Dominique Itzkovitch. La Vie, La Mort, L’Attente

L’Attente. Dominique Itzkovitch

J’ai mis ce tableau, que j’ai fait avec une certain acte de colère… J’étais en Normandie, j’avais envie de peindre… Mais moi, qui ne peins que par pulsion, sans savoir ce que je vais et veux peindre… J’étais là, face à une belle nature… Mais rien ne venait.

Tout d un coup, d’un geste plus désespéré que désirant, j’ai pris une seule couleur, du gris, traduisant sans doute mon affect, une couleur neutre… Et d’un seul geste, j’ai construit le sujet de la toile.

Comme un cinéaste qui fait un seul plan…

Un bruit monocorde, une toile unicolore…

Un seul geste. Ponctuant le début et la fin…

Et quand j’ai vu le résultat, j’ai eu une certaine satisfaction, celle d avoir mené à bien une action, un acte… Quelque chose avait surgi… Et C’est ce que je recherche… Le surgissement, donc, il y avait eu une parole de l’inconscient, et j’étais là, à tenter de l’interpréter, de lire cet écrit.

J’y ai vu une force et un déclin, un mouvement en liaison avec la nature… Un ciel secoué… Tout semblait bruissement, presque comme une lutte, un passage, une traversée à venir.

Et j’ai vu comme des monts et des creux, des pointes sur ces monts…

Et comme des personnages qui se balancaient sur ces monts, ces pointes, comme dans un manège, en montée, en suspension, presque en position d’acrobates, en déséquilibre…

Tout cela m’a donné l impression d’une ATTENTE.

D’un jour en instance de passer à un autre jour, ce qui s’appelle le crepuscule… Un terme angoissan… On parle d’État crépusculaire, et ça annonce un mauvais passage, comme un déclin.

Et pourtant, un moment n’induit pas forcément un autre moment à venir funeste…

Mais on se le cache et pourtant on sait à l’intérieur de nous qu’il viendra un MOMENT où il n’y aura plus d autres moments.

D’autres espaces de vie, de liberté, que le temps qui est, quand même, compté dans la vie de l’homme, aura une fin.

L’horloge va s’arrêter, mais elle n’est pas cassée… Mais C’est L’Heure…

Le glas va sonner

FREUD l’écrit…  La notion de mortalité n’est pas admise, elle se cache

En fait, on est dans l’APPENSEE…

Et pourtant, il y a des signes comme des paramètres qui ne trompent… L’affaiblissement.

L’homme commence à perdre de sa force, de sa vitalité, comme le passager en déséquilibre dans mon tableau… Il ne s’arrime plus bien à son point d ancrage… Le sol se dérobe sous ses pieds.

La mémoire fout le camp.

Mais de cette mémoire affaiblie, on ne veut rien savoir, on veut oublier la descente, qui parfois devient glissade

Et l’homme attend… son Heure

Je vous parle de ce qui arrive à un être qui m’est cher, mon oncle

Je vous parle de ce qui arrive à un être qui m’est cher, mon oncle.

Il va passer de l’autre côté de la rive… Il le sait.

Il en a choisi le passage, sans passeur.

Il a 93ans, jusqu’à très peu de temps n’avait que quelques signes de vieillissement, mais un cerveau extraordinaire, de scientifique de haut niveau.

Il travaille dans le Comité national sur l’Ethique à Pasteur, en tant que biologiste et par ailleurs, il a, toujours, comme dans tout le côté paternel de ma famille, combattu pour les Droits de l’Homme et pour la Justice sociale, à un haut niveau de responsabilité.

Il vient d écrire un document sur le Fondateur de la Ligue des Droits de l’Homme.

Il était très content d avoir fait cette étude qui était manquante.

Je lui ai, alors, dit récemment: Mais tu aurais du écrire sur toi, sur mon père, sur grand-père.. Vous avez tous tellement apporté de choses positives, tout autant que cet homme formidable.

Je ne saurais pas le faire, je ne connais les dates de toutes vos actions, pour le bien de la société… De la lutte contre l’antisémitisme, contre le racisme, avec la création de la LICA, et du MRAP, à laquelle ont participé papi, Henri KRZYWKOWSKI, puis mon père, et toi aussi, et aussi la création du journal de mon père, LE JACOBIN,, puis de l’UNION PROGRESSISTE, avec le responsable du Mouvement de Libération Sud, D’astier de la Vigerie, et aussi Robert CHAMBEIRON, qui fut Secrétaire National adjoint du Comité national de la Résistance, avec aussi Pierre COT, ancien ministre dans le gouvernement de Léon BLUM…

Et oui, et puis Toi, mon oncle, le seul frère de mon père, Toi JEAN-CLAUDE KRZYWKOWSKI, tu as été, comme ton aîné, de tous les combats, pour émanciper l’Homme lorsqu’il y avait danger de dictature, de manque de liberté, de justice.

Vous fûtes, tous deux, de justes héritiers du siècle des Lumières, des Humanistes, des Esprits éclairés, progressistes, des MENSCH…

Je ne peux que t’associer à mon père, à mon grand-père,.. Et je peux dire que tes filles, très brillantes, ont continué dans ce sens, ainsi nous, ma sœur et moi.

Dans cette perspective, te sentant déclinant, sans q’aucun organe biologique soit atteint, tu as choisi de ne pas livrer un combat pour la vie, mais de partir en connaissance de lendemains qui ne chanteraient plus l’air de la liberté pour Toi.

Les perspectives du climat politique te tracassaient aussi …

La droitisation, voire l’extrême droitisation possible d une FRANCE, pays des Droits de l’Homme, le racisme, l’antisémitisme violent, ne te laissaient pas l’âme en repos.

Il y a peu de temps… Comment va être demain, m’as-tu dit d’une voix faible.

On n’a pu t’opérer à cause de ta faiblesse, et là, la perspective de devoir remettre l’opération d une vessie fragile a été un déclencheur.

Tu as décidé…

Sans donner d’explication… Dans le secret de ta conscience.

Tu ne te laisserais pas dominer par un corps en déclin… Le cerveau a fait ses comptes.

D’ailleurs, la dernière fois où je t’ai eu au téléphone, tu m’as dit..

Vous ne comprenez pas… Je ne peux pas faire mes comptes…

Sur le coup, je t’ai répondu… Mais quels, comptes… C’est facile… Tu as une retraite. Tu n’as pas de comptes à faire.

Après coup, naschklit, comme dit FREUD, Tu voulais sans doute parler de tes comptes à rendre symboliquement à la vie…

Ta dette, face à la responsabilité de l’Homme

Et pourtant, le compte a été fait… Et bien fait.

Mais Tu voulais encore faire tes comptes

Être là, pour faire entendre ta parole d’Humaniste, dans ce mauvais temps qui se prepare.

Je vous parle de ce qui arrive à un être qui m’est cher, mon oncle

Il était responsable de la Ligue des Droits de l’Homme dans son département et il était content d’avoir rallumé la flamme des Droits de l’Homme.

Des jeunes le contactaient…

Il me parlait de la situation… De la vie politique pas brillante. Pour la gauche… Il était, comme moi, inquiet… Il fallait trouver des possibilités pour faire barrage à l’extrême droite.

Mais les partis traditionnels de droite et de gauche étaient dans un tel déclin.

Il a tout analysé.

En homme digne, il a décidé de se coucher, et d’attendre.

Il ne pouvait plus ou ne voulait plus manger. Il régurgitait les aliments… Ne pouvait plus digérer, avaler ou alors a-t-il agi de sang froid… Ne plus rien laisse passer… Comme le fait un anorexique?

Il ne répondit pas, se tut.

Il passe, actuellement, ses journées et ses nuits, dans le seul état d’être gisant… Celui qui a décidé de se taire.

Le silence s est installé.

La faiblesse a pris toute la place, celle de la Vie qui se remet en question.

A quoi pense-t-il…

Il sent la tristesse de son entourage…

Il l entend.. Mais n y répond pas

Il défend son droit de non-réponse.

Il défend sa liberté.

La liberté de l’Homme, la dignité de l’Homme.

Comme toujours…

Pas de passeur, pas de médicament…

Un jour viendra où le Passage se fera de lui-même sur l’autre rive.

Il est rationaliste, cartésien, humaniste…

Il sait, alors, que l’âme sera là, dans ceux et celles qu il a aimés, et qui le continuent…

Alors, la vie, la mort, il sait que c’est un lien entre ces deux réalités, et que l’Homme est tiraillé… Et suspendu, comme sur un fil, entre les deux, et que parfois, le fil se casse, et penche vers un seul côté…

Mais Delphine HORVILLEUR parle de ces pointes acérées que vit Moise quand il arriva vers DIEU.

DIEU disposait des lettres sur ces pointes.

Quand Moïse se résolut à mourir, Dieu lui aurait demandé d’aller sur une montagne, à la pointe du mont dit Nebo, d’où il pourrait observer la terre promise…

Delphine HORVILLEUR écrit que le nom de cette montagne peut venir, en hébreu, d’une racine signifiant prophétie… A moins q’il ne soit une référence à une divinité mésopotamique, le, dieu Nabu, Dieu du savoir et de l’écriture…

C’est donc sur ce mont que MOISE vit DIEU, occupé à dessiner sur les lettres de la THORAH des petites pointes.

Et MOISE demanda: Pourquoi perds-tu ton temps à faire ces fioritures, au lieu de donner aux hommes la Thorah dès maintenant ? Et DIEU répondit:

Sache qu’un jour, un homme viendra au monde, capable d’interpréter chaque pointe, de commenter et de proposer des lectures magnifiques au sujet de chaque branche, chaque pointe sur ces lettres…

MOISE supplia DIEU de lui faire rencontrer ce prodige.

Et L’ÉTERNEL lui dit: Retourne-toi

Et MOISE le fit et fut transporté, des siècles plus tard, dans une maison d’études où le Le Rabbi AKIVA expliquait le sens de chacune de ces pointes au sommet des lettres… C était la SAGESSE, qui fut, un jour, donnée à MOISE, au mont Sinaï, pour que MOISE fût apaisé, et puis accepte la mort.

J’y vois une belle histoire concernant la RÉVÉLATION, dans une perspective religieuse, et de la pensée juive, plus généralement, car il est question de lettres, de l’écriture, et du savoir.

En cela, c’est une belle manière de bien recevoir l’idée de mort comme inscription d une vie consacrée non seulement à la réception de l’autre, mais aussi au savoir comme donnée essentielle à l’Homme.

En ce domaine, le peuple juif a été le premier à recevoir ce don…

Je salue ce lien comme une transmission dont ce cher oncle, sur le chemin du départ, peut être assuré d’avoir été largement doté, toute sa vie durant… Et je le laisse écrire ces dernières lettres sur le Livre de la Vie, en sachant q’elles auront la sagesse du Scientifique et du Mensch qu il a été…

© Dominique Itzkovitch

Le 8mai 2021

Lettre à mon oncle

Tableau L’ATTENTE. Ou les Lettres aux pointes de l’ATTENTE de lecture

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