Michèle Chabelski. Souvenirs, Souvenirs (XXIV)

Bon

   Samedi

      Résumé des épisodes précédents

    Les Cohen sont rentrés de vacances.

Bronzée, mais patraque, irritable, Michèle se rend compte qu’elle supporte assez mal le décalage horaire…

  Absorbés par leur travail, ils préparent néanmoins activement la célébration de leur dixième anniversaire de mariage.

  Paul a proposé une interruption de la course au bébé, et d’oublier médecins, seringues et thermomètre dont les images lui parasitent l’entendement.

 Michèle vient de découvrir l’adresse de celui, non mais là c’est sûr, c’est un génie, qui va enfin donner vie à ses espoirs mille fois déçus…

Rendez-vous est pris quelques semaines plus tard. Elle frétille d’impatience, sentant intuitivement que celui-là, bon je dis rien, mais je sens bien que celui-là…

  La suite

    Son malaise post Tropiques s’éternisant, elle se propose de consulter un médecin spécialisé dans les maladies tropicales.

  T’as ptet une gastro, tout simplement, souffle une copine.

  Une autre glisse Fais un test, tu verras bien...

  Un test de grossesse ?

   C’est comme pisser dans un violon…

Sauf que là tu pisses…

  Entre filles, on se la joue langage libéré, faudrait que vous insistiez vraiment lourdement pour que je vous donne des exemples, mais parfois on cherche un autre mot pour chat et puis bah on cherche plus et on appelle un chat un chat…

  Avec des copines médecins qui ont fréquenté les salles de garde en lieu et place des rallyes huppés, l’anatomie et le fonctionnement organique ne s’encombrent pas de circonvolutions lexicales de couventines rosissantes…

  Bref…

  Tu fais un test et tu vois…

    Je fis un test et je vis…

   Enfin, je vis…

   Le souffle coupé, dans une apnée menaçant mes jours, je crus voir…

  Mais non…

   Mais si…

   Mais … et si mes yeux me trahissaient…si ma raison s’était brisée sur des années de souffrances qui crucifiaient mon quotidien, si l’absence d’alcool provoquait des hallucinations paradoxales, une sorte de délirium tremens de la frustration, car le corps exige une certaine dose d’irrigation éthylique, c’est bien connu et moi je le prive et…

  Je ne savais pas que mon corps hébergeait une capacité vocale si puissante…

 Les cris qui traversèrent mes entrailles pour gagner ma gorge et aller ricocher en étoiles d’or sur les murs de la salle de bains, indiquèrent à la femme de ménage que la terre venait de s’arrêter de tourner…

Elle en fut froissée. Et inquiète…

   Le test à la main, je laissais s’écouler dans un irrépressible torrent de larmes les années d’espoirs et d’abattements, les années de désarroi et de détresse, les années d’excitation et de déchirements, la peau devenue un vélodrome à piqûres, les galopades vers le boulevard Brune, la lecture haletante des dosages et des résultats médicaux, le thermomètre en avant p’tit dej, les étreintes engrossées de folles espérances cette fois je le sens ça va marcher…

  Les médecins, grands, petits, minces ou corpulents, leur voix mielleuse ou enjouée, notre regard palpitant sur leur visage impassible pour y déceler le verdict scientifique, notre silence en sortant du cabinet ou notre joie anticipative, Cette fois c’est le bon, on va y arriver, tu rentres tard ce soir chéri ?

  Mon délire paranoïaque post ovulation, pas de voiture, pas de voyage, pas de…

J’ai pas le temps, vous voyez pas que je regarde pousser mon ventre ?

  Une vie émiettée, des félicitations bruyantes aux futures mamans, la jalousie qui pique un peu Mais qu’ai-je donc fait à dieu ou à d’autres, les heures où abîmée secrètement en prières je reconnaissais mon statut de mécréante pécheresse bouffeuse de viande non cacher, et puis le mince papier au Mur de Jérusalem et les regards évités, Mais oui Papa tout va bien, le chagrin partagé pèse deux fois plus lourd…

   Et les virées dans les boutiques de puériculture, un pyjama avec des lapins, ah non c’est des souris, une élégante poussette sur laquelle je posais une main tremblante, Moi je préfère un landau, un landau perché sur de hautes roues pour protéger le bébé des miasmes environnants, gris ou bleu marine ? On peut vous le commander Madame, il suffit de quelques jours disait la vendeuse, les yeux sur mon ventre plat…

   Et puis le petit pincement salement douloureux, annonciateur… non, ce n’est pas ça…

  Si. C’était ça.

   Le ventre qui libérait impitoyablement son flux mensuel, 

Sanglots secs, ou larmes torrentielles, tous ces sacrifices, un ventre infécond, un mari qui se tirait à grands pas vers des messieurs en costard gris qui le ramenaient dans le monde des vivants, contrats signés, poignées de main viriles, verres haut portés, voilà qui changeait de ce petit bout d’humain laissé le matin recroquevillé à la table du petit déjeuner… Inconsolable …

  Et la belle-mère.  Mais je vous en ai déjà parlé je crois…

  Et les papiers sur lesquels sourient les prénoms préférés, qui troquent leur place selon les jours, en tête Samantha, Clémence et Valentine, pour un garçon … euh faut prévoir aussi des prénoms de garçon ?

 Stéphane. Paul aime bien…

   Geoffrey…

   Geoffrey ?

T’es folle…

   Toute façon, les garçons. Bof…

   Une étincelle.

   Lena prenait la tête.

C’est joli, Lena, c’est le diminutif d’Helene, en russe…

 Suivi de Melissa…

   Pas mal, Melissa…

    Mais le sang coulait, on rangeait le papier, si tu veux on peut partir la semaine prochaine.

   Mais je m’égare…

    Mon doigt sur le clavier galope aujourd’hui plus vite que ma tête…

   Pour l’heure je glapis, je couine, je sanglote, je bafouille positif, positif, devant les yeux ronds de la femme de ménage rassurée, pas besoin d’appeler les pompiers…

  Un téléphone, vite un téléphone, tic tic tic, Ah Bonjour Madame ! Non… Monsieur Cohen est en réunion.  Ah ! Urgent. Je vais voir si…

 Non. Tu vas pas voir si… bécasse…

Tu me le ramènes au bout de tes petites mains en courant sur tes petites jambes.

 Exécution !!

   Qu’y a-t-il de si urgent ? Je suis en meeting. Important. Fais vite.

  Je murmure, la voix éraillée :

    Faut déménager…

    Faut déménager ? Mais pourquoi faut déménager ?

  Je suis enceinte, y a pas de chambre d’enfants et…

  Enceinte.

Il l’a entendu…

  Le silence le plus précieux du monde…

 Un blanc riche de promesses et de lumière…

Un soleil qui éclabousse le cœur…

    Des éclats d’or sur la ligne, une gerbe d’étincelles…

   J’arrive…

     Cette première partie de guerre impitoyable contre le destin pourrait s’arrêter là…

   D’autres péripéties vont accidenter le chemin conjugal…

  La belle-mère ne désarmera pas…

   Enfin, la vie, quoi…

   Vous me dites.

    Que cette journée de week-end post Black Friday vous offre enfin le temps de contempler vos emplettes si vous avez eu la tentation boutique…

Sinon patience, Monsieur Amazon arrive sur son blanc destrier.

    Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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