Alain Toledano. Hydroxychloroquine et surdosage en BFM

Alain Toledano

Billet du 24 Mars 2020 : Mon voisin, COVID19 négatif, souffre d’un surdosage en BFM : l’incohérence Mon cher voisin,Suite à notre rencontre chez l’épicier hier, lors de notre échange respectant notre mètre de sécurité, je fais suite à ta demande de te « mettre de côté quelques boîtes d’hydroxychloroquine », pour que tu puisses t’auto-médiquer quand tu le jugeras nécessaire.

En tant que médecin, je perçois bien sûr l’importance de ce sujet à tes yeux, puisqu’elle est proportionnelle à la facilité avec laquelle on le retrouve dans n’importe laquelle de nos recherches mémorielles (qui est souvent corrélée à la couverture médiatique de BFM du moment).

Je souhaite simplement réagir à ce que tu as (une fois de plus) affirmé : « c’est un scandale d’état de ne pas nous livrer ce médicament d’hydroxychloroquine, peu importe les études, des incompétents ce gouvernement !» « On ne sort de l’incohérence qu’à son propre détriment »

Avant de te donner mon point de vue, permets moi de te rappeler les dernières discussions que nous avions eues.Tu me disais, il n’y a pas si longtemps, à la boulangerie du coin de la rue, « le Mediator, ils doivent payer pour ça, tous en prison ! ».

Pour mémoire, il s’agissait de déterminer la responsabilité des laboratoires  Servier mais aussi de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur des faits de tromperie, d’escroquerie, de trafic d’influence, des faits d’homicides et blessures involontaires en lien avec le tristement célèbre médicament. Ce Mediator était autorisé comme adjuvant au régime alimentaire chez le diabétique en surpoids, et a été retiré du marché car il augmentait le risque de valvulopathie, une atteinte des valvules cardiaques, qui permettent de réguler l’afflux de sang vers le cœur. Il est vrai que le nombre décès attribuables au Mediator à court terme serait compris entre 220 et 300 et à long terme entre 1 300 et 1 800.

Dans le même registre, tu me racontais au supermarché d’en bas de chez nous, le scandale sanitaire de la nouvelle formule du Levothyrox, pire que le Mediator selon toi. Pour toi, les autorités restaient sourdes à la souffrance des gens face à sa nocivité, puisque sa formule génèrerait plus d’hypertension, d’insomnie, de douleurs musculaires importantes, de grande fatigue, de perte d’appétit, de fièvres, de cheveux qui tombent… bref : pire qu’un syndrome grippal. Tu arguais que l’ensemble des victimes avait le droit à obtenir réparation du préjudice subi, un préjudice d’anxiété et un préjudice moral.

Enfin, toi qui faisais partie des centaines de milliers de citoyens proactifs sur les réseaux sociaux dans la lutte contre les vaccins, tu t’offusquais il y a un mois, à la pharmacie, que nous ne mettions pas à disposition de vaccin contre le COVID19 !

Aujourd’hui, tu te prescrirais toi même de l’hydroxychloroquine, en te basant sur une étude menée sur 24 patients, de méthodologie insuffisante (bien qu’intéressante), et tu souhaiterais t’appliquer, ainsi qu’à toute la population, les promesses de ses hypothèses, et au mépris de l’évaluation des effets secondaires et de l’aval des experts !

Mon diagnostic : Tu souffres moins de sous dosage en hydroxychloroquine que d’un surdosage en BFM. Si « on ne sort de l’incohérence qu’à son propre détriment » (cardinal de Retz), pour entretenir nos bons rapports de voisinage, notre devoir solidaire est de maintenir le lien et de réfléchir ensemble honnêtement à nos échanges. 

Le Médicament : un outil médical, philosophique et culturel 

Alors certes, Voltaire disait « Les médecins administrent des médicaments dont ils savent très peu, à des malades dont ils savent moins, pour guérir des maladies dont ils ne savent rien..

Cet appel à l’humilité doit retrouver du sens, à une époque où l’essor de la pharmacologie nous apprend les réponses différentes aux mêmes médicaments en fonction de notre singularité. Tu me sens  Voltairien en ce moment,  surtout lorsqu’il disait que « l’art de la Médecine consiste à distraire le malade pendant que la Nature le guérit », ce qui ne signifie pas qu’on ne doive pas chercher activement à traiter le COVID19. 

Avant l’ère industrielle, si Hippocrate disait « que ton aliment soit ta seule médecine », maintenant les médicaments sont élaborés sur la base de références scientifiques relevant de la biomédecine et de la pharmacie—ce sont des objets pleins de sens, à la fois concrets et pourtant tellement symboliques.

Ils font partie de l’intimité de chacun, sont justifiés par une efficacité matérielle sur les individus, échappant largement à la conscience de ceux qui les consomment. Ces objets, dont la matérialité est également terriblement efficace, puisque des centaines de millions de personnes ne doivent leur (sur) vie qu’à leur consommation, sont aussi le support d’un investissement idéologique, d’interprétations, d’élaborations symboliques, en rapport avec la culture scientifique biomédicale qui les produit et, avec les multiples cultures et sous-cultures qui les (ré) interprètent.

Ils sont de plus des objets sociaux, véhiculant des rôles, des rapports de savoirs et de pouvoirs plus ou moins inégalitaires, légitimant l’organisation d’institutions, de systèmes et de réseaux. À notre époque de rationalisation, la réflexion sur l’efficacité médicamenteuse est plus qu’indispensable. 

Nous acceptons pourtant, à défaut d’autres solutions, de prescrire des chimiothérapies anticancéreuses toxiques en sachant souvent que leur efficacité avoisine moins de 30% de bénéfice pour le patient.

Doit-on pour autant prescrire de l’Hydroxychloroquine pour le COVID19, sans avoir encore d’étude bien menée et sans savoir l’impact en terme de bénéfice et d’effets secondaires ? Le médecin philosophe Paracelse, au 16ème siècle, a été déterminant dans le passage de l’alchimie à la chimie et disait déjà : « Tout est poison, rien n’est poison, il n’y a que la dose »

Le souci des risques iatrogènes reste fondamental dans la définition des rapports bénéfice-risque.

En tant que Médecin, j’aspirerais à un débat plus large (avec toi que je respecte) sur les médicaments contre le COVID19, que le simple fait de considérer la dualité entre les marseillais et les parisiens (l’OM et le PSG en quelques sortes). Les médicaments ont un rôle central dans la relation thérapeutique, et dans le rapport de l’individu au corps sain ou malade. 

Cher voisin, je ne te prescrirai pas aujourd’hui d’hydroxycholoquine (mais peut être que demain oui, qui sait ?). Puisse l’incertitude et le doute positif continuer d’habiter notre quartier :« L’incertitude est le pire de tous les maux jusqu’au moment où la réalité vient nous faire regretter l’incertitude». (Alphonse Karr). Rendez vous demain au supermarché.  

Docteur Alain Toledano, Cancérologue, est Président de l’Institut Rafael-Maison de l’Après Cancer

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