” Faux Jean-Yves Le Drian ” ( 2e jour ) Gilbert Chikli se fâche et veut quitter l’audience

Le 2e jour du procès de l’escroquerie au « faux Jean-Yves Le Drian » était consacré aux seconds couteaux de l’affaire. Des petites mains dont le manque d’envergure contraste avec le retentissement international de cette carambouille.

« Très bien ! Puisque c’est comme ça, je ne comparais plus à partir d’aujourd’hui. Je rentre dormir dans ma cellule ! Bon courage ! » L’audience du jour vient à peine de débuter que Gilbert Chikli, barbe de trois jours lui mangeant le visage, sweat noir assorti à son regard sombre, veut déjà repartir. Il enfile son manteau, demande à une policière de lui passer les menottes et d’ouvrir la porte sécurisée pour quitter le box des accusés. « J’ai rien mangé depuis hier midi. Je me sens pas bien, j’ai la tête qui tourne, j’ai le sentiment qu’il y a trop de pression sur moi, sur mon entourage, sur ce procès. Est-ce que je peux rentrer dormir dans ma cellule ? », tempête-t-il à l’intention de la présidente.

A l’origine de son courroux : le refus de la magistrate de laisser des proches lui donner les sushis casher qu’ils avaient apportés pour lui. « Hier soir, je suis rentré du tribunal à 1h30 dans ma cellule à Fleury-Merogis. Il n’y a plus de repas à cette heure-là. On m’a réveillé à 4 heures pour être présent au tribunal cet après-midi. J’ai eu seulement le droit à un café en sachet. Ce midi, on nous a donné des plateaux-repas mais on ne mange que casher, madame la présidente ! », s’était-il plaint quelques minutes plus tôt. Avant d’exploser face à l’inflexibilité de la juge :

« On n’est pas des chiens quand même ! »

Le sang chaud

La veille, Gilbert Chikli avait tenu à prévenir le tribunal alors que s’ouvrait le procès de l’affaire de l’escroquerie au « faux Le Drian » : il peut avoir le sang chaud. Les magistrats en ont eu rapidement la confirmation. La nervosité dont il fait montre depuis le début des audiences tient peut-être à une autre explication : déjà condamné pour des faits similaires en 2015 et donc en état de récidive, le « Beau Gilbert » joue gros sur ce procès, lui qui nie toute implication dans cette affaire.

Finalement, une fois sa colère retombée, le roi de la déballe, soupçonné d’avoir usurpé l’identité du ministre pour arnaquer de riches personnalités en leur demandant d’avancer l’argent d’une rançon d’otages en Syrie, reprendra sa place sur son banc. Et on entendra plus le son de sa voix grave durant la suite de l’audience consacrée aux seconds couteaux de cette carambouille. Des petites mains dont le profil et le manque d’envergure contrastent parfois avec le retentissement de cette escroquerie internationale.

Le vrai Gilbert Chikli est-il le « faux Jean-Yves Le Drian » ?

Arrêté en Pologne en mars 2016, Sylvain R., cheveux coiffés en catogan, carrure de costaud dans un pull gris à col cheminée, a passé trois ans dans les prisons locales pour cette affaire, avant d’être extradé en France. Il est soupçonné d’avoir ouvert des comptes dans des banques polonaises sur lesquels quatre millions d’euros détournés auprès du prince Aga Khan IV par les escrocs s’étant fait passer pour le ministre ont transité. Il a été interpellé alors qu’il cherchait à récupérer plusieurs millions d’euros bloqués dans une banque polonaise.

Commercial en intérim, sorti de prison quelques mois avant son arrestation, il aurait accepté d’ouvrir des comptes à la demande d’un de ses amis, Stéphane Z., un Franco-Polonais : « Il m’a dit que c’était pour faire de la décaisse pour des entreprises qui voulaient faire de la fraude fiscale et sortir de l’argent avec de fausses factures. Je ne suis pas un professionnel dans ces histoires, je ne m’attendais pas à ce résultat. Je l’ai fait une fois et j’ai tout de suite été arrêté », explique-t-il.

Bien que lui aussi renvoyé devant le tribunal, Stéphane Z. n’est ni présent ni présenté. Son avocat français n’a plus de nouvelles de lui, il serait porté disparu en Pologne où il a un temps été emprisonné dans le cadre de cette affaire. Une absence qui étonne les avocats des autres prévenus. Spécialisé dans l’ouverture de comptes et la création de sociétés fantoches pour différents types d’escrocs du milieu franco-israélien, Stéphane Z. avait expliqué devant les policiers polonais avoir fourni les comptes sur lesquels les millions de l’Aga Khan ont circulé à la demande du « gros ». Seul problème : au fil de ses interrogatoires, il a donné trois identités différentes à ce même « gros », la dernière en date étant celle d’Anthony Lasarevitch. Arrêté en Ukraine en compagnie de Gilbert Chikli en août 2017, ce dernier affirme de son côté ne pas connaître Stéphane Z – même si des échanges entre les deux hommes ont été retrouvés dans son téléphone –, ni répondre au doux surnom du « gros ».

La présidente du tribunal tente d’alors d’interroger un autre prévenu sur l’identité de ce « gros » : Rudy K, surnommé pour sa part « Pitch », « Pitchoune », ou « bébête », frêle silhouette, regard inquiet, crâne dégarni. « Sauf votre respect, je connais un milliard de “gros” à Paris ! », lui répond l’intéressé. Pour ce qui le concerne, il est soupçonné d’être allé récupérer un masque en silicone d’Albert II en Turquie pour l’amener en Ukraine à la demande d’Anthony Lasarevitch et de Gilbert Chikli, lesquels s’apprêtaient à commettre depuis Kiev une nouvelle escroquerie. S’il connaît un milliard de « gros », Rudy K. avait, lors de ses interrogatoires, identifié un seul « DSK ». Un surnom donné à un autre proche d’Anthony Lasarevitch, soupçonné d’avoir trouvé pour les escrocs un appartement à Kiev et fourni du matériel : un certain Jérémie D. « Il se fait appeler “DSK” parce qu’il aime niquer et il a la cote », avait expliqué « Pitch » aux policiers. « Madame la justice (sic), ma garde à vue, c’était un cauchemar. J’ai dit des choses qui étaient vraies, d’autres sous la pression », tente de se justifier Rudy K. à la barre.

« Est-ce que vous reconnaissez porter le surnom de “DSK” ?, demande alors la présidente à Jérémie D.

– Non.

– Dans ce cas, pourquoi Rudy K. vous a-t-il attribué ce surnom ?

– Je sais pas, peut-être qu’il avait trop fumé ce jour-là ? »

Débit aussi rapide que saccadé, Jérémie D. nie lui aussi son implication dans cette affaire : « Je vous explique, je n’ai jamais mis les pieds en Ukraine de ma vie. Comment  j’aurais pu avoir les clés d’un appartement à Kiev ? » A l’époque de faits, il était en France et l’appart évoqué dans des conversations serait à Aubervilliers, selon ses dires. La présidente s’étonne toutefois de sa propension à perdre son passeport : « Je perds tout, tout le temps. Dès qu’en soirée, je bois, je perds mon passeport. Dès que je dors chez un copain, je perds mon passeport », répond-il. Avant de reconnaître avoir réussi à entrer clandestinement à deux reprises en Israël, sans expliquer comment.

Il sera finalement arrêté dans l’Etat hébreu et placé en détention pour sa participation à une escroquerie aux ordres de virements touchant l’Allemagne et l’Autriche. Un ordinateur lui appartenant saisi par les autorités israéliennes se révélera contenir plusieurs éléments en relation avec des escroqueries et des logiciels pour anonymiser les adresses IP : « Quand ils m’ont arrêté j’étais en maillot de bain et en claquettes. Et eux, ils disent qu’ils ont trouvé un ordinateur sur moi », se défend-il. Et ce dernier de conclure : « Les responsables, ils ne sont pas ici. Même les policiers qui étaient dans la salle hier, ils le savent !

Compte-rendu d’audience de Vincent Monnier de L’OBS

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