qui est venu en juillet dans mon bureau comme une pleureuse ?…

La transparence, la vérité, l’évaluation, la compétition, la participation des fanzouzes, le juge suprême Hanouna, le téléspectateur témoin et acteur, font de tout cela une ultime télé-réalité. Et l’exemple du Conseil de classe de Rachid Arhab montre à quel point la chose est douloureuse et humiliante…

Un chapitre est consacré au monde de Hanouna

Avec ou contre Nous, Darka ou Rassra. Un monde binaire,  dans lequel le public est le client : les clients n’ont jamais tort. Ils sont finalement les seuls patrons de Hanouna.

Le vocabulaire, la langue, le système de Hanouna poussent en effet à rendre ce monde binaire, à le simplifier à l’extrême, en éliminant les nuances et les aspérités. Comment en effet rendre compte de l’extrême complexité du monde avec le manichéisme Darka ou Rassra,  le Pour ou Contre, tant la pauvreté de la pensée amène à des avis extrêmes et tranchés. Et pourtant, Moix a bien quitté Ruquier pour rejoindre… Hanouna… Hanouna chez qui l’inculture est valorisée comme une nouvelle norme. Stéphane Ancel rappelle comment le totalitarisme nazi, comme les autres totalitarismes, traquait les intellectuels… et comment en France, le populisme se leva contre l’intellectuel… Hanouna, écrit-il, qui provient d’un milieu bourgeois éduqué, est capable de déchirer en public un livre parce que le livre doit échapper à une forme de sacralisation stérile… Pour lui, toute idée doit être simple et courte : c’est Twitter à la télévision… L’intello se fait chambrer sous les vannes de Hanouna. L’intelligence plie devant la dérision.

Cet anti-intellectualisme peut devenir violent : et c’est le cas notamment lorsque Hanouna s’en prend aux journalistes, une caste élitiste selon lui… Dans sa langue, ils sont qualifiés d’abrutis, au même titre que les délinquants ou les terroristes… Poujadisme télévisuel, conclut l’auteur.

L’autre ennemi de Baba est constitué par les bobos, associés, eux, à une forme d’élitisme, de parisianisme. De fait, ils sont surtout ceux … qui critiquent Hanouna.

On se souviendra comment en 2016 Michel Onfray critiqua vivement, entre autres, le modèle Hanouna et son influence auprès de la jeunesse, la privant de rêve. Réponse de Hanouna ? Il ne répliquera pas à un islamophobe notoire qui a dit d’énormes conneries.

Au moment où sortirent les dessins et les textes immondes, racistes,  antisémites et homophobes de Yann Moix, Hanouna consacrera 10 minutes à la question : Peut-on pardonner à Yann Moix ? Oui ou Non. Cette séquence qui sera, selon Encel, qualifiée par de jeunes étudiants comme quelque chose qui jette de l’huile sur le feu, reflète en réalité ce que font Moix et Hanouna, l’un par calcul retors, l’autre par inculture et cupidité.

La Langue de Hanouna. Un nouvel orientalisme : la mise en scène de l’arabité

Hanouna se plaît se plaît à mettre en avant sa culture arabe/ juive, lui qui se décrit comme un oriental cool et influenceurmais la vision qu’il donne de L’Orient est un fantasme. C’est un Orient de pacotille, gentiment kitsch, comme la grande main de fatma qu’il arbora en 2019, censée gommer tous les problèmes et donc toutes les problématiques…

Bienvenue dans la langue de Hanouna. Dans le système sur lequel reposent les émissions de Hanouna, lui en constituant l’essentiel, reste la langue, qui crée une façon de penser et de voir le monde. Car la langue façonne l’esprit… Tout est clair chez Hanouna, par les différents aspects du langage qu’il emploie. Et d’abord les titres de ses deux émissions phares.

Incroyable !  Magnifique !  De ouf ! Je t’aime ! Enumérer les superlatifs serait pénible, la langue de Hanouna est sans nuance et sans concession. Il n’y a que des Chéris et des Frérots dans le monde de Hanouna, ou, à l’opposé, des … Abrutis ou des Connards. Darka ou Rassra. Cette malédiction du superlatif, comme l’a nommée Klemperer, nivelle tout et ne laisse aucune nuance.

Si la langue de Hanouna ne peut qu’aller ad nauseam dans la surenchère et la démesure, elle dévaste également le terrain de l’argumentation, puisqu’en effet il n’y a rien à attendre de ces superlatifs, sauf à porter aux nues ou à détruire. Rien à construire, rien à démontrer. Il utilisera à l’envi le Parler banlieue, il tweete en verlan grossier, avec moult insultes, utilisant un phrasé à l’accent bled/Sentier : c’est qu’il veut parler comme son public, mais aussi comme les joueurs de foot, les rappeurs, les Youtubeurs, certains humoristes… Alors des dizaines de mots arabes agrémentent son vocabulaire. Des mots témoignant toutefois d’une sous-culture, l’animateur ne parlant pas arabe, et ces mots étant … du folklore d’importation, employés par beaucoup de jeunes d’origine maghrébine et populaire, plutôt de banlieue, qui sont entre deux cultures, et cette sous-culture à la mode est très contagieuse : tous les chroniqueurs ont dû apprendre sur le tas…

La dynamique hanounesque

Dans la novlangue hanounesque,  fanzouse occupe une place centrale. Le lien entre Hanouna et ses fanzouzes est puissant et fusionnel : Lui leur doit tout. Il le sait. Le leur montre. Ils sont son Premier Cercle, une communauté, une famille, de laquelle il serait le parrain. Le chef incontesté. Un peu le gourou.

Eux ? Ils sont comme une armée de l’ombre prête à se mettre en branle pour défendre son chef au besoin. Un peu ses chiens de garde. Violents, ils sont souvent utilisés comme arme de dissuasion ou de contre-attaque. 

Hanouna, pour eux, a lancé les sondages de fin de sujet : chaque soir, le public vote. Et le lendemain, le public a raison, disait en 90 Étienne Mougeotte, responsable des programmes de TF1. Tout démocrate, écrit l’auteur, frissonne à ces mots et à leur résonance, et l’on se demande, si l’on prenait les décisions en fonction des sondages, en quelle année la peine de mort en France aurait été abolie

Y a-t-il une pensée Hanouna ?

Pour conclure, l’auteur se demande s’il y a une structuration de la pensée dans l’ambition et dans les opinions Et si Hanouna a des opinions… Ses débats in fine ne parle jamais du fonds. Et Stéphane Encel conclut sur l’inconstance de Hanouna concernant les questions … intellectuelles…L’auteur conclut qu’il ne peut s’empêcher de revenir à Orwell, et à son noir-blanc  : brouiller tant les mots, les concepts, que la liberté devient l’esclavage, que la paix devient la guerre… La télé, conclut-il, ce n’est justement pas que de la télé ! Ce que dit et fait Hanouna, pour toutes les raisons que nous analysons, à une importance parce que ça impacte notre société. Hanouna peut nous faire réfléchir à ce que doit être une démocratie, c’est déjà ça… conclut-il.

Une ouverture titrée Et si ? … » clôt l’analyse, parle de populisme, cette puissante lame de fond qui bouscule et transforme les démocraties, et frémit à l’idée que l’animateur s’engageât peu ou prou dans la course électorale : Quel que soit le résultat, finalement le pire est cet engagement politique, et ce qu’il dit d’une société prête à tout pour échapper à l’offre raisonnable qu’on lui propose. Hanouna s’invitant dans la présidentielle devient un cauchemar, la possibilité d’une véritable catastrophe politique et citoyenne.

L’ouvrage de Stéphane Encel ? Sans attaque personnelle et sans diffamation, un décryptage du fonctionnement du système de l’animateur, lequel ne se déroberait pas si une invitation dans TPMP lui était lancée.

Au final une réflexion remarquable sur ce que le système Hanouna révèle tristement de notre époque.


Stéphane Encel. Ce n’est pas que d’la télé ! Ce que dit le système Hanouna de la France. Editions David Reinharc. Octobre 2021

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[1] https://etpaf7.wixsite.com/website

[2] Fayard

[3] L’Express

[4] P. Breton, le culte de l’Internet, PP. 54 et 56.

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3 Comments

  1. Excellente analyse d’un texte qui reste à lire.
    Madame Cattan nous intéresse avec justesse aux méandres de la sémiologie télévisuelle française

    Pierre Saba

  2. Bel article, Sarah Cattan.
    Même si le crédit principal en revient à l’auteur du livre Stéphane Encel (à ne pas confondre avec son frère Frédéric, géopolitologue « vu à la télé »).

    MAIS n’exagérons rien. Le phénomène d’une « comète médiatique » du « infotainement », à cheval entre la politique, l’idéologie et le cirque, n’a rien de nouveau.
    Sont cités les enfants de Coluche : Thierry Ardisson, Laurent Ruquier, Marc-Olivier Fogiel, Christophe Dechavanne… Liste non exhaustive. TOUS sont restés in fine à leur place.

    Pourquoi Hanouna connaitrait-il un autre sort ? Si c’est le cas, l’ombre portée de Vincent Bolloré (que Hanouna appelle « son grand frère ») n’y serait pas étrangère. Auquel cas, pauvre France que le grand Kapital aurait réussi à abrutir.

    MAIS le pire n’est jamais certain. Car, en rétrospective, on pourrait peut-être donner raison à la conclusion rituelle prononcée par Hanouna : « Ce n’est que de la télé ».
    Ce qui voudrait dire que le citoyen dans l’isoloir est d’une autre espèce que l’abruti devant TPMP.
    Et, accessoirement, que le pessimisme d’Encel exprime son mépris à l’égard de ses concitoyens. Non, Stéphane; on n’est pas dupes.

    SAUF que manque à l’appel (absent de l’article et apparemment du livre) le phénomène Zemmour.
    Lui et Hanouna, même combat ? Les deux aspects de la même chose, l’un alimentant l’autre ?

    Vaste sujet. Vaut le détour. Serait-ce le prochain livre de Stéphane Encel ?

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