Erick Lebahr. C’était mon père

Erick Lebahr

A travers le prisme de l’évocation personnelle de mon propre père, en filigrane, un message universel revigorant : l’amour plus fort que la mort. Sans doute, pourrez-vous, à votre tour, transposer votre propre histoire, votre « légende personnelle ».

Peut-être serez-vous, vous aussi, imprégné de cette belle idée que, par la force de la pensée, la vie l’emporte par-dessus tout, l’amour transcende la mort…

“A mon père,

C’était mon père… Il s’en est allé un matin d’automne, sans crier gare. Avec cette même discrétion, cette élégance rare qu’il cultivait dans la vie. Dès l’aube, aux premières lueurs de l’aurore, il s’envola vers d’autres cieux ; comme par inadvertance. Peut-être au fond est-ce aussi à cela que l’on reconnaît les grands hommes, à leur façon singulière d’aborder l’éternité, ce moment fatidique de l’ultime voyage au bout de la nuit, ces instants insondables de la dernière traversée vers le monde de la vérité…

C’était un « matin blême » comme dit si bien Verlaine ; Un de ces matins pâles et livides où les ruines de l’âme feraient de l’ombre au soleil ; c’était une « aube grise » où le destin pressé s’était précipité, me laissant hébété, atterré et prostré.

J’entends encore la fureur du ciel ce jour-là, un ciel lourd comme une menace, grondant sous les orages ! Funeste présage… Parfois résonne en moi la petite musique triste et morne d’une sonate d’automne, celle des pluies d’octobre qui ruissellent dans les ruelles de ma détresse. J’ai aussi en mémoire le ballet monotone des feuilles mortes, qui tourbillonnent et frissonnent aux vents mauvais… Ce matin-là, il me semblait que l’univers entier venait de s’effondrer. C’était mon père, mon grand frère, et aussi mon ami… C’était il y a 18 ans… Cela semble un peu loin… Et pourtant…

Pourtant je me souviens de l’écho de sa voix, une voix douce et passionnée, qui vrillait les cœurs et transperçait les âmes. Véritable messager d’une tendresse infinie, il m’insufflait un peu de sa force, celle qui aide à affronter les turbulences de la vie, les ronces du chemin. Sa lumière était mon étoile, la boussole qui me donnait le La au gré des tempêtes, des joies et des peines. J’ai avec lui plus de souvenirs que si j’avais cent ans. Bien sûr, nous eûmes aussi quelques querelles. A ses idées, parfois, j’étais un peu rebelle. Mais je sais aujourd’hui combien nos désaccords me manquent… C’était mon père…

Je revois ses yeux clairs, couleur lagon, dans lesquels j’aimais tant me noyer. Dans son regard gris bleu perçait une flamme malicieuse. Elle se teintait parfois d’un voile léger, de ce soleil noir de la mélancolie, lorsqu’il évoquait les injustices de la vie et les petitesses des hommes. Sa vive sensibilité ne pouvait les supporter.

J’entrevois également sa fossette émergente, proéminente même, lorsqu’il gobait goulûment les fruits sur les arbres du jardin, des arbres que je contemple encore aujourd’hui.

Je songe à ces parties de cartes enflammées qu’il aimait tant partager avec ses amis… C’était mon père…

A présent qu’il est loin de moi, il s’invite désormais dans mes rêves, dans ces instants fugaces que je voudrais capturer à jamais.

Là où il se trouve, quelque part au-delà du vide, sait-il seulement à quel point il illumine ma vie ? En ces contrées lointaines où s’est abîmée la notion du temps, enseveli pour l’éternité, a-t-il simplement conscience  qu’il guide toujours mes pas, qu’il nourrit encore mes réflexions, qu’il apaise toujours mes angoisses et mes doutes ?

Dans cet Amour si dense, où je danse souvent, il brille de mille feux. Comme un Astre vivant, il est là, définitivement là, profondément ancré. Son ombre tutélaire plane au-dessus de moi, comme un soleil nouveau qui ne s’éteindrait plus. Sa mémoire rend mon avenir plus radieux.

Le souvenir de mon père se conjugue au présent. Dès lors tout redevient possible, tout peut recommencer. Même le silence a une fin… Certains soirs la lune ne se tait plus et nous dévoile sa blanche clarté, toute sa luminescence. Au matin, dans le ciel bleu azur, le soleil resplendit à nouveau. Une nuée d’hirondelles déchire l’horizon. Dans une merveilleuse symphonie aux accords oniriques, les chants des grillons racontent le retour du printemps. Enfin parée de ses plus beaux atours, la nature s’éveille. Ressuscitée d’un profond sommeil, la  « belle endormie » renaît de ses cendres. La végétation luxuriante exhale un parfum énivrant. Dans ce décor enchanteur, une explosion de couleurs mime l’arc en ciel. Le jardin, transfiguré, est un morceau de paradis, où règnent l’harmonie et la sérénité. A l’ombre d’un olivier presque millénaire, son arbre de vie, plusieurs siècles nous contemplent.

Dans le doux murmure d’une fontaine, dans le clapotis de l’eau, il me semble entendre la voix de mon père ; elle me susurre « qu’il n’y a pas de fin. Il n’y a pas de début. Il y a seulement la passion infinie de la vie. Pour toujours. Et même au-delà… »

Magnifiques promesses… Prometteuses espérances d’une aube nouvelle, celle où s’incarne et se réincarne l’âme d’un être cher.

C’était mon père… C’était… c’est mon père.

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