La chronique de Nickie Caro Golse. “La Sidération”, de Laurence Benaïm

“Sidération”: anéantissement des forces vitales, se traduisant par un arrêt de la respiration et un état de mort apparente.

Synonyme: hébétude

 C’est bien en cette disposition que se trouve Laurence Bénaïm, la narratrice, en découvrant, à la mort de sa mère Nicole, le “livre de souvenirs” laissé par celle-là dans son appartement. Un livre dont Laurence n’a jamais eu connaissance et dans lequel Nicole raconte son histoire. Nicole, cette mère étrange et lointaine, taciturne, coléreuse et secrète, elle qui se donne entièrement à ses patients de l’hôpital et ne s’occupe guère de ses deux enfants, ne leur offrant qu’un visage fermé, révèle dans ces écrits intimes tout un pan d’une vie tenue soigneusement secrète : elle fut une petite fille cachée durant la guerre, au fin fond de l’Yonne dans une ferme crasseuse, sous la férule d’une Thénardier revêche, sale teigne dont elle subit les incessantes brimades. Jamais elle n’évoquera ces années de plomb…

 Durant cette période si triste, si solitaire, si cruelle, Nicole ne cesse de songer à ses parents restés à Paris, protégés par un policier ami de leurs voisins. Elle gardera, tout au long de sa vie, cette souffrance tatouée au fer rouge dans son coeur de petite fille.

Sont-ce les raisons qui lui ont forgé cette armure d’acier froid, cette impossibilité de tendresse envers sa fille?

 Laurence Benaïm dessine un patchwork spatial et temporel sur lequel dansent les ombres familiales, celle de son père, médecin séfarade et de sa grand-mère-gâteau qui la console… un peu… cette grand-mère qui ne sut apporter aucune chaleur à Nicole lorsq’elles se revirent.

 Le lecteur se promène du Paris occupé au bourgeois XVIIème arrondissement, d’Oran à la campagne boueuse. Sur chaque méandre de cette mémoire en quête se greffe d’inquiétants secrets de famille.

 En filigrane de tout le roman se tisse une dentelle sanglante: celle  des douleurs intimes enfouies au tréfond de l’ âme, la sienne, celle de sa mère, celle de toutes ces familles juives exilées, déportées, décimées.

Avec une sensibilité portée à l’incandescence, avec une émotion qui fait trembler sa plume, la narratrice ouvre les tiroirs aux secrets de l’armoire-mémoire et fouille les âmes martyrisées hantées par la plus universelle, la plus terrifiante des questions humaines: Est-il possible de se réconcilier avec nos morts, avec nos mères?

La Sidération. Laurence Benaïm (Stock. Janvier 2021. 283 pages

© Nickie Caro Golse

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