«L’épreuve commune nous rappelle le prix inestimable de la vie “ordinaire”»

Alors que le 8 avril commence la Pâque juive, le grand rabbin de France livre sa réflexion sur la crise sanitaire qu’affronte le pays et le confinement de la majorité de nos compatriotes.

Haïm Korsia Fabien Clairefond

«Alors que nous entrons dans la fête de Pessah, celle de la libération d’Égypte, celle de la fin de l’enfermement, que peut nous enseigner l’expérience juive face à la pandémie de Covid-19 qui frappe toutes nos sociétés?

La réponse est presque tout entière contenue dans ce terme «expérience juive», qui est à la fois une expérimentation encore en cours et tournée vers l’avenir, et tout autant une longue sédimentation de mémoire, car puisant sa force de survie dans la vitalité de ses racines. C’est un perpétuel questionnement sans réponse définitive. Et nous voyons combien nos réponses définitives d’hier volent en éclats face à la réalité d’aujourd’hui.

Le questionnement permanent est au cœur de la soirée de Pessah que nous célébrons ce 8 avril au soir, comme il doit être au cœur de notre monde s’il veut se relever plus fort de cette lutte contre ce virus.

Quels enseignements, ou plutôt, puisqu’il s’agit de tradition juive, quelles bonnes questions devons-nous nous poser ? Ma nichtana, quelle différence, comme nous le récitons le soir de Pessah, entre hier et demain ?

Comment les Juifs, si minoritaires et si dépourvus en apparence face à ce virus de l’antisémitisme toujours présent et sans cesse mutant sous les formes les plus diverses, ont-ils réussi à survivre au travers du temps ?

Je ne m’attarde pas sur le rôle essentiel des rites comme les lois alimentaires, l’hygiène, le primat de l’éducation, mais notre résilience a tenu à l’équilibre dynamique, bien que toujours instable et précaire, que nous avons su trouver entre préservation d’une intériorité et ouverture aux autres.

Équilibre

Pendant cette lutte contre la pandémie actuelle et après, il faudra maintenir ce même équilibre entre ouverture et fermeture, distance et solidarité, constance et adaptabilité, fidélités et innovations, maîtrise des horloges mais acceptation du temps et de ses rythmes, refus des nouveaux esclavages dans lesquels nous nous complaisons au lieu de bâtir les pyramides modernes dont la science nous donne les moyens.

Qu’il soit clair que cette «expérience juive» n’est pas le modèle à suivre par tous, mais bien une modalité parmi d’autres, qu’elle n’indique que des directions possibles avec humilité. C’est donc un message d’espoir adressé à chacun de nous, dans notre diversité et notre solidarité.

Nous découvrons que nous avons abandonné une part de notre savoir-faire en de nombreux domaines au profit d’une certaine mondialisation qui oublie l’humain.

Nous sommes nus à cause de notre course à la maximisation des profits immédiats au détriment de l’élémentaire bon sens, nos hôpitaux sont affaiblis à cause des logiques de management et de «tarification à l’acte» qui avaient oublié qu’un plateau technique est pauvre s’il n’a pas des femmes et des hommes qui s’y dévouent.

Il nous faut réinventer l’élan du Conseil national de la Résistance qui, en pleine guerre, rêvait déjà du monde d’après. C’est bien une renaissance que nous devons envisager.

Et puis nous nous souvenons que nous sommes des êtres en appel de fraternité, de rencontres et de liens sociaux. Donc des êtres fragiles. Nous redécouvrons ceux qui n’étaient plus sur les photos de nos réussites, les «gens de peu», ceux qui, pourtant, sont présents et permettent à notre société de rester debout: les caissières, les commerçants, les livreurs, les transporteurs, les éboueurs, les postiers, les soignants, les policiers, tous les héros si modestes de notre quotidien.

Nous luttons contre un ennemi invisible qui, pire que tout, nous utilise contre nos familles, nos amis, ceux dont, par définition, nous sommes le plus proche. C’est cette inversion des valeurs qui déroute.

Puis naissent des questions existentielles. Certes, en cas d’épidémie, il faut se «confiner», s’enfermer. Le Talmud, déjà, en atteste. Et nous avons voulu protéger nos anciens dans les Ehpad en interdisant les visites, facteurs indéniables de risque. Mais n’est-ce pas justement ce qui nourrit toute leur vie que d’attendre, d’espérer la visite des enfants, des petits-enfants, d’un proche qui donne encore un faible sens à cette vie qui s’effiloche ? Tarissant leur source de vie, n’avons-nous pas éteint leur seule envie de vivre pour qu’il y ait tant de décès dans ces établissements?

Interdépendance mondiale

Nous réapprenons la vérité profonde de notre interdépendance mondiale qui doit nous pousser à ne plus traiter l’autre comme un ennemi, un étranger, ou pire, l’objet de notre indifférence: par exemple, notre indifférence de fait, sinon de parole, aux phénomènes climatiques qui font de nous tous un danger véritablement pandémique pour l’avenir de la planète, ou l’homme qui a inventé mille formes vivantes et contagieuses, allant des virus informatiques aux proliférations de séculaires «fake news» en tout genre, dont s’est notamment nourri depuis toujours l’antisémitisme, et sur internet, plus encore.

Si nous parlons tous d’un nouveau monde qui doit advenir après cette crise, chacun pense que celui-ci sera à l’image de ce qu’il croyait avant. Il nous faut être capable de défaire ce que nous prônions afin d’inventer un autre monde, et pas forcément un nouveau monde.

En effet, nous regrettons nos bureaux, nos métros, nos restaurants, nos sorties, bref, un retour à la normale de «nos vies d’avant». Nous avons besoin de ce que nous ne remarquions même pas lorsque nous l’avions, de ce qui est simple.

Nous avons besoin de nous parler, et peut-être, enfin, d’écouter ce que nous n’entendions plus. Mais nous voulons être dans l’action, comme Dieu nous le demande dans la Genèse, juste après la création du monde: À vous de faire! Car cet autre monde sera celui où nous nous engagerons à faire et non plus à subir les choix qui ne sont pas les nôtres, et cela dépendra en dernier ressort de nos comportements collectifs et individuels.

La peur, sain mécanisme de survie, ne doit jamais engendrer la haine de l’autre car cela devient alors pire que le mal.

Heureuse fête de Pessah dans le partage avec tous nos concitoyens de cette espérance.»

Haïm Korsia

Source Le Figaro

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