Nathan Morfoisse-Herszberg. Lettre à Joachim, mon fils

SEPTEMBRE 2021

Alors que s’ouvre le procès des attentats du 13-Novembre, Nathan Morfoisse-Herszberg, qui était assis ce soir terrible en terrasse de La Belle Équipe à Paris et en témoignera à la barre, écrit à son fils Joachim cette lettre, pour le jour de sa circoncision, sa brit-mila. Une lettre pour panser, une lettre pour le passé, une lettre pour l’avenir.

« TU ES UN MENSCH, MAINTENANT »

Cinq mots qui m’ont permis d’économiser plusieurs milliers d’euros en analyse et plusieurs centaines de nuits blanches. C’est la phrase qui a clos la lettre que j’ai reçu de ton arrière-grand-père, un jour de Novembre 2015. Tu ne le connais pas et tu ne le connaîtras jamais ; ton apprentissage débute : tu viens d’avoir ton premier regret sur Terre !

Car, Loulou, c’était une étoile parmi les hommes, une âme forte et indestructible qui m’a rendu solide comme la pierre. En d’autres mots, c’était mieux qu’un tuto YouTube pour comprendre le monde.

Cette lettre, donc, m’a été remise après un soir de novembre 2015 où mes meilleurs amis et moi nous nous sommes fait tirer dessus par des sauvages. Un soir qui a pris l’un de nous et laissé aux autres des blessures inguérissables.            

Les mots de cette lettre étaient pour m’enraciner, m’indiquer la voie et me montrer les terres vertes d’un monde qui peut être merveilleux, me faire tourner le dos aux emmerdes, aux dépressions et aux rues sombres.

Ces mots-là sont gravés en moi, sont entrés dans mon ADN, inscrits à jamais dans mes veines.
On y reviendra…

Mon fils, c’est à présent à mon tour de t’écrire une lettre. 
Tu as seulement quelques jours, donc tu ne pourras la lire que quand tu feras tes nuits et que tu pourras aller aux toilettes tout seul. Dommage pour moi, ce n’est pas pour tout de suite…
Aujourd’hui, c’est le jour de ta circoncision mais aussi le début de ce procès dont tout le monde parle et au cours duquel je vais témoigner.
Ne sois pas surpris, tu verras que la vie n’est qu’une suite de clins d’œil du destin et que le hasard est pour celui qui ne veut pas voir. 
Pardon, je parle déjà comme un prof de philo qu’on n’écoute plus, ça doit être çà la paternité…

Dans ce salon du boulevard Voltaire, sans que tu comprennes pourquoi, on va marquer ton arrivée dans une nouvelle famille et te transmettre toutes ses valeurs par un geste fort.
Au fond de moi, j’attends ce jour où tu me demanderas pourquoi fallait-il t’enlever un petit bout de peau, te voir crier comme un fou, nu comme un vers, pendant que toute la famille mange des boulettes trop grasses ?
La réponse sera que je n’en ai pas la moindre idée ! 
Au même âge je n’ai pas eu la jugeote de le demander au Mohel. 
Mais je sais ce que l’entrée dans cette communauté va t’apporter. 
C’est le plus beau des cadeaux pour t’armer et te construire dans la vie. 
À travers cet héritage qui t’est transmis, tu vas gagner ta place dans un monde que la diversité rend unique.

Mon fils, la diversité est si précieuse qu’elle est jalousée par certains, elle est si belle que beaucoup préfèrent en éteindre sa beauté, parfois même violemment.
Je te rassure, cette diversité viendra également de ton caractère, de tes idées, de tes passions, des jeans troués qu’un jour tu souhaiteras mettre, mais elle viendra aussi de ton judaïsme.

Alors ce judaïsme qui commence par un bout de zizi coupé, 0,01% de peau, il te reste 99,9% du parcours à découvrir.
Qu’est-ce qu’être Juif ?  Ça, je laisse Delphine H t’en parler un jour, car sache que ton père a eu 10,6 au bac et n’est pas très calé avec les mots.
Je peux au moins te dire qu’être juif ce n’est pas une fin en soi, ni même un statut. C’est personnel et ça t’appartient. C’est un cadeau empoisonné ou une bénédiction. 
À toi d’en faire l’expérience et de découvrir ce que j’ai découvert moi aussi 30 ans plus tôt.
Tu verras, le voyage sera semé de questions, souvent sans réponses je te l’accorde, mais ponctué de fierté, d’enrichissement, de transmission et je te rassure de petites enveloppes aussi!

Mais être juif, mon fils, c’est aussi un devoir.
Et là commence une partie de ma lettre un peu moins miss France. 
Un jour, viendront à tes oreilles des mots tristes comme : attentats, camps ouïghours, shoah, génocide…
Ces mots sonnent différents à l’oreille mais ont été inventés par l’homme pour la même raison: la peur de la différence.
Je te l’ai déjà dit, certains hommes n’aiment pas la diversité et souhaitent l’anéantir.

C’est donc ce soir de 2015 que certains, jaloux de cette force, ont perdu les pédales et ont voulu détruire, écraser lâchement des personnes qui, selon eux, ne leur ressemblaient pas. 
Ils ont cru qu’il suffisait de tirer au hasard sur des êtres humains pour ce qu’ils représentaient à leurs yeux, pour éteindre une idée et une des plus grandes forces de l’Homme. 
Eh oui, ces lâches ont tiré sur nous, sur une bande de potes d’origines différentes: serbe, sénégalaise, polonaise, catalane, corse, congolaise, russe, juif, orthodoxe, catholique.

Ton devoir de Mensch, sera de lutter pour garder ce précieux sésame qu’est la différence, pour surtout, toujours, toujours, regarder de l’avant.

Un Mensch ? 
Ça vient du yiddish, une langue que tu n’entendras peut-être jamais mais qui ponctue encore mes weekends lorsque ton arrière-grand-mère me remonte les bretelles.
Mensch, c’est un peu l’oscar des compliments juifs pour un Ashkénaze !
Un Ashkénaze c’est quoi ? Pour simplifier comme tu n’as que quelques jours, c’est un Juif qui pense beaucoup trop et qui mange du poisson froid.

Donc, un Mensch c’est quelqu’un sur qui on peut compter pour agir avec intégrité, force et honneur. 
C’est quelqu’un de bon, qui écoute les autres, qui soutient sa famille et les plus démunis, quelqu’un qui pense aux autres avant lui-même, c’est quelqu’un de solide, qui partage ses savoirs avec autrui, bref c’est un peu un héros.

J’ai reçu cet oscar symbolique de mon grand-père, ce même homme qui l’a amplement mérité un jour d’été 1944 à Annemasse, par le sacrifice de Marianne Cohn.

Je donnerais toute ma vie jusqu’à mon dernier souffle pour être sûr que tu n’aies jamais à vivre ce que ton père ou ton arrière-grand-père ont pu vivre pour recevoir ce mot magnifique.
Mais sois rassuré ! 

Au fond de toi tu es déjà un Mensch, mon fils !
Car tu as une histoire, un passé, depuis des siècles.
Sans le savoir tu existes déjà depuis si longtemps !
Ce n’est donc pas un hasard si se croisent ces événements le même jour.
Ce n’est pas une coïncidence, c’est une pierre d’apprentissage de plus dans ton sac, une pierre qui va t’alourdir un temps, mais qui, un jour, sans que tu t’en aperçoives, deviendra la base la plus solide de ton Être.
Ton apprentissage se fera grâce à cette histoire que tu portes, malgré toi je te l’accorde, mais que tu apprendras à chérir et à en tirer le meilleur.

Pour conclure, mon fils, c’est bien grâce à ce bout de zizi en moins que tu possèdes déjà la première arme du Mensch dans tes toutes petites mains : la diversité !

À tout de suite dans le salon, mon fils !

© Nathan Morfoisse-Herszberg


“Tenou’a, c’est une revue, des ateliers et des espaces d’intelligence collective qui mobilisent toutes les sensibilités du judaïsme. Ici, on questionne, on ose, on crée”.

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1 Comment

  1. Bonjour Nathan,

    Vous léguez à “Mensch” (votre petit Joachim) la sagesse en héritage, ce qui est déjà un immense cadeau. Il comprendra avec le temps qu’il peut y avoir “des arêtes dans le poisson froid” et que certains êtres humains, parfois, croient détenir une forme de sagesse alors qu’ils sont capables d’une sauvagerie monstrueuse. Cette sauvagerie, vous en avez été victime, mais une victime miraculée qui s’apprête à témoigner à la barre de l’horreur qu’elle a vécue.

    Mensch apprendra plus tard ce que veut dire le mot “courage” quand vous lui aurez expliqué celui dont vous, les “miraculés” et les familles de victimes, aurez fait preuve pour surmonter l’Enfer, tout comme les survivants de la Shoah il y a presque 70 ans… Mensch se révoltera alors en réaction à cette barbarie, il vous dira certainement avec candeur que, ce jour-là, y avait pas Yahweh, et vous lui répondrez : “Mensch, ärgere dich nicht” en sachant bien que l’école de “sa” vie fera de lui quelqu’un de juste, car vous le guiderez pour qu’il en soit ainsi.

    Je vous souhaite de grands bonheurs à partager, je vous souhaite beaucoup de courage pour les semaines à venir, et j’adresse mes plus sincères félicitations aux heureux grands-parents de Menschle. L’heureux grand-père se devra d’écrire une suite à son histoire familiale.

    Bien à vous,

    Marianne GARCIA

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