Jean Chichizola. Violences urbaines pendant le confinement

Les violences dans les quartiers sensibles sont nombreuses et les réseaux de criminels attendent le déconfinement.

Des employés constatent le 22 avril 2020 les dégâts de l’incendie déclenché dans l’école primaire Paul Langevin, à Gennevilliers. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP


Des violences répétées et inquiétantes mais pas l’embrasement espéré par certains et redouté par beaucoup: tel est le bilan sécuritaire de près de deux mois de confinement dans ce qu’il convient d’appeler, en un euphémisme significatif, les «quartiers sensibles».

Une moyenne d’un peu plus de sept événements par nuit de confinement

Les statistiques du ministère de l’Intérieur sont édifiantes. Entre le 17 mars et le 5 mai, 379 faits de violences urbaines visant des policiers, dont 79 guets-apens, ont été recensés dans les secteurs dépendant de la Direction générale de la police nationale et de la préfecture de police de Paris.
Soit une moyenne d’un peu plus de sept événements par nuit de confinement. Au total, selon la Place Beauvau, 164 villes ont connu au moins un épisode de violences urbaines avec des communes particulièrement touchées: Toulouse, Aulnay-sous-Bois, Trappes et Strasbourg, sans oublier Mamoudzou, chef-lieu du département de Mayotte…
Ces 379 attaques n’ont pas été sans conséquences, avec 43 fonctionnaires de police blessés. L’épisode le plus grave remonte au 24 mars, quand une jeune policière a été grièvement blessée dans un quartier de Beauvais (Oise). Dans d’autres cas, comme celui d’un car de police sur le point de prendre feu ou d’un policier visé à bout portant par un tir de mortier d’artifice, le pire a été évité d’extrême justesse.

Au ministère de l’Intérieur, on note que les forces mobiles en réserve ont été très peu utilisées, les policiers locaux ayant pu gérer la situation.
En riposte à ces attaques à répétition partout en France, 121 suspects ont été interpellés depuis le 19 avril dernier. Mais nombre des émeutiers sont toujours actifs, comme le montre le bilan de la nuit du 4 au 5 mai en zone police: 13 faits de violences urbaines dont 2 guets-apens.

«Un second front» en pleine épidémie aurait été évité

Au ministère de l’Intérieur, on ne minore pas cette situation. Mais on note que les forces mobiles en réserve ont été très peu utilisées, les policiers locaux ayant pu gérer la situation. Et on qualifie «de faits de basse intensité» la majorité des violences (feux de poubelle, pétards) en soulignant un «retour au calme et assez peu de dégâts matériels».

Dans ce dernier domaine, l’un des épisodes les plus marquants a été l’incendie d’une école à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), dans la nuit du 21 au 22 avril. Rien de comparable toutefois aux 300 bâtiments détruits lors des émeutes de 2005. Place Beauvau, on souligne d’ailleurs que le pire des scénarios, celui d’une généralisation des violences qui aurait créé un «second front» en pleine épidémie, a pour l’heure été évité.

Un constat partagé par le criminologue Xavier Raufer, qui travaille sur ces questions depuis plus de quarante ans et qui, dès le début du confinement, avait jugé inepte le scénario de l’embrasement. Il a concentré son étude sur les quelque 700 quartiers jugés à risque par le gouvernement. Et il a constaté que seulement un peu plus de 10 % de ces quartiers, dans lesquels on compte les 60 secteurs les plus dangereux, ont défrayé la chronique depuis le 17 mars.
«Ce qui se passe est suffisamment grave et redoutable, remarque le directeur d’études au pôle sécurité-défense du Conservatoire national des arts et métiers, pour ne pas inventer des scénarios apocalyptiques.»

Si leur constat est bien le même, l’analyse du criminologue risque fort
d’agacer le ministère de l’Intérieur. Pour lui, ce «calme» très relatif est directement lié à la nature même des réseaux criminels dans ces quartiers. «Il s’agit tout d’abord de bandes territoriales, qui se créent sur la base d’une cité, d’un immeuble ou d’un hall d’immeuble, qui s’opposent les unes aux autres et se lancent à l’occasion des défis. Mais ils sont incapables de se coordonner! D’autre part, le trafic de drogue fournit des sommes énormes aux caïds de ces cités, qui, alors que le trafic est au ralenti, peuvent tranquillement attendre quelques semaines en continuant à payer leurs troupes. Et calmer les plus jeunes quand ils s’excitent et font courir le risque d’un déploiement massif de forces de l’ordre

Pour Xavier Raufer, dans un tel contexte, «les policiers de base sont victimes d’une situation qu’ils connaissent parfaitement. Comme ils connaissent les individus, 3 000 à 4 000 tout au plus sur l’ensemble du territoire, qui créent des problèmes».

C’est précisément chez ces «policiers de base» dans les quartiers, que le confinement a été le plus mal vécu. Place Beauvau, on qualifie de «légende urbaine» l’idée que les ministres auraient fait passer des consignes d’apaisement, en affirmant que les violences étaient souvent des effets secondaires des contrôles effectués.

En Île-de-France, des policiers évoquent eux des «interdictions verbales» de se rendre dans certaines zones, des consignes de ne pas faire de «physio» (patrouilles de reconnaissance d’un secteur).

Initiatives locales malheureuses? Une chose est certaine: le confinement laissera aussi des traces dans l’esprit des policiers.

Source: Le Figaro. 6 mai 2020.

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