Maxime Tandonnet. Touche pas à nos livres!

De tous les choix idéologiques accomplis par l’équipe au pouvoir depuis 2017, l’un des plus révélateurs est le classement du livre parmi les « produits non essentiels » qui justifie la fermeture des librairies, à l’inverse des commerces alimentaires, ou électroniques, décidée dans le cadre du confinement.

Longtemps, une toute autre vision a dominé l’attitude des dirigeants français face au livre. La mesure la plus cruciale à cet égard fut la décision d’instaurer un prix unique en 1982. Pour protéger le réseau des librairies, indispensable à la diffusion du livre en luttant contre le dumping des grandes surfaces, l’Etat interdisait toute modification du prix fixé par l’éditeur, de plus de 5% à la hausse comme à la baisse. Le livre était ainsi sanctuarisé comme un objet au-dessus de tous les autres, au nom du respect dû à cet outil de l’intelligence, de la culture et de la transmission du savoir, ainsi placé au-dessus des lois du marché et de la concurrence.

Aujourd’hui prévaut un principe inverse : le livre, considéré comme un produit non essentiel, vaut moins qu’un téléphone portable ou une tablette électronique.  En quarante ans, sous l’effet de l’idéologie dominante, le statut du livre a basculé de celui de bien sacralisé à celui de produit inférieur, non essentiel à la vie quotidienne des Français. Que s’est-il passé ?

Tout d’abord, l’idéologie du « nouveau monde » ou de la « transformation de la France » est à l’œuvre. Elle repose sur le dogme de la table rase, voue aux gémonies l’histoire, les racines, la tradition qui ancre la personne dans une culture. Or le livre est le symbole même de la transmission du savoir : « la lecture de tous bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées » (Descartes).

Le livre fait ainsi obstacle au rêve d’engendrer un homme neuf, apuré de ses racines et de sa culture, privé de tout esprit critique, donc interchangeable et manipulable à merci, au cœur de l’idéologie dominante dans le monde occidental. Il retarde la mutation de la France en « start up nation », débarrassée du boulet de son histoire et de sa culture.

Le livre est un outil de résistance et un contre-pouvoir redoutable. Qui peut prendre possession de la conscience d’un homme ou d’une femme capable de s’émerveiller en lisant les Rêveries du promeneur solitaire, les Mémoires d’Outre-Tombe, Notre-Dame de Paris, Les Misérables, ou de s’évader du château d’If avec Edmond Dantès ? Qui pourra jamais guider la pensée et la conduite d’un passionné de Montaigne, de Molière ou de Péguy ? Qui saura soumettre le lecteur ébloui de Pantagruel, du Tartuffe ou du Misanthrope ; asservir l’amateur passionné d’une biographie de Charles de Gaulle ou de Winston Churchill ? Pour engendrer un troupeau servile, bêlant de conformisme et prêt à s’agenouiller devant n’importe quel roitelet, mieux vaut vendre des smartphones et des jeux vidéos que des livres.

Le mépris des livres, à travers la fermeture administrative des librairies quand d’autres commerces sont autorisés est un signe patent de l’abêtissement des élites dirigeantes françaises. De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand incarnaient des générations pour laquelle le livre était un objet de vénération, la matérialisation de l’intelligence, de la culture générale, de la liberté de pensée, une arme absolue de résistance à tous les fanatismes. Jamais l’idée saugrenue de fermer les librairies, sous aucun prétexte, même dans la pire des apocalypses, ne serait venue à l’esprit des personnalités de cette époque.

« Quand j’ai un peu d’argent, je m’achète des livres, et s’il m’en reste, j’achète de la nourriture et des vêtements » (Erasme). La dégradation de l’image du livre dans notre société, qui s’exprime à la perfection dans le choix politique de ne pas le considérer comme un bien essentiel, au point d’en interdire la vente, est sans doute le signe le plus patent du déclin intellectuel des élites dirigeantes françaises. Se rendent-elles compte qu’en empêchant les libraires de promouvoir le rire de Rabelais, la raison de Voltaire et de Montesquieu, elles favorisent les idéologies de l’intolérance telles que la barbarie islamiste ? Il faut craindre que non…

© Maxime Tandonnet

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3 Comments

  1. je dois vous raconter une histoire vecue : ma soeur a subi une transplantation de coeur en 1985 dans le fameux hopital de Cleveland ( USA, 120 000 personnes qui y travaillent, 1er pace maker etc..) .le lendemain, j’allais la visiter et avec moi, je pris des magazines car elle se reposait le plus souvent. L’infirmiere chef me dit que je pouvais les prendre avec moi dans la chambre de ma soeur en me disant que le papier ne transportait ni microbes ni virus!!!! ( j’avais alors vetu le nylon, le masque, les pantoufĺes , les gants etc , le tout passe a la desinfection)
    Alors, je ne comprends pas cette interdiction concernant les librairies si l’on y entre par 2ou 3 clients masques!

  2. Onfray l’avait dit dès la campagne de 2017 : “Macron séduit tous les incultes”. Et on pourrait ajouter que le mépris de la culture est une marque de la classe politique française depuis 40 ans (depuis Jack Lang). Quand ils entendent le mot culture la plupart de nos députés, sénateurs, maires ministres sortent leur revolver.

    • Si vous croyez que « le mépris de la culture est une marque de la classe politique française » allez comparer aux USA, cf. Trump et presque tous les autres…. Liste non exhaustive évidemment.
      C’est plutôt le contraire.

      La phrase sur “la culture et le revolver” est en général attribuée aux dirigeants nazis de jadis ; les politiciens français de tous bords s’expriment au rebours de ça et sont, en moyenne, bien plus « cultivés » que d’autres pays.
      (Pour le meilleur et pour le pire…en soi ça ne garantit rien).

      Cet article de Tandonnet est d’ailleurs conforme à sa méthode. Il « oublie » la pandémie ; c’est tellement incroyable que j’ai relu deux fois…Comme si la classification de « non essentiels » concernant les livres se faisait dans un contexte imaginaire sur la planète mars.

      Les râleurs parlent aux râleurs.

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