Coronavirus : qu’est-ce que StopCovid, l’appli de traçage étudiée par le gouvernement ?

«StopCovid», l’application du gouvernement pour tracer les malades

Dans le sillage d’autres pays, la France a mis en place un groupe de travail pour réfléchir à l’opportunité et à la conception d’une application de « suivi de contacts » des malades.

L’installation et l’utilisation d’une application de traçage reposerait sur le volontariat, a assuré le gouvernement.
L’installation et l’utilisation d’une application de traçage reposerait sur le volontariat, a assuré le gouvernement. PHILIPPE LOPEZ / AFP

Dans une interview accordée au Monde mercredi 8 avril, le ministre de la santé, Olivier Véran, et le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, ont annoncé réfléchir au développement d’une application pour smartphone, « StopCovid », pour aider à juguler la pandémie due au coronavirus. Une initiative dans le sillage de celles qui sont menées par d’autres pays en Europe ou en Asie. Tour d’horizon du fonctionnement – pour l’instant – d’un tel outil.

En quoi consiste cette application ?

« StopCovid » est un projet d’application de contact tracing, ou « suivi de contacts ». C’est-à-dire le pistage, grâce à des applications installées sur les smartphones, des malades et des personnes qu’ils sont susceptibles d’avoir été infectées. « L’idée serait de prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif afin de pouvoir se faire tester soi-même, et si besoin d’être pris en charge très tôt, ou bien de se confiner », explique Cedric O au Monde.

Le contact tracing est déjà effectué manuellement par les équipes médicales quand celles-ci cherchent à identifier les rencontres, trajets et activités des personnes contaminées pour remonter à d’autres patients, mais aussi à identifier des chaînes de contamination afin de freiner la pandémie. Là, il s’agirait de faire de même, mais de façon plus étendue et en s’appuyant sur le parc de smartphones des Français.

Comment va-t-elle fonctionner et qui va la développer ?

On en sait encore peu. Aux manettes du projet se trouve une « task force », mobilisée et supervisée par le gouvernement, et qui sera pilotée par l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Le groupe de travail est composé de chercheurs et de développeurs issus du public et du privé dont l’identité n’a pas été révélée.

Les modalités de fonctionnement de cette application, qui ne sera pas prête avant plusieurs semaines, sont encore à l’étude. Toutefois, dans leur entretien, les deux membres du gouvernement ont précisé que « lorsque deux personnes se croisent pendant une certaine durée, et à une distance rapprochée, le téléphone portable de l’un enregistre les références de l’autre dans son historique. Si un cas positif se déclare, ceux qui auront été en contact avec cette personne sont prévenus de manière automatique ».

Comment le téléphone va-t-il repérer les contacts à proximité ?

L’application ne recourra pas à la géolocalisation, assurent les ministres. Le groupe de travail se focalise sur l’utilisation de la technologie sans fil Bluetooth, capable de détecter si un autre téléphone mobile équipé de cette même application se trouve à proximité immédiate.

L’application envisagée n’accéderait à rien d’autre qu’à cette technologie, et donc ne consulterait pas le répertoire ou les messages. Elle se contenterait d’enregistrer les appareils munis de la même application ayant été dans son environnement immédiat pendant un temps à définir au-delà duquel il représente un risque d’infection au coronavirus si l’un des deux utilisateurs est lui-même contaminé.

Pourquoi lancer une telle application ?

Dans la communauté scientifique, des chercheurs estiment qu’une application de ce genre permettrait d’élaborer un suivi plus rapidement et plus largement que celui qui est réalisé à la main par le corps médical à un niveau local, car cela demande de remplir des questionnaires et des enquêtes de terrain pour retracer les parcours et les interactions sociales.

Dans une étude parue dans Science, le 31 mars, et menée par l’université d’Oxford, les auteurs ont travaillé sur deux types d’actions censées ralentir le moteur de l’épidémie : isoler efficacement les cas, d’une part, et la mise en quarantaine des personnes ayant été en contact avec un malade, d’autre part.

« La transmission, dans le cas du Covid-19, est rapide et intervientavant que des symptômes n’apparaissent, cela implique que l’épidémie ne peut être contenue par le seul isolement des malades symptomatiques », préviennent les chercheurs. D’où l’idée d’isoler aussi les contacts d’une personne contaminée.

Cette appli serait-elle une solution de rechange au confinement ?

Certains chercheurs estiment que ces applications pourraient être utiles lors du déconfinement des populations pour éviter une flambée épidémique, mais il n’est pas prévu qu’elle se substitue au confinement. En France, « StopCovid » pourrait être un des outils accompagnant le déconfinement, si l’exécutif décide de lancer l’application au terme de son étude et de la réalisation d’un prototype, pour distinguer qui, dans la population, doit encore s’isoler et qui peut reprendre une activité sociale. Toutefois, le gouvernement français n’a pas encore arrêté sa stratégie de déconfinement ni son calendrier.

Quelles sont les limites d’un tel outil ?

Le projet est confronté à des interrogations de faisabilité : les chercheurs n’ont pas encore établi si la technologie Bluetooth serait suffisamment efficace. « Nous ne sommes pas certains de réussir à franchir toutes les barrières technologiques, car le Bluetooth n’a pas été prévu pour mesurer des distances entre les personnes. Nous ne déciderons que plus tard de l’opportunité de déployer ou non une telle application », expliquait Cédric O, mercredi.

Par ailleurs, l’utilisation de cette application sera forcément basée sur le volontariat, assure le gouvernement. Mais pour qu’elle soit efficace, il faudrait qu’une « masse critique » de Français choisissent de l’installer, faute de quoi elle ne pourrait signaler qu’une infime partie des contacts « à risque ». Même si plusieurs sondages montrent que les Français semblent prêts à l’installer, de fortes inquiétudes demeurent sur les risques de surveillance numérique liés au suivi, quand bien même elle ne collecte pas, d’après le projet du gouvernement, la géolocalisation complète des utilisateurs.

Les applications de suivi ne sont pas non plus des remèdes miracles : leur rôle est de permettre aux personnes à risque de prendre toutes les précautions. Elles peuvent jouer un rôle utile dans une période de déconfinement, notamment, mais elles ne peuvent se substituer aux autres mesures (gestes barrières, port du masque, confinement des personnes présentant des symptômes…).

La mise en place d’une telle application comporte-t-elle des risques ?

Il serait difficile de s’avancer sur les risques, notamment en matière de protection de la vie privée, qu’engendrerait l’utilisation d’un tel dispositif : les modalités précises de fonctionnement de l’application sont encore inconnues. A ce sujet, Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), listait au Monde le 5 avril les principaux points de vigilance :

« D’abord, ne doivent être collectées que les données nécessaires à des finalités explicites. S’agit-il d’informer celles et ceux ayant été en contact avec une personne porteuse du virus ou de vérifier le respect du confinement ? Il faut aussi respecter le principe du consentement. Les modalités techniques des dispositifs doivent, par ailleurs, être minutieusement analysées, parce qu’elles ont une incidence sur la protection de la vie privée. Il faut enfin que ce soit temporaire, c’est un point essentiel. Tout dispositif visant à limiter (…) la protection des données des individus pourrait, selon la situation, constituer une ligne rouge à ne pas dépasser. »

Le dispositif est-il légal en France ?

Oui, à certaines conditions rappelées par la présidente de la CNIL au Monde. « Aujourd’hui, le cadre réglementaire de l’Union européenne en matière de protection des données est à la fois souple et protecteur, et permet de tenir compte de situations d’urgence comme celle que nous traversons », expliquait-elle.

Mais le suivi doit reposer sur le consentement explicite des utilisateurs. « Il ne faut pas qu’il y ait des conséquences pour celui qui refuserait de télécharger une application, par exemple. » Les premiers éléments connus du projet semblent aller dans ce sens. « Notre hypothèse est celle d’un outil installé volontairement, et qui pourrait être désinstallé à tout moment. Les données seraient anonymes et effacées au bout d’une période donnée. Personne n’aura accès à la liste des personnes contaminées, et il sera impossible de savoir qui a contaminé qui », ont expliqué les ministres, assurant que la CNIL serait consultée.

Que font les autres pays ?

Certains, principalement en Asie, ont mis en place des applications de suivi social. A Singapour, une application fonctionnant sur des principes similaires est téléchargeable. En Chine, les données sont partagées avec la police, et, en Corée du Sud, les informations personnelles des utilisateurs peuvent être partagées à des tiers pour leur permettre d’identifier des personnes potentiellement infectées. En Israël, l’implication d’entreprises liées à la sécurité nationale dans un projet d’application a soulevé d’importantes inquiétudes. Des projets comparables à celui étudié en France sont également en cours en Allemagne et au Royaume-Uni ainsi que dans plusieurs Etats américains.

Source: Le Monde. 7 avril 2020.

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