Jacques Neuburger. Divagations nocturnes par temps de confinement…


Ah le thé de cinq heures, petit brunch aschkenaze, le hareng de 17 heures, amoureusement partagé, entouré de fines, si fines rondelles d’oignon, partagé cela vaut mieux – et là on touche au côté délicat jamais vraiment ni franchement abordé par les penseurs du grand brassage ethnoculturel- car, sur le bord du canapé, anglais bien sûr, en proposant la larme de lait ou la tranche de citron, souvent les mains se touchent, les doigts s’entremêlent, et on risque fort de se mélanger les sabots comme on dit, ou disait, les traditions se perdent, en campagne normande au temps de Maupassant, oui, mais voilà, sauf à s’obliger à une frustrante obligation sanitaire, ou à être très affolés et empressés à deux, ou un peu brusque à un, ce qui parfois peut plaire aux deux, à certaines heures, certains instants, mais chut: en ces temps de féminisme exacerbé ce sont secrets qu’il faut savoir tenir cachés, voilà, il y a des préliminaires, tendres, divers, parfumés, savoureux, indispensables,  secrets, indicibles ici, parfois si passionnés qu’ils pourraient de préliminaires en devenir essentiels comme ces brunchs qui, sortes de petits déjeuners en deviennent les plus gourmands déjeuners, comme ces collations se muant en dîners, cependant que le thé, laissé à lui-même, fait planer de troublantes fragrances, oui, voilà, on s’oublie, où on en était, ah, oui, aux doigts qui s’entremêlent, bon, depuis le temps, ce sont les mains, que sais-je encore, bon, en fait, nous ne savons plus très bien où nous en sommes, attention où tu poses mon  peigne, toi alors mais que tu es pressé, enfin, nous en étions restés aux préliminaires, car autour du schmalzherring et de notre théière, cela fait belle lurette que de face à face autour de la table basse, nous voici côte à côte sur ce canapé, anglais, l’ai-je bien précisé, et voilà, c’est juste là le point jamais abordé franchement par nos théoriciens du grand mélange culturel, l’échange papillaire de schmalzherring aux oignons à schmalzherring aux oignons, mais cela coule de source, schmalzherring et petits fricassés méditerranéens riches en olives et harissa, cela peut avoir son piquant, et puis on aborde les accords plus délicats, j’en suis toujours aux échanges papillaires, le thé s’ennuie dans sa tasse de porcelaine mais on s’en fiche bien, on a d’autres chats à fouetter, comme je disais, là, c’est là parfois que certaines différences peuvent surgir, différences pouvant vite devenir froissements, il suffit d’une maladresse, un mouvement trop rapide ou trop lent, et voilà qu’on perçoit que foie gras et oignon, éclair à la violette et schmalzherring, petite madeleine et harissa, ou bien c’est la passion, l’extase, le soleil partagés ou bien, soudain atteintes, les limites, coiffure remise en ordre, peigne remis en place et même ce tissu dont tout à coup le côté froissé irrite, c’était bien la peine, tiens, que je le repasse, et ce mélange des cultures si vantés de nos modernes sociologues, pour une simple question de désordre papillaire se fait étrangeté ressentie, éloignement, conflit…

Mais ce n’est pas possible, enfin, à quelle profondeurs sociologicoculturelles, rire, n’atteint-on point à quatre heures du matin en ces temps de confinement, bon, je vais aller faire chauffer l’eau du thé, je n’ai  plus de schmalzherring et puis ce n’est pas l’heure, j’ai juste en ces temps de vaches maigres encore quelques biscuits anglais…

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